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Dans le Retour des caravelles, António Lobo Antunes nous conte le retour des rapatriés d'Afrique au lendemain de la décolonisation.
L'auteur affuble ces colons débarquant dans un pays qui n'est plus le leur et dans une ville (Lisebone, forme ancienne de Lisbonne) qu'ils ne reconnaissent pas, du nom des héros du passé (navigateurs, écrivains...) qui ont fait la gloire du Portugal. Tels des revenants, ils sont les returnados. Les époques se télescopent, les anachronismes fusent dans ce roman baroque où les thèmes du désastre, de la décomposition et de la déglingue sont omniprésents. Les héros fatigués attendent un sauveur providentiel en la personne du Roi Sébastien, mort en croisade au Maroc…
António Lobo Antunes, grâce à la force de ses évocations et à la qualité de ses images, livre un texte singulier sur l'histoire du Portugal, avec un mépris de la chronologie qui ne doit pas décourager les puristes. Son écriture témoigne de son talent jamais démenti de grand écrivain.
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Pensez que la révolution des oeillets était une immense fête, c'était en 1974 un rêve un peu fou de jeune homme. Des officiers revenant d'Afrique et qui après quinze ans de guerre coloniale prenaient, sans bain de sang, le pouvoir et ne le gardaient pas, le court vingtième siècle ne nous avez pas habitué à cela. Pourtant les longues soirées d'été populeuses sur les places de Lisbonne, pourtant les miradouros où les idées ne finissaient plus de s'échanger, le soleil, la mer... C'était oublier que l'Afrique portugaise avait été un profond et nauséabond « Cul de Judas » et que « l'Exhortation aux crocodiles », ces archaïques et sanguinaires reptiles d'extrême droite, n'y pouvait rien changer, « le manuel des inquisiteurs » au présent ne cessait de s'écrire. L'oeuvre de Antonio Lobo Antunes heureusement, bien des années après, allait nous pousser littéralement dans ce marigot reptilien de l'histoire que nous avions alors si peu vu !
Pourtant, si nous nous promenions, enfoncés dans la profonde banquette de la grosse voiture avec chauffeur du Consul de France, c'est bien que nous avions été les victimes insignifiantes des troubles fomentés par les salazaristes. Nous étions pieds nus, sans argent, sans papier, sans voiture. On nous croyait morts, assassinés, nous étions vivants, alors le consul nous exhibait dans un grand hôtel de Lisbonne. Nous étions perdu dans le hall du Palace. Avec quelques barbudos, lors d'une autre révolution, un de nous se souvenait en riant qu'il avait pissé sur de grandes glaces toutes pareilles. Lors de notre promenade consulaire, nous avions vu ne doutant de rien l'interminable défilé des émigrants rentrant au pays. Nous avions eu le droit à un commentaire visionnaire, diplomatique et abracadabrantesque, nous l'écoutions à peine. Nous étions bien loin, il est vrai, de la déchirante histoire des rapatriés d'Afrique au lendemain de la décolonisation telle qu'elle a été écrite par Lobo Antunes dans « le retour des caravelles ».
Dans ce livre il y a une prodigieuse mixtion des éléments contemporains de la décolonisation et des éléments appartenants aux XVe et XVIe siècles conquérants, une symbiose des personnages qui sont à la fois les lointains héros des grandes découvertes et les très présents anti-héros du retour au pays. Lisbonne est une terre de fiction où les caravelles côtoient les pétroliers et les chars à boeufs de la construction des Hiéronymites les cars des corpulents touristes. Les personnages du « Retour des caravelles » sont des êtres déchus, névrosés et parfois cyniques, ils sont toujours des métaphores des temps présents. Ainsi, Pedro Alvares Cabral n'est pas le célèbre navigateur qui découvrit le Brésil mais un être profondément déprimé. Il atterrit comme bien d'autres à l'Hôtel « Apôtre des Indes » et livre sa femme métisse, ce qui n'est pas sans importance, à la prostitution. Vasco de Gama, simple ouvrier retraité passionné de cartes, évoque jusqu'à la folie, avec un Manuel 1er de carnaval, un passé définitivement révolu. Diogo Cao navigateur emblématique, à la recherche de chimériques nymphes, perd très métaphoriquement dans les poubelles lisboètes tous les fleurons de l'empire. Luis Camoens, tout en écrivant ses célèbres poèmes, traîne le cadavre de son père assassiné par l'UNITA. On l'aura compris, ce fardeau n'est rien d'autre que la métaphore de l'empire portugais perdu.
