— Voyez-vous, Edith, le grand point, c’est d’être d’accord avec soi-même… et de garder intacte sa foi.
Je n’ai plus envie de pleurer. Je ne sens plus sur ma poitrine le poids qui l’oppressait et je suis délivrée de la griffe amère de la solitude. Mon cœur a trouvé sa voie et ma vie son sens…
Et c’est en définitive, sur la route de Bruges, que j’ai découvert… mon royaume en Kabylie.
J’étais dans un état d’effervescence indicible. Moi. Edith, la fille indépendante qui ne vivais que pour l’étude, les concours, la médecine et dont la camaraderie des étudiants suffisait à remplir la vie sentimentale, je me découvrais amoureuse…
O mon bel amour qui avait pris naissance dans le vent de mer, sous la nuit éclatante d’étoiles et qui trouvait tout son sens, toute sa force, dans ce paradis merveilleux qu’était cette ardente et sauvage Kabylie !…
Serait-ce là mon pays, désormais ? La pensée d’abandonner délibérément Paris, la France, tout le cadre de ma vie passée, ne me laissait aucun regret. J’aimais et il me semblait que le sentiment qui venait de se révéler à moi était un grand feu pur, capable d’illuminer mon existence entière.
Que les hommes sont indiscrets !… A plusieurs reprises, j’ai surpris le regard de cet inconnu fixé sur moi à travers le carreau de ma porte : un regard intense, insistant, insolent. J’ai pris mon air le plus hautain et je lui ai rabattu à la face le rideau de coton bleu aux initiales de la compagnie qui masque et isole notre compartiment. Malheureusement, il s’est passé un incident grotesque dont ma dignité à quelque peu pâti, le rideau, comme mu par une force maligne et narquois…, s’entêtait à ne pas vouloir se fermer. A peine l’avais-je abaisse d’un geste si que, à vive allure, il remontait, à mon nez, me livrant de nouveau à la curiosité gouailleuse de mon badaud.
J’ai conscience d’agir comme en un rêve. Moi si calme, si positive, si maîtresse de moi, je ne me reconnais plus… J’ai des angoisses de femmelette et je me mets à désirer, de toutes mes forces, la présence de cet inconnu à mes côtés. Non… je ne pourrais pas rester isolée ce soir et l’idée de ma cabine, étouffante et solitaire, me donne la nausée.
— Vous connaissez la Kabylie ?
— Qui ne connaît la Kabylie, en Afrique du Nord ? sourit-il. C’est une des contrées les plus poétiques qui existent. Je ne sais rien de plus grandiose qu’un coucher de soleil sur le Djurdjura.