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Entre 1854 (date de la création des bagnes dans les colonies par Napoléon III) et 1938 (suppression des bagnes), plus de 60 000 hommes et femmes ont subi les pires sévices dans ces centres pénitentiaires où l'on enfermait tous les condamnés à une peine de travaux forcés. Plus d'un quart d'entre eux sont morts en détention, l'espérance de vie au bagne était d'environ cinq ans. Tous les ans, 10 % de la population carcérale décédait (environ 600 morts, ce qui correspondait à peu près au renouvellement annuel) ainsi le nombre de prisonniers était-il stable.

Pour survivre dans les camps des îles du salut, il faut échapper à l'ankylostomiase (infection due à des larves d'insectes dans les intestins), au paludisme, à la lèpre à la malnutrition, à la folie. Ceux qui tentaient une évasion devaient traverser dans des embarcations précaires des eaux où grouillaient les requins. Ceux-ci étaient à l'affût, régulièrement appâtés par les cadavres des forçats que l'administration pénitentiaire jetait à la mer sans plus de cérémonie.

Les deux tiers des bagnards étaient là pour des peines prononcées pour des atteintes au droit de propriété (vol ou recel de vol, voire simple vagabondage), le reste était coupable de crime de sang.

Une partie d'entre eux étaient complètement innocents (parmi ces innocents on a surtout retenu les noms de Dreyfus et de Seznec).

Le but du gouvernement était de bannir à tout jamais de la métropole tous ceux qui menaçaient de troubler l'ordre public. Il en est résulté des injustices terribles et des conditions de détention inhumaines indignes d'un pays comme la France.

Le grand reporter Albert Londres raconte dans son livre « Au Bagne » les conditions de vie des forçats. En 1923, il se rend en Guyane où il visite le bagne aux îles du Salut, à Cayenne et à Saint-Laurent-du-Maroni. Il dénonce les horreurs de ce qu'il voit, son reportage publié dans le journal le Petit Parisien entre août et septembre 1923 suscite de vives réactions dans l'opinion et au sein des autorités. Après la publication de son reportage en 1924 le gouvernement commence à améliorer le sort des prisonniers, mais ce n'est que le 17 juin 1938 que la transportation outre-mer fut enfin abolie (et plus pour des raisons financières qu'humanitaire, car « l'entretien » des bagnards était jugé trop coûteux). Toutefois, le 22 novembre 1938, un dernier convoi de 666 relégués quittait les côtes charentaises de Saint-Martin-de-Ré à destination de Saint-Jean-du-Maroni, en Guyane. Et ce n'est qu'en 1953 que les derniers forçats furent rapatriés.

Les récits d'Albert Londres ont largement contribué à la suppression des bagnes. Son livre retrace dans un style très cru et direct les conditions effroyables de détention et il dresse le portrait saisissant de quelques bagnards à la personnalité étonnante. Il y dénonce aussi la « double peine » qui faisait que lorsqu'un homme était condamné à moins de 8 ans de travaux forcés il devait, après avoir effectué sa peine rester un même nombre d'années en Guyane (sans aucune aide du gouvernement, ils étaient la plupart réduit à la mendicité). Si la condamnation était supérieure à 8 ans, c'était la résidence perpétuelle en Guyane. Très peu de bagnards ont pu regagner la France et revoir leur famille après avoir purgé leur peine.

- "Au bagne", Albert Londres, Arléa 2020, 216 pages.
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Encore un auteur que je découvre et qui m'a pris aux tripes. le sujet s'y prête, une série de reportages qu'Albert Londres, journaliste et écrivain, a réalisée pour le petit parisien en 1923. Il commence avant même de prendre la mer pour la Guyane, le jeune reporter voit embarquer des passagers en surnombre, onze évadés du bagne de Cayenne, résignés, renvoyés d'où ils venaient…

Le bagne n'est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C'est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c'est tout, et les morceaux vont où ils peuvent. Page 25.

