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C'était un premier contact avec cet auteur classique brésilien du XIXème siècle mais probablement pas le dernier.
J'ai été de suite séduite par son ton aux accents voltairiens, faits d'humour, d'ironie et de fausse naïveté destiné à enfoncer le clou d'un propos toujours bien plus profond et philosophique qu'il n'y paraît de prime abord.
Joaquim Machado de Assis nous présente donc, dans ce petit roman sis en une ville provinciale du Brésil, Itaguaí, les frasques effrayantes d'un scientifique austère, froid et minutieux.
Le docteur Simão Bacamarte veut connaître LA vérité, LA poursuivre jusqu'au tout dernier trou de souris où ELLE se terre traitreusement, LA disséquer pièce par pièce jusqu'en son ultime atome, et, pour ce faire, ne reculer devant aucun moyen, quelque infâme qu'il puisse être, pour arriver à cette fin.
Son sujet d'étude, c'est la folie. Son objet d'étude sera donc la population d'Itaguaí.
Pour ce faire, il va patiemment et consciencieusement mettre sur pied une structure efficace, c'est-à-dire un asile d'aliénés désigné sous le tendre nom de " La Maison Verte ". (N. B. : les créateurs de la marque de détergent homonyme ont tablé sur une méconnaissance de ce roman par les consommateurs, sans quoi ils n'auraient pas osé y faire référence !)
Peu à peu, dans un souci toujours (toujours ?) scientifique (scientifique ?), toute la population va séjourner dans la Maison Verte. Bien sûr, à Itaguaí, ceci ne va pas sans heurts ni sans soulever quelques interrogations...
Les questions que nous soulève Machado de Assis, pour nous lecteurs, sont encore plus intéressantes voire terrifiantes.
Quelle utilisation le pouvoir peut-il faire d'une telle structure ? (L'Allemagne nazie, Les États-Unis, L'U.R.S.S. ou la Chine, pour ne citer qu'eux, ont malheureusement donné largement raison à l'auteur.)
Qu'appelle-t-on folie ? Où se situe la limite ? Qu'est-ce que la normalité ? Qu'est-ce qu'être sain d'esprit ?
C'est là que les questions de L'Aliéniste prennent toute leur force et revêtent un aspect inquiétant. Sommes-nous TOUJOURS sain d'esprit ? Quelle QUANTITÉ de folie contient telle décision, tel comportement ? Où se situe la limite ? Qui situe la limite ?
Un captivant questionnement, en somme ; une écriture vive et plaisante par son humour naïf, qui est loin de l'être ; et donc, pour moi, une excellente impression. Mais — est-ce folie de l'avouer ? — ce n'est que mon impression, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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À la fin du 19e siècle, Simon Bacamarte est un jeune homme fortuné mais il est tout occupé à la tâche qu'il s'est donné. Diplômé aliéniste (ce qu'on nommerait aujourd'hui psychiâtre), il réussit à convaincre les autorités de sa région natale du Brésil, Itaguaï, d'ouvrir un asile pour accueillir les malades mentaux. Tous applaudissent cette initiative. Ne le feriez-vous pas ?

Les premiers cas sont intéressants, mais rapidement tous les locaux qui présentent des comportements inaccoutumés (sans être nécessairement signes de folie aux yeux de leurs concitoyens) sont internés. Et ceux qui osent critiquer sont les prochains suspectés de démence. Après tout, pourquoi voudrait-on libérer un malade mental ? On agrandit et agrandit l'hôpital jusqu'au point où la moitié de la population est sous la garde de l'aliéniste.

Pendant ce temps, les passions se déchainent, les locaux insatisfaits marchent vers l'asile, cette « Bastille d'Itaguaï ». La garde dépêchée pour arrêter les émeutiers se joint à eux, c'est le désordre total ! La rébellion renverse les autorités et proclame un nouveau conseil municipal. Pour l'aliéniste, de telles manifestations de violence sont symptômatiques d'un trouble. Et pareillement pour les supporters de ce gouvernement. Il faudrait les interner…

Comme vous voyez, il n'y a aucune solution. L'aliéniste trouverait le moyen de confiner dans son asile autant ceux qui disent blanc que noir. Malgré cela, on ne peut que suivre la logique inébranlable de Bacamarte. En même temps, on comprend toute l'ironie qu'elle contient, et la critique (sous couvert d'humour) qu'elle fait de la politique et des sciences sociales. Peu importe qui détient le pouvoir, il est toujours dangereux et on doit l'utiliser avec la plus grande prudence.

