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Critique de enjie77


« Les souvenirs sont faits d'une substance étrange – ils sont trompeurs et pourtant impérieux, puissants et impalpables. On ne peut pas se fier au souvenir et pourtant, il n'y a pas d'autre réalité que celle que nous portons dans notre mémoire. Chaque instant que nous vivons doit son sens à l'instant précédent. le présent et l'avenir seraient inexistants si la trace du passé s'était effacée de notre conscience. Entre nous et le néant, il y a notre capital de souvenirs, rempart assurément quelque peu problématique et fragile ».

Ainsi commence le premier chapitre de l'autobiographie de Klaus Mann, intitulé « Les mythes de l'enfance » qui coure de l'année 1906 à l'année 1914. Klaus, de son nom complet Klaus, Heinrich, Thomas Mann est né le 18 novembre 1906, très peu de temps après la naissance de sa soeur Erika, dans une famille d'esthètes, très cultivée, bourgeoise mais à l'esprit un peu bohême. Il est le fils aîné de Thomas Mann et de Katia Pringsheim - ou si vous préférez du « Magicien et de Meilein ». Son enfance est très heureuse, il en parle avec beaucoup de tendresse, il associe le berceau à une barque magique comme la voiture d'enfant, au paradis perdu. Déjà, dans ces très belles lignes, on sent poindre quelques tourments :

« Peu à peu cependant, le berceau a changé de forme ; il est devenu plus long et plus étroit. le bateau qui m'emporte à présent jusqu'au port de l'oubli est d'un matériau plus dur et d'une couleur plus triste et plus sombre. Berceau et cercueil, tombe et sein maternel – notre coeur les confond et, pour finir, ils se ressemblent presque. »

La qualité de l'écriture est constante pendant les douze chapitres dont le dernier porte le titre LE TOURNANT et s'étend de 1943 à 1945. C'est un petit pavé de la collection Babel de 700 pages qui vous captive de bout en bout même si je me suis essoufflée, parfois, lorsque l'auteur décrit, au fil de ses pérégrinations, les portraits de certains artistes qui me sont inconnus.

Klaus Mann, malgré l'ombre de son Nobel de père, possède un véritable talent d'écrivain qui m'a particulièrement fascinée. C'est un écorché vif, un penseur, un être particulièrement intelligent et surdoué. Il a quatorze ans lorsqu'il commence à écrire :

« J'avais à peu près quatorze ans lorsque j'ébauchai un assez long traité grâce auquel je voulais démontrer une fois pour toute la non-existence de Dieu. »

Pour un garçon, vivre avec un père écrivain et nobélisé, ce doit être une véritable épreuve que de surmonter une telle présence imposante, vénérée. Il faut une force intérieure puissante pour trouver sa place surtout si les aspirations des deux chemins sont communes.
Malheureusement, il devra faire face à la comparaison des lecteurs ce qui petit à petit lui portera un réel préjudice.

« Lettre de Thomas Mann à Hermann Hess le 6 juillet 1949, évoquant le suicide de son fils :
Mes rapports avec lui étaient difficiles et point exempts d'un sentiment de culpabilité, puisque mon existence jetait par avance une ombre sur la sienne (….). Il travaillait trop vite et trop facilement ; ce qui expliques les quelques taches et négligences dans ses livres ».

Lorsque Klaus relate ses années après la Grande Guerre, il ne cache pas qu'il lui a fallu du temps pour qu'enfin, la voie qu'il avait choisie lui apparaisse clairement. Il a papillonné un peu dans cet après guerre ; à la fois période de tous les excès mais période d'une grande richesse culturelle. La voie littéraire lui est apparue comme une évidence, il était prêt à relever le défi.
Aucun propos désobligeant à l'égard de son père ne vient entacher son récit. Bien au contraire, l'intimité de la famille est décrite avec beaucoup d'affection. Klaus assume son homosexualité mais n'en fait pas un sujet du livre. Elle se manifeste très discrètement comme ses écarts liés à la drogue. de ces lignes, il se dégage l'image d'un Klaus d'un être particulièrement attachant. Son écriture, sa pensée, son regard sont tout ce qu'il y a de plus profond, d'intense et de lucide sur une période qui a dû être une souffrance pour lui quand on connait ses idéaux. Sa culture, la ville de Munich, le bonheur au sein de la famille Mann, son éducation et les écoles fréquentées, transparaissent dans ses écrits. Si l'écriture est vraiment très belle – et c'est d'une telle évidence - la subtilité de ses réflexions a retenu toute mon attention.