Il y en avait un qui chaque jour, lançait quelques cailloux dans la mer, à la même pointe de l'Ile Royale. Comme cela, il créerait une digue d'Amérique du Sud en France. Il n'aurait plus ensuite qu'à marcher dessus pour rentrer chez lui.
C'est de cette folie-là, que ces tragiques misérables sont tous fous ! Pages 84-85

Dreyfus l'inaugura (l'Ile au Diable). Il y resta cinq ans, seul. Voici son carbet (hutte sans murs servant d'abri). Il est abandonné. Je le regarde et c'est comme une très ancienne histoire que l'on me conterait.
Voici son banc. Chaque jour, le Capitaine venait s'y asseoir, les yeux fixés, dit la légende, sur la France, à quatre milles par l'Atlantique. Page 86

A partir de la page 95, troisième partie, le reporter/écrivain, l'homme est de plus en plus indigné, écoeuré, dégoûté de ce dont il est le témoin à Saint-Laurent-du Maroni, la capitale du crime. C'est là que sont envoyés les bagnards qui ont accompli leur peine plus le doublage (La règle qui les assigne à résidence en Guyane autant d'années supplémentaires que la durée de leur peine). Ils y meurent la plupart du temps, les mauvais traitements et les maladies tropicales suffisent, d'autant qu'ils n'ont aucune possibilité de gagner de quoi subvenir à leurs besoins basiques, se nourrir, avoir un abri.

Les libérés, un billet de vingt sous à la main, gagnent le cinéma. C‘est tout ce qu'ils peuvent s'offrir de l'autre vie !
Pas de brouhaha. Aucune gaîté. le châtiment les a bien matés. Page 133

« Moi libre ! Moi rentrer ! »
C'étaient des libérés, toujours.
« Moi pas travail, moi retourner Oran, alors. Que faire devant le lit d'un mort ? »
C'est la même impuissance révoltante que l'on ressent ici toute la journée. Je leur dis que je m'occuperai d'eux tous à la fois.
Retombant sur l'herbe, ils me regardèrent partir comme un parent. Page 150

Je rêve chaque nuit de ce voyage au bagne. C'est un temps que j'ai passé hors la vie. Pendant un mois j'ai regardé les cent spectacles de l'enfer et maintenant ce sont eux qui me regardent. Je les revois devant mes yeux, un par un, et subitement tous se ressemblent et grouillent de nouveau comme un affreux nid de serpents. Page 160

En 1924, une année après les reportages d'Albert Londres dans le petit parisien et une lettre ouverte au Ministre des colonies, le bagne de Cayenne est fermé.
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Le reportage laisse une grande place à la parole des bagnards et « doubleurs » principalement, mais aussi celle des médecins, administrateurs… Les témoignages ne sont très certainement pas inventés mais sont très probablement "poétisés" (à partir de notes). Pourra-t-on le reprocher ? Certes, l'enregistrement audio permet aujourd'hui d'avoir accès à la parole authentique, mais qui s'est un jour confronté à la retranscription de la parole brute, sait qu'il est toujours question de réécrire, de policer par l'écriture, d'effacer les hésitations, répétitions, ruptures de syntaxe, de tronquer, ou au contraire de rendre compte dans l'écriture (par des artifices rompant avec la norme) de ces défauts d'oralité, ce qui ajoute inévitablement un trait décrédibilisant à cette parole (suspicion d'illettrisme). On peut s'imaginer comme la parole et la voix d'un homme abruti par l'enfermement, en colère, désociabilisé ou ne fréquentant plus que taulards, se détériorent. Comment cette parole brute, si elle n'était pas retouchée, pourrait-elle atteindre une population de lecteurs bien éduqués, bien confiants dans ce qui les distingue de ces êtres (mal éduqués) que la société à laquelle ils appartiennent a décidé d'écarter et de punir ? Londres, par cette écriture du témoignage, confronte le lecteur à des êtres humains ordinaires (la seule différence est ce qu'ils ont fait ; qu'on ne les juge pas sur la forme), met en valeur des points choquants, absurdes ou touchants, crée des échos, provoque ainsi la réflexion et l'indignation du lecteur. Ces témoignages mêlés au romanesque des trajectoires, à l'exotisme des lieux, et à ces descriptions de corps qui semblent pourrir à mesure qu'on tourne les pages, donnent une vraie couleur littéraire au reportage. Les envolées lyriques se font rares, sans ambages, ponctuant le portrait d'un personnage d'une remarque acerbe, comme qui échapperait à toute retenue possible. La conclusion du reportage est elle aussi sans ambiguïtés, dénonce clairement, appelle à des changements devenus évidents. À vingt-mille lieues par-delà les mers du journalisme de supermarché, neutralité qui est plutôt absence de goût et de style qu'absence d'aprioris, bruyant et racoleur pour des broutilles, n'ayant d'oeil que pour les grandes marques, transportant sa liste de courses pour répondre à la demande des lecteurs-clients.

