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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Neuf ans après « Ceux qui me restent », Damien Marie et Laurent Bonneau reviennent avec un nouveau one-shot qui invite cette fois à suivre le parcours de Fabien, un jeune homme qui rêvait d'une carrière d'artiste, mais qui doit finalement se contenter d'un travail à la chaîne dans un abattoir de cochons afin de parvenir à boucler les fins de mois difficiles. S'il ne croise plus trop sa femme, qui enchaîne les gardes de nuit dans un hôpital, il s'accroche au petit rayon de soleil qui illumine la vie du couple depuis cinq ans. Arrivée sur le tard, après de nombreuses fausses couches, des inséminations artificielles et des fécondations in vitro, la petite Elisa déborde non seulement d'énergie, mais également d'imagination. Ce sont d'ailleurs les histoires qu'elle invente le soir avant de rejoindre les bras de Morphée qui vont subitement réveiller la flamme artistique qui sommeillait en lui…

Damien Marie, dont je suis grand fan depuis « Welcome to Hope », nous plonge dans la France d'en bas, au coeur de cet engrenage pervers qui pousse les gens à mettre leurs rêves de côté au détriment d'une réalité économique souvent cruelle, obligeant à accepter des métiers à la con pour joindre les deux bouts, tout en s'accrochant aux petits moments de bonheur, allant de bières entres amis au rituel du soir qui permet à son enfant de trouver le sommeil.

Damien Marie rend hommage à ces artistes qui voguent à contre-courant d'une société où l'argent est roi, tout en dénonçant les dérives d'un art devenu lui-même commerce. En suivant les pas d'un ancien étudiant des Arts Appliqués, condamné à tuer des porcs pour survivre, l'auteur met le doigt là où ça fait mal, invitant à réfléchir sur notre société, sur ces familles qui galèrent au seuil de la pauvreté, sur les laissés pour compte, sur l'abrutissement du travail à la chaîne, sur l'élevage intensif et sur la création artistique… pour finalement proposer deux fins alternatives à son récit : une heureuse, imaginée…puis celle, plus probable, qui résulte de la dure réalité.

Visuellement, Laurent Bonneau propose des planches très aérées, qui permettent de saisir les petits instants de la vie, ces silences et ces non-dits qui capturent les moments de tristesse ou de joie qui jalonnent l'existence. Installant immédiatement l'ambiance adéquate en alternant les teintes au fil du récit, il installe son graphisme au diapason des émotions véhiculées par le scénario. Et que dire de ces planches tout bonnement magnifiques où l'univers onirique de la fillette se superpose à merveille à la réalité du père ?

Quand l'art rend hommage à ceux qui ont le courage de l'exercer, on ne peut qu'applaudir !
Lien : https://brusselsboy.wordpres..
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Fabien raconte une histoire à sa fille Élisa, cinq ans. Cela peut sembler banal, sauf que ce récit fantastique qu'il invente sur le moment semble débouler dans sa vie, de quoi perdre ses repères. Ceci amène cela et voilà que Fabien se pose pas mal de questions. Il a un travail abrutissant aux abattoirs et, soudain, réalise qu'il pourrait changer de vie.
Mais qu'en pense sa femme pour qui la vie aussi est difficile car son quotidien à l'hôpital est épuisant. Pourtant, leur vie va changer, et pas forcément pour le mieux, mais il y aura du rêve, grâce à un porc réformé. L'inattendu peut se cacher dans des choses fortuites et ouvrir grand la fenêtre à d'autres possibles
L'auteur aborde le thème du travail sans avenir et abrutissant, des fins de mois difficiles mais aussi la différence avec une jeune femme autiste. C'est à ses côtés qu'il va reprendre le chemin de l'art, abandonné depuis longtemps. Et si tout pouvait changer ? Et si ce n'était pas trop tard ? On se met à espérer à ses côtés.
Heureusement, au milieu de ce marasme très sombre, on trouve des moments de grâce auprès des amis et de la fillette, et on se prend à rêver à autre chose, comme Fabien.

