Prix Médicis, Prix Goncourt et Prix Goncourt des Lycéens en 1995
Avec de telles récompenses, un fait rarissime, il faut bien reconnaître que ce fut le livre de l'année 1995. Malgré le temps passé, nous étions curieux de réparer une négligence bien regrettable, à l'époque.
Dire qu'on avait refusé la nationalité française à un tel homme ! Fou amoureux de notre langue et de notre culture,
Andreï Makine qui vient d'entrer à
L Académie Française, est né à Krasnoïarsk, en Sibérie, le 10 septembre 1957 mais a été élevé en français par sa grand-mère, Charlotte, fille de Norbert et Albertine Lemonnier : « Quant au français, nous le considérions comme un dialecte familial. » Égarée dans l'immensité neigeuse de la Russie, elle avait même appris aux femmes russes à dire « petite pomme »…lorsqu'on les prenait en photo…
Avec son style plein de sensibilité et de poésie, dans un français parfait, l'auteur fait revivre ses souvenirs d'enfance, retrouvant les photos de sa grand-mère lorsqu'elle était enfant et les traces d'un lointain amoureux français, avant grand-père Fiodor. Il y a aussi les articles de presse que Charlotte aimait à découper.
Andreï Makine fait revivre cette ville de Saranza, au bord des steppes, des souvenirs d'un charme indéfinissable, sa grand-mère qui n'allait pas s'asseoir avec les babouchkas qui l'appelaient « Choura » et les transformations apportées par la Révolution. L'église avait été amputée de sa coupole et transformée en cinéma…
Alternant sa découverte progressive de notre pays et de Paris en particulier, avec la vie mouvementée de sa grand-mère, l'auteur détaille le retour de Charlotte en Russie, en 1921, comme infirmière de la Croix-Rouge parce qu'elle parle russe. La description de son voyage depuis Moscou jusqu'en Sibérie, dans un continent repu de sang, nous fait côtoyer l'horreur car elle découvre l'enfer. Toujours avec beaucoup de sensibilité,
Andreï Makine nous fait partager le quotidien de ces femmes qui doivent surmonter les rigueurs d'un hiver qui tombe d'un seul coup, protégées seulement par leur isba.
Foisonnant de références historiques, le livre fait revivre la visite du tsar Nicolas II à Paris et la mort, quelques années après, de
Félix Faure, le Président de la République qui l'avait reçu. Mort, à 58 ans, dans les bras de sa maîtresse, Marguerite Steinheil…Pour le jeune Andreï, ébahi, c'est la preuve du romanesque de cette France qui l'attire tant : « Les amants de l'Elysée m'aidèrent à comprendre Madame Bovary. » Les Français, toujours en train de revendiquer, l'étonnent beaucoup car ils ne sont jamais contents du statu quo, ce sont des mutins-nés, des contestataires par conviction, des râleurs professionnels. Les idées et les images s'entrechoquent, se poursuivent, se contredisent dans un amour-haine de la France où il n'arrive à faire éditer ses premiers livres qu'en faisant croire qu'ils sont traduits du russe…
Il serait bien vain de vouloir détailler tout ce qui foisonne dans ce roman autobiographique tellement émouvant et révélateur de ce que fut la vie d'une famille au fil de l'Histoire.
le Testament français est accompagné d'un autre texte du même auteur :
Confession d'un porte-drapeau déchu, une autre description de la vie de gens du peuple, en Russie.
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