C'est une fois de plus sur ses terres de Provence, après son premier roman "
Le dit du Mistral", qu'
Olivier Mak-Bouchard ancre les évènements du "Temps des grêlons". Pas un traité météorologique, bien que des orages surviennent, mais un roman tout à fait atypique, mélange surprenant des genres, osant un ton original.
C'est à hauteur d'enfant, grâce à un jeune narrateur (dont le prénom n'est dévoilé qu'en fin de récit), que nous pénétrons dans cette histoire où tout débute par un étrange événement : les appareils photo ne représentent plus les êtres humains! Les paysages, oui, mais finis les selfies, le cinéma, la télé, le JT...
Saturé par notre omniprésence via nos clichés, dont le nombre ne cesse d'augmenter, le cloud s'est rebellé. Mais il ne se contente pas simplement de ne plus figer nos visages sur nos écrans numériques ou sur papier glacé ! Voilà que le cloud se met aussi à "recracher" nos avatars, larguant comme des grêlons les malheureux qui se sont fait "tirer le portrait" depuis le 19ème siècle...
Très discipliné, il respecte un ordre chronologique et renvoie d'abord les 1ers "cobayes" pris en photo par l'inventeur de l'appareil photo, M. Daguerre, dès 1837. Les personnages ainsi "recrachés" par le nuage "cloud", surnommés donc "les Grêlons", ne sont que le reflet des personnes disparues depuis bien longtemps. Pourtant ils se meuvent, respirent, mangent, comme de véritables personnes. Mais ils restent apathiques, simples avatars de ceux qu'ils représentaient. Pas tout à fait humains, pas non-humains non plus.
Dès lors, que faire d'eux ? Certains, à force d'efforts, finiront par être "illuminés", gagnant en conscience et en personnalité, les autres végétant dans un état fantomatique.
Au vu des progrès en matière de photographie sur ces deux derniers siècles, il devient évident que des arrivées massives de "grêlons" se profilent et que la situation va empirer.
De cette situation burlesque mais dramatique, l'auteur aurait pu tirer un roman s'inscrivant uniquement dans le registre de la science-fiction. Or,
Olivier Mak-Bouchard, s'il introduit un élément imaginaire et peu probable (quoique ?!), s'ingénie ensuite à dresser l'état "des lieux et des âmes" d'une société qui ne sait que faire d'individus, au mieux problématiques, au pire indésirables. D'aucun pourrait s'aventurer à établir un parallèle avec les réfugiés, migrants climatiques, politiques ou économiques ; mais aussi de façon plus osée avec les personnes âgées, déjà considérées aujourd'hui dans certains pays comme inutiles économiquement, donc à charge...
Pour aborder ce thème grave, l'auteur fait le choix de s'attacher aux trajectoires de trois enfants, copains d'école, qui grandissent au cours du récit et feront des choix différents. le narrateur, éternel enfant durant tout le roman, Jean-Jean le meilleur ami bègue et la copine anglaise Gwendoline.
Olivier Mak-Bouchard livre un roman incroyablement "calibré", équilibré, parfaitement "dosé" puisqu'il parvient à faire cohabiter la douceur, ce côté enfantin de la narration, avec un contexte qui s'assombrit progressivement. Mais il sait aussi entrelacer imaginaire et réalisme : partant d'un postulat digne de science-fiction (le cloud recrachant les sujets photographiés), il tisse un récit où l'on retrouve des problématiques de notre Histoire, des comportements qui ne nous sont pas inconnus et des questionnements sur ce qu'il pourrait advenir de nos sociétés.
Je suis très admirative de la plume de l'auteur, et de la pertinence de son choix de registre littéraire: il louvoie sans jamais perdre ou lasser le lecteur entre le conte initiatique (le "Candide"
De Voltaire), cette narration naïve et enfantine autour d'une thématique sérieuse, et la science-fiction (à la façon d'un Orwell ou
Aldous Huxley)
Les remarques à hauteur d'enfants sont pleines de fraîcheur, d'une simplicité qui porte à sourire, d'une délicieuse (bien qu'involontaire puisqu'émise par un enfant) irrévérence:
"Gwendo, elle a pas la même religion que nous, elle a la religion de son pays, ceux qui protestent . C'est un peu pareil que nous mais pas tout à fait : ils veulent bien croire en Dieu, en Jésus , mais à la Vierge Marie, non là ils veulent pas y croire, c'est vraiment trop gros, ils ont protesté,".(P.45)
J'ai beaucoup souri et souvent ri des réparties de ces trois jeunes amis, des réflexions du jeune narrateur, si ingénu, sur les comportements des adultes, sur notre société, nos hypocrisies et nos petits travers.
Olivier Mak-Bouchard croque la situation avec le sens du burlesque et déroule totalement ces événements insensés. Je me suis régalée des réactions des professeurs de lettres, s'apercevant que le Grêlon d'
Arthur Rimbaud n'offrirait pas d'oeuvre supplémentaire à l'humanité ! C'est d'un délicieux cynisme:
"Les semaines passaient et les Grêlons, ceux d'
Arthur Rimbaud comme les autres, non seulement ne faisaient toujours pas de vers, n'ajoutaient aucune rime à leur oeuvre, mais restaient farouchement hébétés, ne disaient rien, ne savaient rien. Les yeux ailleurs ils étaient là sans être là. Ils ne faisaient que nous regarder, fixement.
La déception a été grande, la moitié des profs de lettres et d'histoire se sont mis en dépression jusqu'à la fin de l'année."(P.120)
Malgré le contexte préoccupant, le récit gagne en cocasse et maintient ce ton frais grâce à la narration ingénue de son jeune protagoniste, qui assiste à cette "débandade" historique !
Mais malgré ce ton naïf et enfantin du début, imperceptiblement le récit bascule vers un réalisme empreint de menaces : d'une situation improbable qui apparaît au tout début comme étonnante, parfois amusante, l'auteur fait chanceler son roman dans un monde inquiétant qui n'est pas sans rappeler de sombres périodes historiques.
Quand la recrudescence des cas de Grêlons commence à peser sur la société, que des voix discordantes se font entendre, ce ne sont plus juste diverses opinions qui s'expriment mais des visions radicalement opposées qui émergent. le glissement qu'opère
Olivier Mak-Bouchard est finement amené, mais toujours avec le regard indolent mais très doux du protagoniste.
Et je suis totalement conquise par la construction de son roman, d'autant plus quand je relis la note de l'éditeur en début d'ouvrage et "l'achevé d'imprimer" dans les dernières pages, qui se répondent parfaitement et achèvent une boucle parfaite.