L'auteur a su décrire une réalité dure, sans avenir dans une société sans concessions.
Les couleurs, qui changent au fil du propos, découpent le texte selon les moments de vie.
J'ai aimé les personnages, et leur façon de s'exprimer. Il y a une émotion tangible à travers les dessins et les dialogues. Tout cela est très réaliste mais aussi laisse sa place au rêve.
Une belle lecture qui m'a touchée.

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Après des années de tentatives, Fabien et Aude sont, enfin, les parents de la petite Élisa, qui, aujourd'hui, a presque 6 ans. Un bonheur qui enchante leur quotidien pas toujours rose. Elle travaille à l'hôpital public, arrangeant ses gardes en fonction de Fabien qui, lui, tue des cochons du matin au soir ou du soir au matin. Une situation qui fait qu'ils ne se voient pas beaucoup. de plus, Fabien ne s'épanouit pas du tout dans son travail qui ne devait être que temporaire. le soir, Fabien s'octroie un moment rien qu'avec sa fille au cours duquel il lui lit une histoire ou parfois en invente à partir de personnages imaginés par celle-ci. Or, le cerf majestueux de l'histoire, Fabien le croise, étonnamment, le lendemain. Et lorsque, plus tard, sa fille imagine un cochon avec un beau tatouage de coeur, Fabien n'en revient pas, alors qu'il se tient au poste de contrôle de l'arrivée des animaux depuis les fermes voisines, d'en voir justement un...

L'imagination d'une petite fille peut-elle faire dévier le cours de la vie ? Quel sens donner à sa vie, partagés que nous sommes, parfois, entre la passion et la raison ? Après l'émouvant « Ceux qui me restent », le duo, Damien Marie et Laurent Bonneau, revient avec un roman graphique tout aussi fort et poignant, à la fois contemporain et fantastique. À partir de cette famille soumise aux contraintes de la vie, lui trouvant son travail à l'abattoir de plus en plus pénible et dur, elle devant faire face au peu de moyens de l'hôpital public, l'auteur nous plonge dans une chronique sociale introspective, teintée d'une certaine mélancolie. Fabien veut donner un nouveau sens à sa vie et à son travail. En cela, l'imagination de sa fille et sa rencontre avec cette gamine autiste et artiste vont l'y aider. Si les personnages sont remarquables de réalisme, les dialogues n'en sont que plus forts tant chaque mot semble pesé. Graphiquement, Laurent Bonneau donne vie à ce scénario. le trait, lui aussi réaliste et tout en finesse, a su capter toutes les émotions et l'ambiance, tour à tour réelle ou évocatrice. Ses planches, en bichromie, originales et puissantes, sont juste magnifiques.
Un album sensible...

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Tout d'abord, j'ai adoré le graphisme, le trait est brut, réaliste, comme du dessin d'observation, très juste parfaitement proportionné, avec une rapidité dans le trait, donnant une vivacité à la mise en images, comme pris en direct devant la scène, du coup on s'immerge totalement dans le récit, tel un observateur présent dans la scène. La couleur est travaillée en aquarelle ou encre, généralement un seul ton par planche, donnant l'illusion d'une bichromie mais surtout accentuant encore cette impression de prise sur le vif. le trait, le coup de pinceau, l'étalement de l'encre possèdent une force remarquable, c'est énergique, on sent l'énervement du personnage devant sa situation, et aussi les moments de flottement.

Il est question de souffrance animale et d'Art contemporain, mais le véritable thème est bien plus universel, il s'agit de la façon de mener sa vie, des espoirs, des choix, des contraintes que la vie nous impose et surtout des rêves brisés. C'est un thème qui, quand il est bien traité, me passionne et me bouleverse toujours, et j'ai trouvé cette bande dessinée particulièrement puissante et troublante sur ce sujet.

Fabien se destinait à l'Art, mais il a aussi choisit d'avoir une famille, rien n'est simple, Aude a dû faire une insémination artificielle, et l'enfant est arrivé, la liberté s'est envolée, il a fallu prendre un boulot alimentaire, Fabien, l'artiste, se retrouve à travailler aux abattoirs. Un jour, il découvre dans un lot de cochon, un animal aux tatouages étranges, cela provoque une prise de conscience, une nécessité de retourner à la création.

