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3,97

sur 5949 notes
Désespérance

L'industrie a tout abandonné, les lieux, les hommes
Ennui, désoeuvrement
non-vie

L'été, une trouée dans l'obscurité
virée, vitesse, alcool, drogue, sexe

Pas de grandes ambitions, seulement des illusions,
Imaginer, essayer,

mirage désenchanté
rage, violence,

Il n'y a pas de clé vers l'avenir radieux
partir
fuir

revenir...

le chemin est creusé profondément, impossible d'en dévier.
Résignés
et leurs enfants après eux.

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Je suis rarement tentée par les Goncourt, mais pour une fois, quelques critiques d'amis Babelio ont été si belles, si incitatives (merci à eux !)... ce n'est pas une déception.
Une lecture indispensable !
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En refermant ce livre, j'ai eu le sentiment douloureux d'abandonner une bande de copains, une époque. J'avais oublié mon âge, j'étais repartie dans les années 1990.

Pourtant, les débuts de ma lecture ont été difficiles car j'étais réticente à entrer dans une histoire qui me faisait revivre ma propre adolescence. La génération sacrifiée, c'est eux aussi, Anthony, Hacine, Stéphanie et leur bande d'amis dans la vie du livre où le lecteur les suit pendant 6 ans, de 1992 à 1998. Mes réticences se sont envolées car Nicolas Mathieu a su me captiver par son texte qui offre une nouvelle dignité à des familles de gens simples où « les hommes parlaient peu et mouraient tôt », qu'elles soient françaises ou immigrées comme le père de Hacine.

Toutes ces familles, les Cassati, les Bouali, les Mougel comme les nomme lui-même l'auteur ont leur lot de chagrins et de défaites. Licenciés et sans emploi depuis la fermeture des hauts fourneaux de Heillage, les parents vivotent, les familles se jalousent sous des relents de racisme. Il n'y a pas de misérabilisme ni de condescendance mais tout sonne terriblement vrai et juste dans le texte, que ce soit du côté des adolescents ou du côté des parents.
le roman est riche en détails, en descriptions, et m'a fait rouvrir les yeux sur l'époque où j'avais une vingtaine d'années.

Au début du roman Anthony a 14 ans, il regarde son père noyer sa colère dans l'alcool et se disputer avec sa mère. Alors quoi, bon sang ! « Où était la vie, merde ?» se dit Anthony.
Il veut voir les filles de l'autre côté du lac, surtout Stéphanie qui lui fera connaître son premier chagrin d'amour que l'auteur m'a fait vivre avec des mots sublimes au bout desquels une petite flèche m'a laissé une douce empreinte nostalgique.
Avec des copains et son cousin, il veut flirter, boire de l'alcool et fumer des pétards, avoir ses premières expériences sexuelles, braver les interdits comme enfourcher la moto de son père, filer droit dans leur quartier qui est leur territoire, vite avant qu'il ne soit envahi par les îlots de commerces posés là comme des gros cubes de containers, la nouvelle poudre aux yeux de la société de consommation et des jours meilleurs.

Ces ados ont des rêves plein la tête, « Hacine se rêvait d'être caïd » mais ont les poches crevées, ils sont les poèmes de Rimbaud, les enfants du cercle des poètes disparus, le superbe film de Peter Weir sorti en 1990 justement, mais malheureusement sans le professeur qui les pousse à aller plus loin, à oser prendre la tangente.

Les héros sont Hacine et Anthony, les amoureux fous de la bécane, querelleurs et bagarreurs depuis le vol d'une moto qui rythme le livre, dans l'animosité d'une contrariété compréhensible. Je me suis souvent demandé comment ils allaient régler leurs comptes. La fin du livre ouvre un champ de possibilités qui me plaît beaucoup. le texte respire l'authenticité et la sincérité.

Ces adolescents sont surtout les enfants de leurs parents. Sur ce point, j'ai beaucoup aimé le regard rempli de générosité et d'humilité de l'auteur sur la figure parentale, il n'est jamais culpabilisant mais renforce mon attachement à leur sort. Les voilà aussi maintenant brutalement et très tôt confrontés à une autre rupture, la fin de l'enfance de leur enfant :
« elle pouvait encore se souvenir de l'odeur de sa tête quand il s'endormait sur ses genoux, le samedi soir, devant la télé. Comme du pain chaud. Et un beau jour, il lui avait demandé de frapper avant d'entrer dans sa chambre, et à partir de là, les choses s'étaient précipitées d'une manière assez inattendue. Maintenant, elle se retrouvait avec cette demi-brute qui voulait se faire tatouer, sentait des pieds et se dandinait comme une racaille. Son petit garçon ».

