Après tout, que devient un cauchemar quand vous le videz de son potentiel effrayant ? Un rêve, tout simplement.
Déjà, petite, elle adorait courir sous les déluges d'un hiver naissant. Une météo pluvieuse la rendait plus vivante que les caresses hypnotiques d'un soleil d'été, dont les bras chaleureux vous endormaient et vous abandonnaient, apathique et inutile, au bord d'un point d'eau.
Il pensa au diable déguisé en Roi des Aulnes.
Et à ses multiples déguisements.
Vieilles légendes.
Anciens poèmes.
Forêts désertes et rivières sans réponses.
Chambres sans personne pour y rêver.
Parfois, un courrier lui arrivait du sud de la France. Sa fille (...) lui décrivait son bien-être et ses projets. Son écriture était devenue celle d'une jeune femme décidée. (...)
Suzanne lui répondait maladroitement. Elle pensait que le ton ferme d'un parent pourrait faire plier les illusions d'une enfant [jeune adulte].
Il n'y a pas plus fidèle campagne que la guerre. Quand vous la rencontrer, c'est pour la vie...
Lire un livre est un autre refuge. S'évader de son quotidien pour vivre des aventures par procuration. Mais écrire ce livre en est un également. Derrière ce déluge de mots, l'auteur projette bien souvent ses craintes les plus profondes et les enferme en espérant s'en débarrasser à jamais.
Mais les ruptures se nourrissent du temps et du silence.
Elles dévorent nos remords et les digèrent jusqu'à les rendre inaudibles.
— Ce n’est pas possible.
Cette phrase avait perdu toute consistance. La notion d’impossibilité avait été violée, mutilée par la nature humaine. Ces bombes sur la population. Ces corps de femmes abandonnés par les soldats dans les décombres de leurs pulsions sexuelles. Ces enfants tendant leurs bras faméliques à travers les barreaux d’un wagon de train…
Plus rien n’était devenu impossible. La guerre avait aussi ravagé les mots.
Damien se remémora l'aspect de la seule psychiatre qu'il avait eu le malheur de rencontrer. Son teint cireux, ses cheveux gris coupés court et immobiles lui donnaient l'allure d'une statue sortie in extremis de la remise d'un musée.
Les paroles de la soi-disant spécialiste n'avaient été que des marmonnements inintelligibles, des conseils amputés de compassion, des vieux préceptes appris des années auparavant, puant le scepticisme et le désir d'en terminer au plus vite.
C'est un peu comme danser avec le diable, personne n'en a envie, mais chacun durant son existence a droit à son tour de piste…