C'est raconté avec beaucoup de poésie, de dureté aussi, les réflexions sont particulièrement justes et riches, pas de pathos romantique et de mise en scène lyrique, au contraire, tout est dans le sensible, par la manière d'étaler la peinture sur les planches, certaines vignettes sont totalement abstraites, on est toujours dans l'effleurement de la réalité, le rythme est plutôt lent, pour nous laisser le temps de nous déstabiliser, cette lecture ne fait pas dans le confort, c'est rude, parfois désespérant, et à d'autre moment, c'est le contraire, il y a un côté maniaco-dépressif dans ce rythme cassé, mais c'est la vie telle qu'elle est, quel est son prix pour celui qui a une conscience, qui a des choses à dire et qui se tait, le poids des choix est parfois trop lourd.

Bref, cette bande dessinée m'a bouleversé, m'a troublé, m'a ému, elle comporte beaucoup de force et de puissance, c'est un beau coup de coeur !
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Club N°54 : BD sélectionnée ❤️
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Wahouu quel album !

Tous les sujets (la paternité, l'amour, le travail, l'amitié, l'engagement, le travail subi... ) sont traités intelligemment et avec beaucoup d'élégance...

Très bel album.

Barbara
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Quelle superbe découverte !

Laurent Bonneau aux dessins qui offrent une oeuvre visuelle captivante, avec un trait très particulier et des ambiances bi-chromiques qui changent selon l'environnement.

Damien Marie aux desseins, qui marie parfaitement à l'écriture le banal de la vie et la folie de la passion.

Un couple qui se perd, la magie de l'enfance, le fantastique qui s'introduit dans les difficultés du quotidien, l'art et la vocation… tout fonctionne.

C'est touchant, intelligent et ça laisse le spectateur réflectif sur cet ouvrage qui nous laisse le choix de la fin à laquelle on veut croire.

Je ne connaissais pas le duo qui avait déjà signé en 2014, Ceux qui me Restent, que je vais essayer d'explorer également.

Une grande recommandation pour Ceux Qui me Touchent, un énorme plaisir de lecture.

Greg
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Brutal et prenant, Bonneau, dessinateur hors pair, nous emmène à travers un récit bien trop actuel, direct, et quotidien... n'échappe pas à l'usine qui veut !

Benoit
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Récit dur mais touchant avec des personnages crédibles de bout en bout.

Fin ouverte qui donne de l'espoir.

Le-graphisme efficace retranscrit parfaitement l'univers décrit.

David
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Remarquable et original tant sur le fond que la forme.

Wild57
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Beaucoup aimé.

Autant le dessin précis et évocateur des mimiques, des personnalités que l'histoire au goût du jour.

Morgane N.
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Lien : https://mediatheque.lannion...
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Lui, c'est pas pareil, il peut tout changer
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Ce tome contient une histoire complète indépendante de toute autre. Son édition originale date de 2023. Il a été réalisé par Damien Marie pour le scénario, et Laurent Bonneau pour les dessins et les couleurs. Il compte deux-cent-vingt-deux pages de bande dessinée. Ces deux créateurs avaient déjà réalisé ensemble Ceux qui me restent (2014).

C'est au départ assez simple. Deux humains… Souvent un lit et quelques minutes de sueur. Quelque chose qu'on ne contrôle plus. Des corps qui parlent. C'est assez simple. Mais ça ne l'a pas été. Alors, Fabien Manry a arrêté de fumer… Spermogramme, bilans de fertilité… Recherche de facteurs génétiques. Et puis Aude, sa conjointe, a morflé : insémination artificielle, fécondation in vitro… Une fois, deux fois, trois fois… Espoir, fausses couches, encore et encore… Les saletés de fausses couches. Et puis les gamins des autres, partout des mômes qui naissent comme une pluie de bonheur, un bonheur qu'on te précise ne pas pouvoir imaginer. Et les jeunes papas au bar dégueulent à Fabien, la vraie chance qu'il a d'avoir ses nuits à lui, de ne pas connaître l'enfer des biberons et des couches. Plus tard, Fabien va chercher une bouteille de vin à la cave, Blosseville Marniquet, d'abord Pinot noir, Pinot Meunier et juste une pointe de Chardonnay. Exactement ce qu'il faut, un champagne qui ne se laisse pas faire. Il remonte dans le salon–salle à manger pour retrouver leurs invités, en train de fêter l'annonce de la naissance à venir de leur fille à Aude et lui : Élisa, après douze ans d'attente.