J'ai aimé la vision en miroir, celle des parents et celle des adolescents liés pour le meilleur et pour le pire.
Pendant 6 années, j'ai aimé les suivre, suivre leur trajectoire, leurs évolutions personnelles, leurs rêves et leurs déboires.
J'étais avec eux au bord du lac et j'étais aussi en même temps leur mère, une impression étrange, un bond dans le temps dû aux années écoulées depuis, et à l'adulte que je suis devenue aujourd'hui.
le temps du livre s'arrête aux 20 ans d'Anthony en 1998 en pleine coupe du monde de football et je me demande bien ce qu'il serait devenu à 40 ans en personnage de papier sous la plume talentueuse de Nicolas Mathieu.

Livre lu dans le cadre de la RL 2018 de lecteurs.com
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Anthony a 14 ans et vit dans l'Est de la France avec ses parents. Le père est dur , boit trop et vit de petits boulots . La mère se contente de peu. Anthony, lui , suit son cousin , plus âgé. C'est la bière , l'alcool, les pétards avant l'heure , si jamais il est l'heure un jour.
On est en 92, la jeunesse a autant d'espoir que les chansons de Nirvana en répandent. le haut fourneau est à l'arrêt, la ville se meurt , grise. La jeunesse veut se casser.

Fabuleux arrêt sur image de notre société que ce " leurs enfants après eux". Sans aucun voyeurisme (un peu quand la culotte tombe quand même), avec une langue belle , précise, incisive mais sans aucune mansuétude ni surcharge inutile , l'auteur nous renvoie à nos vies, à celles de nos villes, au racisme quotidien, à notre jeunesse.
La vision qu'il donne paraît si exacte que l'on a l'impression que l'on aurait pu l'écrire ce livre. Putain on aurait eu le Goncourt !
C'est sans doute cela le talent. Parler de choses simples, sans fioritures avec le bon mot au bon endroit, avec des personnages suffisamment étoffés pour faire passer les idées, suffisamment nombreux pour balayer un bon pan de la société sans tomber dans le catalogue.
La question du racisme est subtilement évoquée. Pas de clichés, des faits quotidiens, la démonstration de l'absurdité de cet acte à travers des poignets de main , des aides entre communauté.
Il y a tellement de choses dans ce roman que j'ai honte d'en oublier tellement j'ai été emporté.
La vie conjugale, le poids de la réussite scolaire et ses conséquences sur la vie d'adulte, l'insouciance et la rage de la jeunesse , le fric facile, la vie posée, l'alcool, l'amour , la haine , le chômage , l'alcool, la mutation des villes aux abords du siècle .
J'en ressors avec le sentiment d'un privilégié, loin du shit, de la haine , du vol, de l'alcool au quotidien dans ma jeunesse. Loin de ce paysage post industriel .
Ce n'est peut être pas le livre du siècle, mais c'est le livre d'une époque.
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En cet été 1992, à l'ombre des hauts fourneaux d'Heillange éteints depuis belle lurette, une bande d'adolescents vit ses premiers émois, ses premières douleurs, ses premiers échecs. Ils ont quatorze ans à peine, viennent de milieux différents, mais ont déjà, chevillée au corps, l'idée bien arrêtée que leur vie est ailleurs, loin de cette ancienne cité sidérurgique qui meurt lentement dans le gris et l'ennui de l'Est de la France. Les fils de prolétaires ont vécu la déchéance de leurs pères acculés au chômage, noyant dans l'alcool les regrets d'un temps béni où leurs mains étaient encore utiles. Les fils d'immigrés contemplent avec rage une société qui n'a jamais laissé leur place à des hommes venus du Maroc ou d'Algérie, des rêves d'or plein la tête. Les enfants de notables dénigrent leurs parents parvenus qui se croient les rois du monde alors qu'ils se bercent d'illusions en imaginant un avenir meilleur pour cette région sinistrée et définitivement morose.
Ainsi va la vie d'Anthony, Hacine, Stéphanie et les autres, lors de cet été fondateur qui scellera leur destin. On les retrouvera, toujours en été, en 1994, 1996 et 1998, avec leurs projets, leurs désirs, leur entrée dans l'âge adulte, leurs renoncements aussi.