Sa propre histoire se mêle à l'histoire de son pays. Après avoir traversé la guerre de 14/18, vécu la révolution des conseils de Bavière, expérimenté les désordres terribles de l'inflation, L'Allemagne a la « gueule de bois » : plus d'empereur, plus d'argent, plus d'Alsace, plus de flotte, plus de colonies, plus d'illusions.

Klaus a 18 ans et se lance dans une carrière littéraire. Accompagnée de sa soeur Erika, ils voyagent. Paris leur tend les bras, ils découvrent la ville Lumière et tous ses artistes qui à cette époque, sont légion, venus de tous les coins du monde. Il y a des pages magnifiques sur Cocteau, sur Gide, sur Chagall, c'est à ce moment qu'il fait la connaissance de René Crevel. La lecture devient étourdissante dans ce Paris des années 20 où l'on y parle de Kafka, d'Oscar Wilde et où la présence amicale de Stefan Zweig imprègne le récit.

Le retour en Allemagne se fait moins enthousiaste. le nazisme voit le jour, il prend de l'importance mais Klaus n'y croit pas, cette maladie ne peut pas contaminer l'Allemagne. le jeune « dandy » se transforme en ardent défenseur de la démocratie et de l'esprit européen à l'image de Zweig. Il combat la doctrine nazie, cherche à éveiller les consciences, il s'expose, mais il lui faudra à un moment donné s'exiler et rejoindre sur la Cote d'Azur tous les apatrides venus d'Allemagne et d'Autriche. Au cours de cette période, l'auteur se confronte à la souffrance, à la douleur d'être un exilé, à la frustration, à l'humiliation mais c'est aussi à ce moment là que l'écrivain se bonifie.

« Manfred Flügge a écrit un livre sur Amer Azur, artistes et écrivains à Sanary.
Après 1933, Thomas Mann, Lion Feuchtwanger, Franz Werfel, Alma Malher-Werfel, Franz Hessel , Bruno Franck, Wilhem Herzog, L, Joseph Roth, Stefan Zweig, Luddwig Marcus, Heinrich Mann, René Schickele.

Sanary devient la capitale de la littérature allemande en exil selon Ludwig Marcus : une plaque commémorative est apposée sur l'Office du tourisme et la médiathèque posséde un fonds important sur ces auteurs de langue allemande exilés à Sanary. »

Dans ces années d'exil, Klaus ne lâche pas son militantisme. Il crée une revue « Die Sammlung » qui est éditée par les Editions Querido à Amsterdam. Il est particulièrement soutenu par Bruno Franck. Les auteurs seront Bertolt Brecht , Max Brod, Cocteau, Gide, Einstein, Hemingway, Aldous Huxley, Ernst Toller pour n'en citer que quelques uns.

Exilé aux Etats-Unis, il revient en Europe après la Seconde guerre mondiale. Il se suicide le 21 mai 1949 à Cannes.

Ce récit est un témoignage remarquable. Klaus Mann parle très peu de lui. Il brosse surtout le portrait de toute une époque en y portant son regard perspicace. Ce livre fait l'objet d'un premier récit édité en 1942 pendant sa période américaine. La version « Babel » a été largement augmentée avec, notamment, des pages de son journal intime. Ce livre s'adresse aux amateurs d'histoire, il dépeint les milieux artistiques et surtout littéraires de ces années « folles », mais aussi d'une certaine jeunesse engagée et se voulant libre, de la douleur de l'exil mais aussi d'une certaine réalité qui n'est pas toujours celle dont on rêve.

J'admire la littérature allemande du XXème siècle qui nous offre les grands noms de la littérature germanique, ces noms qui figurent aussi en tête des grands noms de la littérature en général. Klaus Mann fait partie de ces grands noms, il était juste de lui rendre cet hommage et de continuer sa découverte avec « le Volcan ».

Vous voudrez bien m'excuser pour la longueur de mon commentaire.

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