L'auteur veut rompre avec un passé mystificateur et paralysant, un passé au service d'un nationalisme réducteur qu'il rejette. Il n'hésite donc pas à prendre le parti de l'irrévérence. Manoël de Sousa Sepulvéda, capitaine dépeint comme un amoureux fou de sa femme dans « Les Lusiades », est transformé sans ménagement en un proxénète lisboète. François Xavier, missionnaire canonisé, est aussi violemment traité. Il est l'infect violeur souteneur doublé du marchand de sommeil de « l'Apôtre des Indes ». Pour désacraliser le passé, Lobo Antunes ne manque pas également d'humour. On croise Don Quichotte cheval de course, Miro vieillard en jogging, Errol Flynn pirate, Pessoa bureaucrate ou Lorca et Bunuel contrebandiers gitans. Dans un ultime chapitre, le romancier dénonce une dernière fois l'illusion mortelle d'un retour possible à un passé glorieux du Portugal. Les magnifiques pages de la fin, qu'il faudrait citer, montrent des malades agonisants, hallucinés qui attendent au milieu des touristes et des pêcheurs le retour du roi Sébastien.
Les thèmes de Lobo Antunes dans ce roman sont comme toujours la guerre, le mensonge, l'hypocrisie, la folie et l'absurdité du monde. Les rapatriés portugais, de retour dans un pays qu'ils ne connaissent pas, sont dépeints comme des êtres physiquement et moralement détruits. Ils ne sont cependant jamais méprisés. le récit est tout emprunt, au contraire, d'une grande humanité. Les personnages sont prisonniers de leur histoire, broyés par elle. Ils sont incapables de démêler les mythes de la réalité. L'auteur ne distingue donc pas, comme nous l'avons vu, le passé du présent. Il n'y a pas à la manière classique de ligne droite dans ce récit mais des cercles concentriques. Il n'y a pas d'avantage d'intrigue, d'histoire, il n'y a que le foisonnement sensuel de la vie. Entrer dans un roman de Lobo Antunes c'est entrer dans un maquis carnivore qui vous happe et vous déroute. le lecteur dans ce texte si intelligemment construit éprouve littéralement les sensations de ces êtres névrosés.
« Une oeuvre d'art s'écrit toujours dans une langue étrangère » disait Proust. La langue de Lobo Antunes est formidablement inventive et inspirée. le romancier utilise un nombre considérable de moyens littéraires dans ses textes et c'est un vrai bonheur de lecture. Je ne résiste pas à citer deux hypallages : « Ils allaient jusqu'au quai, poussés par la curiosité tatouée des indigènes » et « Un garçon de café en veste blanche dont la cirrhose du néon mettait en relief les taches». Sa langue baroque et foisonnante, comme une magnifique fenêtre manuéline, relève de la pure poésie. Comme le souligne dans sa belle introduction Michelle Giudicelli, l'auteur n'hésite pas à bouleverser la structure habituelle de la phrase, à la rendre interminable ; il fait alterner le style direct et le style indirect, il passe brutalement de la troisième à la première personne ; il joue avec l'orthographe des mots ; il utilise avec bonheur un nombre considérable d'images insolites ; il varie les vocabulaires… « Un livre ne se construit pas avec des idées mais avec des mots » nous dit Lobo Antunes. Il n'y a pas chez lui un mot inutile, tout fait sens.
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Pensez que la révolution des oeillets était une immense fête, c'était en 1974 un rêve un peu fou de jeune homme. Des officiers revenant d'Afrique et qui après quinze ans de guerre coloniale prenaient, sans bain de sang, le pouvoir et ne le gardaient pas, le court vingtième siècle ne nous avez pas habitué à cela. Pourtant les longues soirées d'été populeuses sur les places de Lisbonne, pourtant les miradouros où les idées ne finissaient plus de s'échanger, le soleil, la mer... C'était oublier que l'Afrique portugaise avait été un profond et nauséabond « Cul de Judas » et que « l'Exhortation aux crocodiles », ces archaïques et sanguinaires reptiles d'extrême droite, n'y pouvait rien changer, « le manuel des inquisiteurs » au présent ne cessait de s'écrire. L'oeuvre de Antonio Lobo Antunes heureusement, bien des années après, allait nous pousser littéralement dans ce marigot reptilien de l'histoire que nous avions alors si peu vu !
Pourtant, si nous nous promenions, enfoncés dans la profonde banquette de la grosse voiture avec chauffeur du Consul de France, c'est bien que nous avions été les victimes insignifiantes des troubles fomentés par les salazaristes. Nous étions pieds nus, sans argent, sans papier, sans voiture. On nous croyait morts, assassinés, nous étions vivants, alors le consul nous exhibait dans un grand hôtel de Lisbonne. Nous étions perdu dans le hall du Palace. Avec quelques barbudos, lors d'une autre révolution, un de nous se souvenait en riant qu'il avait pissé sur de grandes glaces toutes pareilles. Lors de notre promenade consulaire, nous avions vu ne doutant de rien l'interminable défilé des émigrants rentrant au pays. Nous avions eu le droit à un commentaire visionnaire, diplomatique et abracadabrantesque, nous l'écoutions à peine. Nous étions bien loin, il est vrai, de la déchirante histoire des rapatriés d'Afrique au lendemain de la décolonisation telle qu'elle a été écrite par Lobo Antunes dans « le retour des caravelles ».