Élisa va bientôt fêter ses six ans, et Fabien est en train de déguster une bière avec son pote Alex. Ce dernier lui demande comment va le boulot : Fabien se montre fataliste, il tue des cochons du matin au soir, et une semaine sur deux, du soir au matin. Alex relativise en disant que ce n'est qu'un boulot. Fabien explique que son ami ne sait pas de quoi il parle. Il n'a pas cette saleté d'odeur dans le nez qui persiste encore trois jours après un brûlage, celui des soies. Et depuis qu'ils ont la petite, c'est à peine si Fabien voit Aude. Elle fait ses gardes de nuit les semaines où il est de jour, et vice-versa, pour éviter de passer un salaire en nounou. Ce boulot, ça devait être temporaire, mais la vie… Alex lui demande s'il a gardé des contacts de ses années d'arts appliqués. Fabien explique que pour chercher un taf il faut du temps, et dans ses journées le temps qui reste, ce n'est déjà pas assez pour sa petite puce. Cet horrible monstre suceur de temps, ajoute-t-il sur le ton de la plaisanterie. Alex l'invite à manger avec Élisa le soir-même, Fabien embauchant à cinq heures, ils garderont la petite fille et Aude pourra passer la chercher le lendemain matin. Fabien et Élisa arrivent juste avant le diner, et la petite fille déclare qu'elle n'aime pas le jaune, à Isa, sur un ton péremptoire. La compagne d'Alex la regarde d'un drôle d'air en lui disant bonsoir. Élisa explique : parce que le jaune, ça se mange pas. Fabien explicite : elle parle du curry.

Le récit commence de manière singulière par une pleine page noire avec quelques cellules de texte. le lecteur constate rapidement que l'artiste réalise une narration assez aérée, majoritairement à base de cases de la largeur de la page, au nombre de trois ou quatre, utilisant parfois plus de cases disposées en bande. La pagination lui donne le loisir de réaliser des illustrations en pleine page, au nombre de huit, des dessins en double page au nombre de trois, et des pages sans texte où la narration est entièrement portée par les dessins, au nombre de trente. Cela donne au lecteur, la sensation d'une lecture facile, des pages qui se tournent à un bon rythme, les personnages disposent de place pour exister. La densité des détails dans la représentation des décors varie en fonction de la nature des séquences : des moments émotionnels ou de repli sur soi avec des fonds de case vides, ou des actions du quotidien avec décor représenté dans le détail, comme cet appartement du seizième arrondissement. le lecteur remarque également que le coloriste a opté pour le principe d'une teinte déclinée en plusieurs nuances pour chaque séquence, ou pour le contraste entre deux couleurs. Par exemple, celle de l'annonce de la naissance se déroule dans des teintes orangées, du jaune au presque rouge. La première séquence de travail à l'abattoir se déroule dans des teintes vertes contrastées par du jaune. Celle dans l'appartement du seizième fonctionne sur un contraste de jeune pale et de violet. Cela génère une impression d'environnement très cohérent, d'un seul tenant pour chaque scène.

Laurent Bonneau dessine un registre réaliste et descriptif, avec un des traits de contour fins et cassants, quelques traits secs dans les zones détourées pour leur apporter une touche de texture ou rehausser leurs reliefs, et des aplats de noir aux formes déchiquetées pouvant être assez conséquent. le lecteur s'adapte rapidement à cette façon de représenter la réalité, banalité d'un quotidien souvent rugueux, avec quelques images saisissantes. Il peut aussi bien ressentir la familiarité d'une discussion à bâton rompu en buvant un verre dans la cuisine que la sensation d'irréalité qui accompagne des moments sortant de l'ordinaire. En fonction de sa sensibilité, certains visuels le touchent plus que d'autres : le choix d'une bouteille de vin à boire entre copains, Fabien qui invente une histoire pour sa fille Élisa après le coucher, un cerf en ombre chinoise dans une aquarelle en double page, l'envolée d'un groupe d'oiseau au-dessus d'une route de campagne, Fabien avec un tournevis ensanglanté à la main, les porcs entassés dans la remorque bétaillère, l'intense tristesse de Fabien alors qu'il vient de donner un verre d'eau sucrée à une personne à la rue lors d'une maraude, assister à une séance de photographies conceptuelles de dénonciation consumériste et de métaphore porcine, retourner au boulot alimentaire et abrutissant.