Qu'est-ce que dénonce ici Albert Londres ? C'est le laisser-faire de toute une administration qui sait, qui continue malgré tout, pour le profit de quelques uns, et pour la tranquillité d'esprit des bons citoyens, non pas à doubler, mais à tripler, quadrupler la peine fixée par la justice. le bagne ou la dégradation de l'homme, la déshumanisation : éloignement de toute patrie et famille, isolement rendant fou ou entassement insalubre rappelant les plus grandes heures de la traite négrière (rappelons que les premiers déportés aux Amériques pour servir de main d'esclaves étaient des prisonniers irlandais...), malnutrition, absence de soins médicaux, punitions et humiliations... Des conditions qui amènent nombreux détenus à souhaiter la mort. Dans ce contexte, la privation de liberté est un moindre mal. le travail forcé même n'est pas dénoncé par le reporter qui dénonce bien davantage le gâchis gigantesque de la force de travail des prisonniers. Les corps sont maltraités et ne peuvent donc accomplir un travail efficace, mais plus encore c'est la direction des opérations qui semble être volontairement inorganisée, contre-productive. L'ouvrage des bagnards relève davantage du supplice de Sisyphe que d'une oeuvre d'aménagement du territoire pour le compte de la patrie… Et la construction de la colonie guyanaise par les bagnards n'est jamais qu'un échec, comme si cela était la volonté inavouable des autorités, que les bagnards ne soient jamais les artisans de rien, que leur humanité soit gâchée, reniée.