Mais l'histoire ne s'arrête pas là ! Après avoir reconnu que plus de la moitié de la population soufre d'une santé mentale fragile, ceux qui sont sains d'esprit forment dorénavant une minorité, un cas d'anormalité. Ne serait-ce pas eux qu'on devrait interner ? Comme c'est inquiétant.

Et qu'en est-il de l'aliéniste ? A-t-il été diagnostiqué ? Devrait-il le faire ? Par lui-même, sans doute. À jouer à Dieu, il finit par se croire infaillible. D'où l'importance de ne pas concentrer tous les pouvoirs entre les mêmes mains. Je suppose que l'auteure savait de quoi il parlait, l'Amérique du Sud a vécu plusieurs changements de régime depuis… toujours.

Sous couvert d'aventures rigolotes, le roman L'aliéniste soulève de bonnes questions. Je m'attendais à une lecture agréable et drôle, et ce l'était effectivement, mais beaucoup plus en même temps. J'aime de tels romans, qui réussissent à me faire réfléchir sans en donner l'impression. Joaquim Maria Machado de Assis, que je découvre avec ce roman, vient de gagner un lecteur. Sa plume, tant par son style que par son propos, est d'une incroyable modernité, même cent cinquante ans plus tôt.
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En cette fin de 19ème siècle, le docteur Simon Bacamarte revient dans sa ville natale d'Itaguaï, à quelques encablures de Rio de Janeiro. Fort des nouvelles connaissances qu'il a acquises en Europe et de son diplôme d'aliéniste, il porte désormais un regard aigu et assuré sur les choses de l'esprit humain, en particulier sur la folie : il y a la folie et il y a la normalité. Bardé de son savoir, il convainc les autorités locales de construire un asile, la Maison Verte, où seraient internés et soignés les aliénés de la ville. Un projet jugé louable, responsable et progressiste, donc aussitôt accepté. Et aussitôt pris en charge, les malades mentaux et autres coupables de comportements anormaux. Premier accroc dans la belle théorie : qu'est-ce donc que la normalité ? Manifestement, aux yeux du bon docteur, beaucoup d'habitants de la ville en manquent, et sont donc internés illico. Y compris son épouse, qui développe une "passion anormale" pour le luxe. A ce rythme, c'est plus de la moitié de la population qui séjourne gracieusement à la Maison Verte. D'où le deuxième couac : si les fous sont majoritaires, c'est que la folie est normale, et qu'il faut donc enfermer les gens raisonnables. A force de telles aberrations, troisième hic : la population se révolte et marche sur la Maison Verte comme sur la Bastille, prend le pouvoir de force, ce qui est complètement fou, de sorte qu'elle doit être internée.

D'un retournement à l'autre, le docteur Bacamarte réalise que sa théorie ne se vérifie pas en pratique, que la folie n'est pas unique mais multiple, qu'on peut être fou et normal, en même temps ou pas, et dans une infinité de proportions. Il en arrive à la seule conclusion sensée de son expérience : peut-être est-ce lui qui est fou...

Conte philosophique jubilatoire, écrit à une époque où la science prend le pas sur la religion, "L'aliéniste" pose la question de la définition de la folie mais aussi celle de l'usage des hôpitaux et autres expérimentations psychiatriques lorsqu'ils tombent aux mains de personnes moins préoccupées de santé mentale que de leurs propres intérêts et ambitions de pouvoir, politique ou économique... le bien, le mal, la folie, la raison, l'arbitraire et le libre arbitre, des questions vertigineuses ramassées dans ce tout petit roman ironique et brillant.
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Une fable parfaitement calibrée - entre satire et conte moral - qui met brillamment en scène la dialectique du fou : tout fou est l'insensé du sensé. Et vice-versa.

A méditer, quand on aura fini d'en rire, car dans ces cas-là la fiction et la réalité ont tendance à copier l'une sur l'autre.
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Imaginez Itaguai, une petite ville tranquille du Brésil à la fin du XIXème siècle. Lorsque Simon Bacamarte revient dans cette ville de sa jeunesse, c'est en tant qu'aliéniste, ainsi qu'on nommait les psychiatres à cette époque. Il obtient des autorités locales de quoi construire la Maison Verte, un endroit où les aliénés seront soignés et étudiés. Car le Dr Bacamarte prétend cartographier la folie, en déterminer toutes les formes, et de là, en déduire un procédé universel de soins appropriés. Il commence par l'étude des quelques cas locaux connus, puis en vient à faire enfermer, dans une toute-puissance très étonnante, ceux qui présentent des traits de caractères trop marqués, ou qui se rebellent contre ses dictats. Cela rappelle de trop nombreux dirigeants de pays ou des conjoints pervers qui assoient leurs emprises sur un prétendu déséquilibre de leur compagne. Quoique l'aliéniste ne fasse pas cela pour le pouvoir, mais uniquement pour la science, dit-il.