L'intrigue en elle-même apparaît rapidement simple et linéaire : Fabien Manry forme un couple avec Aude, chacun ayant un boulot avec un bas salaire, des horaires en décalé, des heures supplémentaires imposées pour elle. Donner la mort aux porcs et les nettoyer pèse lourdement sur l'esprit de monsieur, travailler aux soins palliatifs en manquant de moyens pèse également lourdement sur l'esprit de madame. S'occuper de leur fille de cinq ans leur prend tout leur temps, mais… Fabien a suivi des études d'arts appliqués et il se prête volontiers au jeu de sa fille de lui inventer des histoires le soir, avec une princesse et même des cochons zombis, et voilà que le cerf qu'ils avaient introduit dans leur histoire du soir, se manifeste sur la route. Fabien y voit un signe : il peut changer l'histoire, celle qu'il raconte à sa fille, celle de sa vie, de leur vie. Lorsqu'un second signe des plus singuliers se présente sous ses yeux, le message est clair. Les auteurs racontent ces deux passages au premier degré, laissant le lecteur libre de s'en faire sa propre interprétation, une légère touche de surnaturel, ou bien une forme de synchronicité, c'est-à-dire l'occurrence de deux événements qui ne présente pas de lien de causalité mais dont l'association fait sens pour Fabien.

À nouveau, en fonction de son inclination, le lecteur peut y voir soit une forme de pouvoir de l'imagination, soit le refus de capituler devant le principe de réalité. Ainsi Fabien a fait les arts appliqués, peut-être comme le scénariste ou le dessinateur, en tout cas son être comporte une fibre créative qui s'exprimera quelles que soient les conditions de vie. Une oeuvre artistique passe sous les yeux de Fabien, de façon particulièrement inattendue et incongrue et il y voit l'occasion de pouvoir revenir à son sa voie professionnelle de coeur, à sa branche de formation, à son inclination naturelle. Il sait qu'il dispose du pouvoir de changer la réalité, de modifier son destin, d'exprimer sa personnalité intérieure, ou plutôt en l'occurrence d'aider une artiste à être connue. Cherchant à se connecter au monde professionnel de l'art, il se rend compte que seule une des personnes qu'il a côtoyées durant ses études a fait carrière dans le monde de l'art, en tant que galériste. Cela le conduit à se demander ce qui peut bien broyer aussi systématiquement les rêves, ce qui ne marche pas avec lui, avec les autres. Ils étaient certains de leur destinée, si jeunes et si convaincus. Pourquoi il n'en reste rien ? D'un autre point de vue, le lecteur se retrouve fort impressionné par le passage de la page quarante-trois à cinquante-et-un quand Fabien décrit le fonctionnement de l'abattoir : Des barreaux pour entrer, ou pour que rien ne sorte… La grande fabrique de viande. le crachoir jette un porc sur le toboggan environ toutes les dix secondes, seize heures par jour, cinq jours sur sept. Vingt-cinq mille cochons tout roses par semaine. Progressivement, une idée se fraye son chemin dans l'esprit du lecteur : les êtres humains sont semblables à ces cochons. Au lieu d'être broyés par l'abattoir, les humains sont broyés par la société, sacrifiés. Cette comparaison fait froid dans le dos, donnant un sens sinistre à d'autres réflexions : Rien ne ressort vivant d'un abattoir ; la pauvreté renifle chaque individu comme une friandise ; regarder sa fille comme une magicienne, détentrice de la naïveté primale… en cours de formatage par l'institution. Cette prise de conscience se trouve renforcée par une nuit passée à la rue, par la participation à une maraude avec un véhicule de l'Armée du Salut.