Un grief qui revient souvent est le mélange des prisonniers : petits criminels, grands trafiquants, déséquilibrés et fous psychopathes, prisonniers politiques et potentiels innocents... Pas De distinction, comme le dit le proverbe, il s'agit d'être sûr que tous soient contaminés, se comportent en bêtes, s'entretuent, tentent des évasions... Les bagnards envoyés en Guyane sont tous des criminels irrécupérables, il n'y a pas à se préoccuper de leur sort (dévalorisation après coup fort comparable à celle des populations noires qu'on s'était autorisés à réduire en esclave). Même "libres", les bagnards doivent rester des sous-humains. le fameux "doublage" les force à demeurer sur le lieu de leur abaissement, loin de tout soutien, parmi les ex-taulards, sans aucun moyen de gagner de l'argent dans une région où il y a peu d'activité, et où votre CV vous précède... Ainsi les bagnards sans l'institution deviennent ce qu'on veut qu'ils soient : clochards puants, ne sachant que voler, boire, violer... dont le seul espoir d'amélioration est même de réintégrer le bagne (qui alors n'est pas si terrible !). le bagne, lieu de torture bien plus que de pénitence ou de mise à l'écart de personnes dangereuses ; en cela symptomatique de ce qu'est trop souvent l'appareil judiciaire : un instrument de vengeance et de défoulement de la société sur une partie d'elle-même qu'elle veut mauvaise sans le moindre doute et radicalement différente d'elle-même. Les populations incarcérées servent ainsi de boucs-émissaires. Comme le montre Foucault dans son Histoire de la folie mais pour l'enfermement des fous, le fait de retrancher les criminels et de les sanctionner durement permet de supposer que la partie laissée en liberté est saine... L'on peut dès lors questionner ce besoin si impérieux de nos sociétés de se sentir innocentes...
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Extraordinaire documentaire que celui-ci, qui nous emporte à Cayenne et nous fait rencontrer les bagnards dans toute l'absurdité de leur vie et de leur existence.
La plume d'Albert Londres, qui esquisse avec finesse et discernement ce que voit son auteur, m'a ravie tout au long du récit. Un vrai plaisir de lecture engagée qui ne tombe cependant pas dans les travers de la polémique de moeurs.
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« Il faut dire que nous nous trompons en France. Quand quelqu'un – de notre connaissance parfois – est envoyé aux travaux forcés, on dit : il va à Cayenne. le bagne n'est plus à Cayenne, mais à Saint-Laurent-du-Maroni d'abord et aux îles du Salut ensuite. Je demande, en passant, que l'on débaptise ces îles. Ce n'est pas le salut, là-bas, mais le châtiment. La loi nous permet de couper la tête des assassins, non de nous la payer. Cayenne est bien cependant la capitale du bagne. »

À une époque de doute et de suspicion à l'encontre de la profession de journaliste, on en oublierait qu'elle a été, jadis, l'objet de nombreuses améliorations sociales.
Ce témoignage du journaliste Albert Londres, qui s'immergea pendant un mois dans le quotidien des bagnards de Cayenne, va contribuer à la fermeture pure et simple de cet ignominieux système carcéral.

Conçu en 1854, le bagne de Cayenne devait éloigner les criminels les plus dangereux de la métropole, tout en servant de prétexte à la colonisation de la Guyane. Les forçats servant de main d'oeuvre pour l'aménagement du territoire. Une fois leur peine achevée ; par le système dit du « doublage », si un bagnard c'était vu recevoir une peine de 7 ans de bagne. Une fois sa peine écoulée, il devait passer un temps équivalent en Guyane, en homme libre, avant de pouvoir rejoindre la métropole. Étant donné que rien n'était mis en place pour assurer la réinsertion, il va de soit que la plupart d'entre eux récidivaient, tentaient de s'évader avant la fin de leur peine ou tombaient dans la misère la plus totale.

Le bagne de Cayenne a eu ses célébrités. le capitaine Alfred Dreyfus, incarcéré sur l'île au Diable jusqu'à la révision de son procès. Dieudonné, de la fameuse « Bande à Bonnot » avec lequel Londres s'entretient sur ses conditions de détention. Et Paul Roussenq dit « Roussenq l'Inco », anarchiste, dont cette tirade résume à elle seule le caractère déshumanisant du bagne : « Je ne puis plus me souffrir moi-même. le bagne est entré en moi. Je ne suis plus un homme, je suis un bagne. »

La prochaine fois que vous entendrez un proche, réclamer la réouverture du Bagne de Cayenne, comme unique solution face aux pesanteurs de la justice. Parlez-lui de ce livre !
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Moi qui ne lis pratiquement que des romans, je découvre en ce début d'automne mon deuxième reportage au format livre. Après un voyage au Liberland me voilà partie aux côtés d'Albert Londres, célèbre journaliste du début du XXème siècle, dans le climat moite de la Guyane, à la rencontre des bagnards et des libérés contraints de coloniser un pays dont ils ne voulaient pas, dans la maladie, la misère et la cruauté. L'écriture d'Albert Londres mêle astucieusement le récit au factuel, pour un vrai régal de lecture. En quelques pages, nous nous révoltons du châtiment infligé à des hommes qui pour certains, ne l'oublions pas, ont tué sans pitié. Malheureusement le bagnard se retrouve bien souvent là plus pour cause de malchance que par justice, et pour un malencontreux bout de pain volé atterrit dans la fange au bout du monde. Un reportage à lire et à découvrir, tant pour les absurdités de l'administration qu'il met en exergue – et en gardant à l'esprit qu'à l'heure actuelle les conditions dans les prisons françaises sont désastreuses – que pour l'habileté d'Albert Londres à le raconter.
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Au bagne d'Albert Londres eut un retentissement extraordinaire en métropole lors de sa publication dans le Petit Parisien en août et septembre 1923.

