Obsolète, c'est l'adjectif parfait pour définir la femme dès cinquante ans, ou du moins ménopausée. En somme, la femme dépassée, périmée…car devenue infertile.
D'ailleurs, le point de départ de ce roman, c'est le jour où
Sophie Loubière entend
Yann Moix dire sans complexe sur les ondes radiophoniques que les femmes de cinquante ans, de son âge donc, ne l'intéresse pas car il n'aime pas leurs corps et les considèrent inutiles et invisibles. Il les comparent d'ailleurs à ceux des femmes de vingt-cinq ans.
Alors, l'autrice imagine ce que serait un monde où les femmes seraient écartées dès leur cinquante ans. Ce serait une solution idéale pour pallier le déclin de la population.
L'histoire d'
Obsolète se déroule dans deux cent ans, bien après un Grand Effondrement de la civilisation fossile et des crises. Les humains qui ont survécus se sont adaptés depuis maintenant plusieurs de générations.
Sophie Loubière réussit à rendre crédible une société utopique et merveilleuse qui s'est mise en route sans qu'on en connaissent ni les tenants et les aboutissants, où la violence n'existe pas, elle n'est même pas "conscientisée", où l'empathie est mise en avant, un monde où les émotions des êtres humains sont régulées pour le bien-être de la communauté. Un monde où l'intelligence artificielle est bienveillante, généreuse et maternante… Oui, une société s'est créée et se dirige par le bon sens et le respect du vivant. On suit Rachel et ses amies, cinquantenaires, vouées au Grand Recyclage, un grand voyage sans retour, qui les contraint de laisser derrière elles maris et enfants à des femmes de remplacement, plus jeune évidemment. Elles sont entraînées, soutenues et préparées, pour accepter leurs sorts…
Mais au fait, c'est quoi le Grand Recyclage ?
J'ai vraiment aimé ce roman. Par contre je n'y vois pas vraiment un policier… Si ce n'est l'attente de ce qu'est ce Grand Recyclage. L'enquête est très brève, elle doit tenir sur une vingtaine de pages à peine sur environ plus de 500 pages. C'est surtout un roman qui se concentre sur la création d'un monde alternatif et utopique pour s'interroger sur les travers de nos sociétés actuelles et de nos comportements aliénés face à une biodiversité et un écosystème qui meurt (et qu'on tue).
Sophie Loubière crée une société qui se veut parfaite et bienveillante, qui oeuvre au respect des valeurs de solidarité et de coopération, ultra écologique qui respecte le vivant en nous questionnant, nous, citoyennes du XXIe sur les travers de nos sociétés, notre rapport conflictuel avec l'état du monde (religieux, communautaire, écologique, scientifique…), sur l'éthique et ce que représente le genre (femme/homme/non-binaire). L'écriture est plaisante, une multitude de réflexions passionnantes traversent le texte sur la condition de la femme, sur notre responsabilité et notre rôle dans une société, sur la nécessité à étudier et comprendre le passé pour expliquer l'extinction d'une civilisation et par la collecte d'artefacts, de la pérenniser. le discours sur l'utilité de l'être humain, de ceux qui sont viables ou pas, est puissant autant que celui sur la considération que porte la société sur la vie des femmes non fertiles. J'ai été très touchée par ce fourmillement d'idées qu'elle exploite, cette emprise que la société et la gouvernance peuvent avoir sur nos choix d'existence. C'est profond, divertissant et philosophique à la fois. Elle réussit à tenir un roman d'anticipation engagé, aussi féministe qu'existentialiste qu'écologique !
Un excellent roman d'anticipation mais clairement pour moi pas du tout la promesse d'un policier.
Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE, lauréate du mois de mars dans la catégorie " Polar ".