Une image de couverture et un titre cryptique, un texte de quatrième de couverture qui n'évoque qu'une facette du récit : le lecteur ne sait pas trop comment il doit prendre le récit. Sa lecture s'avère facile et surprenante, ancrée dans la réalité d'une famille avec de petits revenus, l'entrain de leur petite fille, des boulots harassants et pesants. La narration visuelle combine une forme aérée avec l'âpreté du réel, sans misérabilisme. le lecteur passe des tâches de l'abattoir au monde de l'art contemporain, avec l'évocation de Damien Hirst (1965-), Isabelle Plat, Ghyslain Bertholon (1972-). Il passe du quotidien aliénant aux histoires d'Élisa avec des cochons zombis, alternant entre la quantité quotidienne vertigineuse de porcs tués et les perspectives réconfortantes d'une entreprise artistique. Une aventure de la vie humaine sans fard, sondant les limites du principe de réalité. Formidable.
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Fabien et Aude se sont battus à coup de FIV et d'insémination artificielle pour avoir leur petite Elisa, 5 ans déjà. Et maintenant c'est au quotidien qu'il faut se battre pour survivre dans des boulots harassants, à l'hôpital pour Aude et dans un abattoir pour Fabien. Alors quand l'histoire qu'il invente pour la raconter à Elisa tous les soirs semble prendre vie devant ses yeux, à coup de biche et de cochon tatoué, Fabien décide de croire à l'impossible et de faire un pas de côté... la réalité va-t-elle le rattraper ou réussira-t-il à changer l'histoire ?

J'ai choisi ce roman graphique un peu par hasard puisqu'il m'a été proposé lors d'une Masse Critique alors que je ne connaissais pas ses auteurs et que son résumé était assez énigmatique. Quand je l'ai reçu j'ai eu peur de ne pas accrocher car les dessins me laissaient un peu perplexe : des silhouettes très vite esquissés, des fonds flous façon aquarelle avec de grand aplats de couleurs, le trait est très original et m'a demandé un petit temps d'adaptation. Et pourtant cet album est si attachant et ses personnages si justes qu'au bout de quelques pages j'ai été happée et n'ai pas réussi à lâcher ce livre avant de l'avoir terminé. Fabien, c'est le gars qu'on connaît tous, celui qui a renoncé à ses rêves d'artiste pour entrer dans la "vraie vie" (mais est-ce vraiment la vraie vie ?), trouver un boulot alimentaire, aider sa femme à boucler les fins de mois et réserver le peu de temps libre qui lui reste pour s'occuper de sa fille, sa princesse ("Papaaa ! Je ne suis PAS une princesse je t'ai dit !"). Oui mais voilà dans la grande loterie des jobs ingrats Fabien a tiré le boulot dans un abattoir, celui qui vous épuise, vous confronte à la réalité de la production de viande, vous hante et manque vous rendre fou.

C'est là que cet album prend toute sa force : de l'histoire sympa d'un père et de sa fille, on est confronté à la réalité, la vraie, la dure, celle qui n'hésite pas à vous mettre des baffes quand vous essayez de sortir du système (superbes passages sur une maraude de la Croix Rouge pour aider les SDF). Alors quand une série de coïncidences semblant sortir d'un conte de fée et de l'imagination d'une petite Elisa de 5 ans frappe à la porte de Fabien, celui-ci y voit un signe et va tenter à sa modeste manière de changer ce qui le heurte trop. C'est tout l'art de Damien Marie de mêler ainsi réalité brute, dénonciation du capitalisme dans ce qu'il a de plus violent, et passages oniriques où le lecteur se demande avec Fabien où tout cela va le mener et se prend à retenir son souffle en espérant que parfois, juste parfois, les contes de fée se terminent bien. C'est vraiment un roman graphique que j'ai adoré, les dessins sont en phase avec le scenario et on comprend vite l'intérêt des changements de couleur au fil des chapitres : le vert oppressant de la machine de mort de l'abattoir, le jaune des chaleureux moments entre amis, le rose à paillettes du monde bling bling de l'art contemporain... C'est magnifique, images et texte se répondent et nous emportent dans cette histoire pas comme les autres dont même la fin offrira un joyeux clin d'oeil laissant au lecteur la possibilité de rêver.