Bien sûr, puisque nous sommes dans un conte moral (ou immoral), l'auteur brésilien pousse la logique de Bacamarte jusqu'au bout. À un moment la moitié de la population va être enfermée, d'autres vont se rebeller et faire leur révolution, leur Bastille, comme ils disent, mais cela ne s'arrêtera pas pour autant.
Cette lecture m'a permis de découvrir Joaquim Maria Machado de Assis, écrivain et journaliste brésilien (1839-1908), autodidacte né au sein d'une famille très modeste. Il semblerait que toute son oeuvre soit teintée d'humour, ce qui la rend assez inclassable. L'aliéniste est une satire féroce et poussée très loin des sociétés autoritaires et de la science. Il pose la question des définitions de la folie et de la normalité. Cela semble plus simple de nos jours, où c'est le mal-être du patient qui provoque une demande de soins, et où il s'agit plus de lui rendre sa sérénité que de poser un diagnostique. Cela était malheureusement moins évident à l'époque décrite.
Ce fut donc une lecture intéressante, un brin de philosophie de temps à autre ne fait pas de mal, et ce conte m'a souvent fait sourire. Je serais curieuse d'un autre ouvrage de l'auteur pour voir s'il se trouve être aussi de cette veine.
A noter que la préface est très détaillée et gagne donc à être plutôt lue... après !
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Joaquim Maria Machado de Assis, auteur brésilien de la seconde moitié du XIXe siècle nous donne à lire un très court roman aux allures de conte philosophique.

L'histoire de L'aliéniste se déroule au Brésil alors que la psychiatrie s'est institutionnalisée et que les asiles se multiplient en Europe puis dans le nouveau monde. Dans un style sobre et avec une pointe d'un humour discret, Machado de Assis dévoile le récit de Simon Bacamarte, psychiatre qui revient après ses études sur le vieux continent dans une petite ville brésilienne et entreprend d'enfermer tous les fous de la cité dans sa "Maison Verte". Action qui si elle arrange bien les familles de la ville, trop heureuses de se débarrasser à peu de frais de leurs malades mentaux, va davantage les inquiéter au fur et à mesure que le docteur élargi la définition de la folie...

Ce livre court (moins de cent pages) et satyrique nous pousse à un questionnement sur la subjectivité de la folie mais plus largement aussi sur les enjeux et le contrôle de la science (personnifiée ici par Bacamarte) ainsi que sur le pouvoir des institutions de toute nature.

Un petit ouvrage, tout à fait recommandable qui combine simplicité et réflexion.

P.S. : Attention, les éditions Métailié ont cru bon de placer un court résumé de l'oeuvre qui dévoile le déroulement de l'intrigue et la fin du récit. Même si on lit rarement ce type de livre avant tout pour son suspense, je conseille aux lecteurs possédant cette édition de commencer directement à la page 25 et de revenir à la préface ensuite.
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En omettant une analyse littéraire détaillée que ce livre quasi-classique mériterai, je vais donner mon ressenti ainsi qu'un angle de compréhension.
L'aliéniste est pour moi une parfaite utilisation du paradoxe du penseur idéal. On a ici à faire à un homme qui dans toutes ses décisions, souhaite adopter un comportement logique. Il souhaite analyser la folie. En scientifique rigoureux il l'expérimente et ses raisonnements l'amènent à des conclusions logiques mais qui défient l'intuition (ou le bon sens). Après tout pourquoi pas : la médecine ne relève pas toujours de l'intuition. Oui mais voila, ces conclusions ont un sérieux impact négatif sur la liberté, l'originalité etc. Là commence une lutte entre le peuple (que j'analyse comme étant les intuitionnistes) et le savant (logicien parfait). L'auteur nous démontre habilement la stricte impossibilité de la compréhension logique de le folie qui fait partie de la médecine. Devons-nous en conclure qu'on n'est pas à l'abris d' intra-contradictions au sein de la médecine ?
J'irai plus loin en inscrivant J.M. Machado de Assis dans les pionniers de la réflexion sur une IA assez intelligente pour prendre des décisions à notre place. L'oeuvre est un argument pour l'impossibilité d'une l'IA, aussi puissante soit elle, fiable dans tous les domaines scientifiques et humains.
Il y a de très nombreuses meilleures manières d'aborder cette oeuvre mais je n'ai nulle part lu celle-ci qui nous offre une nouvelle lecture qui reste pertinente dans l'ensemble du livre. N'hésitez pas à la confirmer ou à l'infirmer selon vous !
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Traduit du portugais (Brésil) par Maryvonne Lapouge-Pettorelli