Un an plus tard, le gouvernement français décidait de supprimer ce système pénitencier totalement inhumain (et injuste puisqu'il était accompagné pour les plus 'chanceux' d'un doublage de peine avec interdiction de rentrer en France) mais aussi un moyen efficace de faire avancer la colonisation.

Seuls le ton vif et l'humour d'Albert Londres rendent ce récit supportable, jugez-en par vous-même:

L'après-midi j'allais au camp. Il faut dire que nous nous trompons en France. Quand quelqu'un - de notre connaissance parfois - est envoyé en travaux forcés, on dit: il va à Cayenne. le bagne n'est plus à Cayenne mais à Saint-Laurent-du Maroni d'abord et aux Iles du Salut ensuite. Je demande en passant, que l'on débaptise ces îles. Ce n'est pas le salut, là-bas, mais le châtiment. La loi nous permet de couper la tête des assassins, non de nous la payer.
Cayenne est bien pourtant la capitale du bagne. Si un architecte urbaniste l'avait construite, on pourrait le féliciter, il aurait réellement travaillé dans l'atmosphère. C'est une ville désagrégeante. On sent qu'on serait bientôt réduit à rien si on y demeurait et qu'on croulerait petit à petit comme une falaise sous l'action de l'eau. On erre dans ses rues tel un veuf sincère qui revient du cimetière. Il semble que l'on ait tout perdu.

[…]

Enfin, me voici au camp; là, c'est le bagne.
Le bagne n'est pas une machine à châtiment bien définie, réglée, invariable. C'est une usine à malheur qui travaille sans plan ni matrice. On y chercherait vainement le gabarit qui sert à façonner le forçat. Elle les broie, c'est tout, et les morceaux vont où ils peuvent.

[…]

On me conduisit dans les locaux.
D'abord je fis un pas en arrière. C'est la nouveauté du fait qui me suffoquait. Je n'avais encore jamais vu d'homme en cage par cinquantaine. Nus du torse pour la plupart (car j'ai oublié de dire que s'il ne fait pas tout à fait aussi chaud qu'en enfer, à la Guyane, il y fait plus lourd), torses et bras étaient illustrés. Les “zéphirs”, ceux qui proviennent des bat' d'Af', méritaient d'être mis sous vitrine. L'un était tatoué de la tête aux doigts de pieds. Tout le vocabulaire de la canaille malheureuse s'étalait sur ces peaux: “Enfant de misère”; “Pas de chance”; “Ni Dieu ni maître”; “Innocents”, cela sur le front; “Vaincu non dompté”; et des inscriptions obscènes à se croire dans une vespasienne. Celui-là chauve, s'était fait tatouer une perruque avec une impeccable raie au milieu. Chez un autre, c'étaient des lunettes.