Un album que j'ai vraiment trouvé très abouti et très original avec plusieurs thèmes assez rarement traités en bande dessinée. Pas de propos simpliste ici, juste une dénonciation de la violence pure de l'abattoir et un morceau de vie avec des personnages particulièrement attachants et semblant plus vrais que nature. Un énorme coup de coeur à découvrir, j'espère que ce titre rencontrera un succès bien mérité. Et comme scénariste et dessinateur ont déjà réalisé un premier album ensemble je vais pour ma part m'empresser de le découvrir ! Un très grand merci à Babelio et aux éditions Grand Angle pour ce beau cadeau et la découverte d'un titre vers lequel je ne serais sans doute pas allée spontanément (ne faites pas comme moi ! ouvrez vite ce livre !!!).
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J'ai trouvé ce récit de Damien Marie très émouvant car il s'ancre dans une réalité dure, sans concessions mais ouvre aussi sur le rêve et sur tous les possibles. Malgré sa part de noirceur, il est plein d'espoir et d'humanité.
Fabien bosse dur aux abattoirs et supporte de plus en plus mal les cadences infernales et le fait de tuer des porcs à la chaine. Sa femme, qui travaille à l'hôpital, a aussi un quotidien difficile et ils ont du mal à joindre les deux bouts. Heureusement, il y a Élisa, leur fillette de 5 ans, qui adore les histoires. Un jour, Élisa se met à inventer avec son père une histoire fantastique. Et, dès le lendemain, des coïncidences troublantes entre histoire et réalité vont infléchir la vie de Fabien.
A cause d'un porc étrange mis à la réforme, sa vie va basculer, son couple battre de l'aile. Il s'engage dans une drôle d'aventure en compagnie d'une jeune autiste, convaincu qu'il peut créer du beau, de l'art, comme lorsqu'il apprenait pendant ses études d'art appliqué.
A travers l'histoire d'un parcours personnel, l'auteur aborde des faits de société qui interrogent, comme les sans-abris, la pauvreté des familles, l'élevage intensif, le travail abrutissant et déshumanisé, les codes absurdes de l'art contemporain. Où donc est l'humain dans cette société de consommation à outrance ? C'est d'une terrible lucidité. Heureusement qu'il y a des moments d'humanité comme les amis Isa et Alex, un couple mixte à la générosité infinie.
Le dessin de Laurent Bonneau épouse à la perfection la noirceur et les moments lumineux de ce récit. Chaque tranche de vie a droit à sa couleur spécifique, ainsi on passe du sépia au vert, de l'orange au brun… Les personnages sont très expressifs et on se projette parfaitement dans l'histoire.
Vraiment un récit qui m'a émue et que je recommande vivement
Je remercie Babelio et les éditions Grand Angle pour cette belle lecture

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Damien MARIE et Laurent BONNEAU. Ceux qui me touchent.

Je remercie sincèrement Babelio, et plus particulièrement Nathan et les éditions Grand angle pour l'attribution de ce roman graphique. Une petite pépite !

Fabien est employé dans un abattoir de cochons, n'ayant pas trouvé d'emploi à l'issue de ses études d'arts appliqués. C'était, à l'origine un boulot provisoire…. La situation s'éternise. Sa vie familiale en souffre. Son épouse est infirmière, un métier difficile, ingrat et soumis également à des horaires spéciaux. le couple a une petite fille : Élisa, elle a 5 ans… Cette dernière adore que son papa lui raconte une histoire chaque soir : un rituel. Ces histoires témoignent de l'amour existant entre Fabien et sa petite fille, celle qu'il a attendue, attendue. Petit à petit les récits murmurés à son enfant chaque soir vont se confondre avec la réalité. Fabien suit son imagination, allant jusqu'à participer à une nouvelle création d'art. Il va, avec une jeune femme autiste tatouer un porc, jugé impropre à la chaîne d'abattage. Il sera virer de son boulot. Percevra-t-il des indemnités afin de faire vivre sa famille ?