Nous avions laissé un J-M Machado de Assis légèrement mélancolique et vieillissant, pas vraiment dans la ligne de ce que la postérité lui reconnaît, le cynisme et l'ironie. "L'Aliéniste", par contre, est un conte cinglant qui moque la science et la médecine de l'esprit au 19e siècle, gloussant au passage sur la comédie humaine. La bourgade Itaguaï (Ithaque brésilienne où revient le médecin Simon Bacamarte, l'esprit plein d'un voyage d'études en Europe) est le miroir d'une société très influencée à l'époque par le positivisme: davantage de rationalité scientifique, moins de théologie et de spéculations métaphysiques. Bacamarte entreprend de bâtir un asile pour les fous, la Maison Verte, aux fins d'étudier ces cas.

L'on aura l'occasion de sourire dès les premières pages, lorsque notre grand homme a convaincu les conseillers de Mairie d'adopter son projet qu'il convient de financer. Il est décidé de taxer les plumets sur les attelages lors des enterrements : "Qui désirerait emplumer les chevaux tirant le corbillard paierait deux testons à la commune pour chaque heure écoulée entre le décès et la bénédiction ultime au-dessus de la sépulture." Mais le calcul du rendement de la taxe s'avérant fort compliqué, "l'un des conseillers, qui n'accordait aucun crédit à l'entreprise du médecin, demanda qu'on dispensât le malheureux d'un travail aussi inutile". Les taxes communales, déjà.

Humour entretenu au paragraphe suivant lorsque Simon Bacamarte entend graver une inscription sur le frontispice du bâtiment : arabisant de longue date, il tient du Coran que Mahomet jugeait les fous vénérables, car Allah les priva de jugement afin qu'ils ne puissent se rendre coupables de péché : "craignant d'indisposer le curé, et son évêque par personne interposée, il attribua la sentence au pape Benoît VIII, mensonge fort pieux du reste, qui lui valut de la bouche du père Lopes, lors du déjeuner d'inauguration, le récit de la vie de l'éminent pontife".

Esprit et décor plantés, la fable vire continuellement à l'inattendu. Je ne résumerai pas le scénario de ce livre court, il en perdrait sa saveur. Sachez que les théories du médecin, mises en application au fil du récit, donnent lieu à divers retournements au gré des conclusions logiques auxquelles parvient le savant, dont la moindre n'est pas la décision de relâcher les véritables aliénés pour enfermer les (rares) gens équilibrés, qui lui paraissent soudain relever de la pathologie mentale. On ne s'étonne pas que tout cela conduise à une révolte contre la Maison Verte, sorte de prise de la Bastille (l'Histoire contemporaine ne nous a-t-elle pas appris que l'espace carcéral prend la forme de l'internement psychiatrique ?). Et l'occasion pour Machado de Assis, qui sait combien l'Amérique latine est sujette aux changements brusques de régime, de mettre en scène une très efficace parodie de soulèvement populaire, de dictature populiste et de concupiscence du pouvoir.

Dans le monde nouveau qui s'annonce à l'époque, le savant prend la place du prêtre ; il est chargé non plus de dire le bien, mais de dire le vrai ; il n'y a plus vraiment de péché et de mal dans la société, mais le déséquilibre, la pathologie et la folie. Machado de Assis plonge ce savant-type moderne et occidental, obsédé par la vérité et la raison raisonnante, dans une société brésilienne encore archaïque, marquée par la foi et par un certain manichéisme. le livre interroge la figure du scientifique empirique, celui qui veut tout réduire, y compris la morale, à ce que sa science lui permet de comprendre.

"Sans doute, l'un des premiers soins des aliénistes du XIXe siècle a été de se faire reconnaître comme «spécialistes». Mais spécialistes de quoi ? de cette faune étrange qui, par ses symptômes, se distingue des autres malades ? Non pas, mais spécialistes plutôt d'un certain péril général qui court à travers le corps social tout entier, menaçant toute chose et tout le monde, puisque nul n'est à l'abri de la folie ni de la menace d'un fou. L'aliéniste a été avant tout le préposé à un danger ; il s'est posté comme le factionnaire d'un ordre qui est celui de la société dans son ensemble." (Michel Foucault - "L'asile illimité" - Le Nouvel Observateur mars-avril 1977).

