Au cours des années 1980, le Ministère de l’éducation du Québec a révisé radicalement les programmes d’histoire du Québec et du Canada, proposant un nouveau guide de rédaction des manuels. Helga Elisabeth Bories-Sawala et Thibault Martin analysent dans leur ouvrage un corpus exhaustif de manuels scolaires publiés en 2007-2008 pour les écoles secondaires et pour les écoles primaires ; s’ajoute l’analyse des trois manuels les plus répandus au secondaire entre les années 1980 et 1990. La professeure Bories-Sawala et son collègue Thibault Martin, décédé avant la fin de ce travail, procèdent ici à une analyse et plus précisément à une déconstruction méthodique, perspicace, et magistrale de la représentation des Premiers Peuples. Par une fine stratégie pédagogique, les auteurs donnent parfois la parole à un-e étudiant-e fictif-ve, Dominique, qui réagit aux incongruités ou aux contradictions les plus criantes des manuels dans une perspective de vérité historique ou encore de responsabilité citoyenne. Nous bénéficions ici de l’avantage d’un regard tout autant distant que proche, d’une historienne et d’un sociologue d’envergure. Qu’y apprend-on ? Tout aurait-il radicalement changé depuis le triste bilan d’Arcand-Vincent ? Certes non ! Des progrès néanmoins : le mépris éhonté aura fait son temps. Mais l’héritage colonial serait-il encore et toujours à l’oeuvre ? Si tel est le cas, quelles traces de ce legs survivraient encore dans ces manuels et, par-delà, dans le programme-guide du Ministère de l’éducation du Québec ? Voyons.
Les enfants autochtones scolarisés et devenus adultes ont gardé dans la gorge cette « leçon » d’histoire. Le Wendat Georges Sioui se souvient d’être rentré en larmes à la maison racontant à sa mère que ses ancêtres avaient dévoré le coeur du père Brébeuf. Sa mère le consola en l’incitant à devenir historien, ce qu’il fit. La jeune Innue Shan Dak Puana (Jeanne D’Arc Vollant) ayant objecté à son professeur d’histoire que Jacques Cartier ne pouvait pas avoir découvert le Canada puisque les Innus l’habitaient de temps immémorial, fut renvoyée de l’école et réadmise à la condition de ne plus jamais poser de questions. C’est de ce jour, dit-elle, qu’elle est devenue une militante.