[…]

La nuit, ils jouent aux carte, à la “Marseillaise”. Ce n'est pas pour passer le temps, c'est pour gagner de l'argent. Ils n'ont pas le droit d'avoir de l'argent, ils en ont. Ils le portent dans leur ventre. Papiers et monnaies sont tassés dans un tube appelé plan (planquer). Ce tube se promène dans leurs intestins. Quand ils le veulent ils…s'accroupissent.
Tous ont des couteaux. Il n'est pas de forçat sans plan ni couteau. le matin, quand on ouvre la cage, on trouve un homme le ventre ouvert. Qui l'a tué ? On ne sait jamais. C'est leur loi d'honneur de ne pas se dénoncer. La case entière passerait plutôt à la guillotine plutôt que d'ouvrir le bec. Pourquoi se tuent-ils ? Affaire de moeurs. Ainsi finit Soleillant, d'un coup de poignard un soir de revenez-y et de hardiesse mal calculée. Un des quatre buts du législateur quand il inventa la Guyane fut le relèvement moral du condamné. Voilez-vous la face, législateur ! le bagne c'est Sodome et Gomorrhe - entre hommes.
Et une case ressemble à une autre case. Et je m'en allai.

[…]

Le doublage ? Quand un homme est condamné de cinq à sept ans de travaux forcés, cette peine achevée, il doit rester un même nombre d'années en Guyane. S'il est condamné à plus de sept ans, c'est la résidence perpétuelle. Combien de jurés savent cela ? C'est la grosse question du bagne: Pour ou contre le doublage. le jury, ignorant, condamne un homme à deux peines. le but de la loi était noble: amendement et colonisation, le résultat est pitoyable. Et ici, voici la formule: le bagne commence à la libération.

[…]

LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE MINISTRE DES COLONIES

Monsieur le Ministre,

J'ai fini.
Au gouvernement de commencer. […]


Une série d'articles audacieux, captivants et finalement très modernes de par ses thèmes et son style - même si certains passages sentent un peu la naphtaline (sur le colonialisme, l'homosexualité, etc).

Je conseille aussi vivement Tour de France, tour de souffrance (1924) et Chez les fous (reportage publié en 1925 qui fut à l'origine de la reforme des asiles psychiatriques en France).
Lien : http://logresse.blogspot.com..
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Pour nous Français de 2023, c'est-à-dire un siècle après la parution du reportage d'Albert Londres, l'horreur du bagne de Guyane n'est plus un mystère. Nous avons tous et toutes en tête des images, des noms, des impressions. Et pourtant ! La lecture d'Au bagne reste un choc, et est encore capable de nous indigner. le système pénitentiaire français, en voulant protéger la société des éléments jugés dangereux, a créé un monstre, dont tout le monde sur Guyane percevait pourtant l'absurdité, la cruauté et surtout l'inefficacité, mais dont pas grand monde ne semblait s'émouvoir en métropole, faute d'une image précise de la situation. Il aura fallu ce reportage, qui se termine par une lettre ouverte au ministre des colonies, pour créer une onde de choc. Mais la fermeture complète et définitive n'était pas encore au programme. le bagne, décrit par Albert Londres, non seulement ne permet pas aux hommes ayant purgé leur peine de "s'améliorer" pour se réintégrer dans la société, mais pire encore, le système d'assignation à rester en Guyane après leur peine, sans ressource, sans travail, sans toit, les oblige pour survivre à commettre encore pire. le texte d'Albert Londres est très agréable à lire, il est très ironique, souvent drôle même ; la lecture est parfois un peu compliquée par les termes d'argot des bagnards, mais auquel on finit par s'habituer. Même si, une siècle plus tard, les bagnes tels celui de Guyane n'existent plus sous cette forme, cette lecture invite à réfléchir à la notion de peines de prison et de réinsertion.
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Critique des conditions de détentions et de la double peine de ceux qui ont été condamnés au Bagne en Guyane; suite à son livre, les autorités interviendront pour améliorer un tant soit peu les conditions des détenus; ce récit, documentaire, essai on ne sait comment le définir sera suivi de Adieu Cayenne.
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C'est grâce à ce livre que les français ont découvert "la double peine " du bagne. Albert LONDRES l'explique très bien, ainsi que l'absence de possibilité de se réinsérer à une époque où on pouvait être condamné au bagne pour un simple vol.
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