Conseil: lisez l'introduction de Pierre Brunel (littérature comparée) après, ce sera plus profitable et moins spoilant.

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Voici un auteur brésilien du XIX qui est peu connu, qui est plus cité que lu, mais qui est un grand écrivain sud-américain, fondateur de l'Académie des Lettres dans son vaste pays.
"L'aliéniste" est un bijou datant de 1881, une pépite que j'ai lu en espagnol, c'est à dire déjà traduit du portugais. Quelle splendeur cela doit être de le lire en langue vernaculaire !
C'est un conte philosophique, d'un modernisme, d'une drôlerie, d'une pertinence incroyables. le narrateur prend le lecteur à témoin et lui fait sans arrêt des clins d'oeil.
C'est l'histoire du bon docteur Simon Bacamarte qui revient au Brésil après des études européennes à Coimbra et à Padoue. Il a en tête d'ouvrir un asile d'aliénés dans une petite localité près de Rio de Janeiro: Itaguaí. L'idée est pour le moins très originale parce qu' à l'époque on soigne les malades mentaux agités à la maison et les "calmes" se promènent tranquillement en ville.
Nous sommes dans un Brésil colonial à la fin du règne de l'empereur Dom Pedro II et le début de la république. le mot aliéniste est nouveau, le docteur Bacamarte est un contemporain de Charcot et la psychiatrie balbutiante s'attache aux classifications des maladies mentales plus qu'à guérir les patients.
Très vite le docteur va remplir son asile avec les 4/5ème de la population d'Itaguaí parce que les maniaques en tout genre pullulent en ville; même sa jeune épouse sera internée car elle a la "manie du luxe" avec son goût immodéré des bijoux...
A cette époque et dans cette société, le rôle du médecin est en compétition avec le rôle du curé parce que le discours médical va remplir le vide laissé par le discours religieux.
Le bon docteur passe son temps le nez dans les livres de Médecine du temps d'Averroès et pour dire les choses clairement, il est totalement à côté de la plaque.
A force d'interner à tour de bras les âmes d'Itaguaí, le docteur Bacamarte va réviser sa position et comprendre que le déséquilibre mental est "normal" et exemplaire et que les cas "équilibrés" devront être considérés comme pathologiques.
Il va postuler que la folie on la retrouve chez une minorité de gens équilibrés et vertueux, alors que la raison est présente chez la majorité des fous.
Et que finalement à Itaguaí il n'y a pas de fous et que c'est lui, le docteur Bacamarte qui a le maximum d'attributs du "parfait frappadingue". Son échec à trouver une vérité scientifique équivaut à l'échec de la Science.

Un conte très brillant, avec une écriture parfaite, un style finement ironique qui pousse à nous formuler quelques questions : qui est fou? qui n'est pas fou ? Si vous optez pour une réponse lacanienne, tout le monde est fou.

Cette lecture m'a laissé l'envie de lui lire son chef d'oeuvre de 1899, le roman "Dom Casmurro", ainsi que sa biographie par l'écrivain chilien Jorge Edwards "Machado de Assis" de 2003.
Lien : https://pasiondelalectura.wo..
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Machado de Assis fait partie, à mon avis, des grands écrivains brésiliens. Fin du XIXème siècle.

Si vous voulez connaître Machado de Assis, ce livre est un bon choix. Suffisamment court pour donner une idée de son style.

Pour faire simple, il s'agit d'un médecin psychiatre, jeune diplômé, qui arrive dans une petite ville brésilienne et fini par interner tous les habitants dans un asile de fous.

Lorsque vous lirez ce livre, vous ne pouvez pas ne pas penser "Knock ou le Triomphe de la médecine" de Jules Romains. Peut-être que Jules Romains s'est inspiré de L'Aliéniste, puisque Knock est venu après. Mais il y a des différences. Knock est un charlatan tandis que le docteur Bacamarte est un vrai médecin. le texte Knock est raconté avec le jargon de la campagne française tandis que L'Aliéniste est l'équivalent de l'humour brésilien. Et les deux histoires ne finissent pas de la même façon.

C'est une histoire drôle avec un fond philosophique : on peut se poser la question "c'est quoi la folie ?". Et cet écrivain brésilien la posait déjà il y a plus de 100 ans.

Pour info, "bacamarte" est le mot en portugais pour désigner une "espingole", un fusil ancien avec un canon court et évasé.

Ceci est une relecture - je l'ai lu en portugais il y a très très longtemps.
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