Ce roman graphique témoigne des difficultés matérielles de la vie, de la déshumanisation du travail à la chaîne, des rythmes trépidants à tenir afin de ne pas entraver la bonne marche de l'usine. Il faut tenir la cadence à tout prix : ainsi les dividendes versés aux actionnaires seront plus juteux. le scénario de Damien Marie est parfait. Les dessins de Laurent Bonneau nous plonge dans un univers déshumanisé, un environnement complètement déstructuré qui conduit les êtres humains à la crétinerie, à l'abêtissement, à la servilité. Plus de vie sociale en raison des conditions, des horaires, de la rentabilité du travail. Il faut toujours faire plus en moins de temps. C'est un problème de rentabilité… Des faits de la société sont évoqués dans cette satire du quotidien. Les sentiments éprouvés par Fabien, le petite Elisa , nous touchent, nous émeuvent. Mais que pouvons-nous faire face à la cruelle réalité… de l'humanité, de l'humilité, de l'amour, des hommes, des femmes, une enfant aux dimensions humaines.

La collaboration entre Damien et Laurent nous permet d'assister à l'évolution de la vie de ces êtres qui se côtoient au quotidien. Les planches et les vignettes expriment clairement l'univers décadent, grâce aux coloris . L'alternance de ces diverses couleurs témoignent des diverses tranches de vie et des sentiments ressentis par les uns et les autres. Les dessins présentent des traits affirmés, les silhouettes sont esquissées avec fermeté, les visages expressifs. Nous sommes confrontés à un monde réel, âpre, où nous devons nous faire une petite place. Je vais de ce pas acheter «  Ceux qui me restent ». je vous donnerai mon ressenti dans quelques semaines. Bonne lecture. Et surtout, examinez bien scrupuleusement chaque vignette de ce roman graphique. Quelques notes d'espoir, de l'amour, de la bonté et beaucoup d'humanité se dégagent de ces 225 pages.
( 10/08/2023).

Lien : https://lucette.dutour@orang..
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Merci à Babelio et à Bamboo éditions pour l'envoi de cette bande dessinée ! Imposant roman graphique que "Ceux qui me touchent", tant par la forme que par le fond.

En 224 pages, sont abordés les conséquences de la crise économique, la paternité, les effets de la consommation de viande, la création et le mercantilisme du monde de l'art. Sujets apparemment sans rapport que Damien Marie et Laurent Bonneau entremêlent avec talent.

Ils nous accrochent aux basques de Fabien, ancien étudiant en Arts appliqués qui a trouvé un emploi alimentaire dans un abattoir. Quotidien plombé par le rythme effréné auquel il doit participer à la mise à mort de certaines de porcs chaque jour. Sa lassitude infuse chaque planche, mais il bataille pour ne pas lâcher. Heureusement sa fille de cinq ans, magicienne "détentrice de la naïveté primale" apporte vie et imagination à une routine étouffante. C'est d'ailleurs à l'occasion d'une histoire inventée ensemble que Fabien va remettre en cause les décisions qu'il a dû prendre par nécessité plus que par choix.

La mise en couleurs souligne l'état d'esprit de Fabien, une teinte dominante accompagnant chaque séquence (vert-glauque pour l'abattoir, jaune-lumineux quand il retrouve sa fille...).
Plutôt sombre, cette histoire ne cache pas la réalité des difficultés d'être parent, de joindre les deux bouts au quotidien. Et montre que si les rêves sont importants, les désillusions sont fréquentes. J'ai aimé cette honnêteté, loin du happy end attendu.

Je n'ai pas lu leur précédente collaboration ("Ceux qui me restent" sur la maladie d'Alzheimer) mais le ton des auteurs m'a plu et je vais combler cette lacune sous peu.
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Je suis un physicien tête-en-l'air et un peu dur d'oreille. J'apparais pour la première fois dans "Le Trésor de Rackham le Rouge". Mon personnage est inspiré d'Auguste Piccard (un physicien suisse concepteur du bathyscaphe) à qui je ressemble physiquement, mais j'ai fait mieux que mon modèle : je suis à l'origine d'un ambitieux programme d'exploration lunaire.

Tintin
Milou
Le Capitaine Haddock
Le Professeur Tournesol
Dupond et Dupont
Le Général Alcazar
L'émir Ben Kalish Ezab
La Castafiore
Oliveira da Figueira
Séraphin Lampion
Le docteur Müller
Nestor
Rastapopoulos
Le colonel Sponsz
Tchang

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Thèmes : bd franco-belge , bande dessinée , bd jeunesse , bd belge , bande dessinée aventure , aventure jeunesse , tintinophile , ligne claire , personnages , Personnages fictifsCréer un quiz sur ce livre

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