Dans ce livre il y a une prodigieuse mixtion des éléments contemporains de la décolonisation et des éléments appartenants aux XVe et XVIe siècles conquérants, une symbiose des personnages qui sont à la fois les lointains héros des grandes découvertes et les très présents anti-héros du retour au pays. Lisbonne est une terre de fiction où les caravelles côtoient les pétroliers et les chars à boeufs de la construction des Hiéronymites les cars des corpulents touristes. Les personnages du « Retour des caravelles » sont des êtres déchus, névrosés et parfois cyniques, ils sont toujours des métaphores des temps présents. Ainsi, Pedro Alvares Cabral n'est pas le célèbre navigateur qui découvrit le Brésil mais un être profondément déprimé. Il atterrit comme bien d'autres à l'Hôtel « Apôtre des Indes » et livre sa femme métisse, ce qui n'est pas sans importance, à la prostitution. Vasco de Gama, simple ouvrier retraité passionné de cartes, évoque jusqu'à la folie, avec un Manuel 1er de carnaval, un passé définitivement révolu. Diogo Cao navigateur emblématique, à la recherche de chimériques nymphes, perd très métaphoriquement dans les poubelles lisboètes tous les fleurons de l'empire. Luis Camoens, tout en écrivant ses célèbres poèmes, traîne le cadavre de son père assassiné par l'UNITA. On l'aura compris, ce fardeau n'est rien d'autre que la métaphore de l'empire portugais perdu.
L'auteur veut rompre avec un passé mystificateur et paralysant, un passé au service d'un nationalisme réducteur qu'il rejette. Il n'hésite donc pas à prendre le parti de l'irrévérence. Manoël de Sousa Sepulvéda, capitaine dépeint comme un amoureux fou de sa femme dans « Les Lusiades », est transformé sans ménagement en un proxénète lisboète. François Xavier, missionnaire canonisé, est aussi violemment traité. Il est l'infect violeur souteneur doublé du marchand de sommeil de « l'Apôtre des Indes ». Pour désacraliser le passé, Lobo Antunes ne manque pas également d'humour. On croise Don Quichotte cheval de course, Miro vieillard en jogging, Errol Flynn pirate, Pessoa bureaucrate ou Lorca et Bunuel contrebandiers gitans. Dans un ultime chapitre, le romancier dénonce une dernière fois l'illusion mortelle d'un retour possible à un passé glorieux du Portugal. Les magnifiques pages de la fin, qu'il faudrait citer, montrent des malades agonisants, hallucinés qui attendent au milieu des touristes et des pêcheurs le retour du roi Sébastien.
Les thèmes de Lobo Antunes dans ce roman sont comme toujours la guerre, le mensonge, l'hypocrisie, la folie et l'absurdité du monde. Les rapatriés portugais, de retour dans un pays qu'ils ne connaissent pas, sont dépeints comme des êtres physiquement et moralement détruits. Ils ne sont cependant jamais méprisés. le récit est tout emprunt, au contraire, d'une grande humanité. Les personnages sont prisonniers de leur histoire, broyés par elle. Ils sont incapables de démêler les mythes de la réalité. L'auteur ne distingue donc pas, comme nous l'avons vu, le passé du présent. Il n'y a pas à la manière classique de ligne droite dans ce récit mais des cercles concentriques. Il n'y a pas d'avantage d'intrigue, d'histoire, il n'y a que le foisonnement sensuel de la vie. Entrer dans un roman de Lobo Antunes c'est entrer dans un maquis carnivore qui vous happe et vous déroute. le lecteur dans ce texte si intelligemment construit éprouve littéralement les sensations de ces êtres névrosés.
« Une oeuvre d'art s'écrit toujours dans une langue étrangère » disait Proust. La langue de Lobo Antunes est formidablement inventive et inspirée. le romancier utilise un nombre considérable de moyens littéraires dans ses textes et c'est un vrai bonheur de lecture. Je ne résiste pas à citer deux hypallages : « Ils allaient jusqu'au quai, poussés par la curiosité tatouée des indigènes » et « Un garçon de café en veste blanche dont la cirrhose du néon mettait en relief les taches». Sa langue baroque et foisonnante, comme une magnifique fenêtre manuéline, relève de la pure poésie. Comme le souligne dans sa belle introduction Michelle Giudicelli, l'auteur n'hésite pas à bouleverser la structure habituelle de la phrase, à la rendre interminable ; il fait alterner le style direct et le style indirect, il passe brutalement de la troisième à la première personne ; il joue avec l'orthographe des mots ; il utilise avec bonheur un nombre considérable d'images insolites ; il varie les vocabulaires… « Un livre ne se construit pas avec des idées mais avec des mots » nous dit Lobo Antunes. Il n'y a pas chez lui un mot inutile, tout fait sens.
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