Des rêves qui se fracassent contre une réalité immuable, une jeunesse vouée à reproduire encore et toujours un destin lié à sa classe sociale, la France d'en bas qui cherche une ligne de fuite obstruée par des hauts fourneaux éteints depuis longtemps. Nicolas Mathieu nous raconte avec un réalisme brut et brutal, cette France périphérique qui vivote entre l'ANPE, le bistrot, le loto, la télé, le crédit sur trente ans pour accéder à la propriété, l'espoir de voir les enfants s'élever un peu grâce à l'ascenseur social qu'on leur a tant vanté.
Mais à Heillange comme dans tous les territoires abandonnés, les fils de prolos finissent à l'usine, les filles de notables vont à la fac et la deuxième génération d'immigrés deale aux pieds des immeubles.
La vision de l'auteur est certes un peu caricaturale mais elle est dénuée d'angélisme, de démagogie, de faux espoirs. Parfois, vouloir s'en sortir ne suffit pas…On reproduit malgré soi les atavismes de sa classe, on reste attaché à l'endroit où l'on a grandi, aux rues que l'on connait par coeur, à l‘ennui héréditaire des villes en déclin.
Leurs enfants après eux n'est pas un roman optimiste et guilleret, mais c'est un grand roman. La dernière page tournée, il laisse un goût amer, celui de la défaite…
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Lorsqu'il a vu ses personnages prendre vie sous ses yeux Nicolas Mathieu en a été tout ému. C'est du moins ce qu'il a traduit à la fin de l'adaptation de son roman au théâtre de Thonon ou il était présent.
Un fois le rideau tombé, avec une poignée de spectateurs restés en place, nous avons pu échanger sur le thème de son livre et la mise en scène d'Hugo Roux, c'était touchant, j'étais sous le charme.
Quel agréable et sensible spectacle parfaitement joué, si intime et tellement provocant, aussi sobre qu'ardent, aussi noir que rayonnant. « Sol y sombra » comme on dit, les yeux saturés de lumière et de jeunesse mais obstrué des tourments sinistres et collants du désoeuvrement, de la détresse et de la débauche dans un bout de France effiloché de morosité économique.

J'ai fait le chemin à l'envers, la pièce d'abord, le roman ensuite. L'un et l'autre sont riches en émotions, se respectant sans vraiment en extraire les mêmes ressentis.
Dans les deux supports, il faut accepter prendre notre réalité quotidienne en pleine gueule et quelques vérités blessantes pour gouter ces histoires de famille, d'éducation, d'immigration, d'alcoolisme, de misère sociale, de racisme et de sexe souvent tendus, parfois mouillés mais toujours justes.
Cet auteur ne cultive pas l'authentique, il le fait germer, croitre et éclater avec des phrases aiguisées comme des lames de couteaux, sur le fil entre sourires et soupirs employant des formules poétiques comme des bulles pour mieux faire passer la pilule d'existences insipides rythmées de petits mirages dans un désert d'ennuis et d'emmerdes.

Il y a des chapitres que j 'ai dévalé comme une rue en pente, sans respirer, je n'ai pu m'arrêter qu'à la fin, vanné, mes yeux avaient enfilé les lignes comme mes jambes le macadam, j'en avais perdu la maitrise et saisi la tension. Il y a aussi des parties tellement sensibles où j'ai dû me stopper pour en tolérer les séquelles sur mon propre jugement.
Les vies, toutes générations confondues, qu'elles soient minables, ordinaires ou brillantes racontées avec une telle acuité, une telle évidence et une telle justesse ne peuvent être que comprises parce qu'admises, que pardonnées car inévitables, qu'approuvées car vécues.

En fait, Anthony, Steph, Hacine, Hélène, Patrick, sont tout le monde et n'importe qui et ils font n'importe quoi comme tout le monde en fonction des valeurs qu'on leur a transmises, en fonction de leur classe sociale, de leur extraction ethnique et de leur époque.
Et merveille des mères veillent, leurs enfants après eux feront tout pareil…
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Quelle aventure ! Nicolas Mathieu m'a embarqué dans cette vallée de l'est de la France qui ressemble à cette Fensch vallée que chante si bien Bernard Lavilliers, où « le nom des patelins se termine par …ange ». Prenant le parti de faire vivre quatre étés à son lecteur, à Heillange, il s'attache à quelques personnages dont Anthony et quelques autres, Leurs enfants après eux.

Le premier été, en 1992, est le plus long. La durée des suivants ira se réduisant car ces enfants ont grandi et sont sortis de l'adolescence. Plongé dans cette lecture, il m'a été difficile d'en sortir car suspense et angoisse planent à chaque page que j'étais impatient de tourner.
Anthony, 14 ans, élève de troisième, traîne avec son cousin qui paraît nettement plus âgé et ils fument déjà beaucoup, recherchent du shit, trafiquent pour en avoir mais sont surtout obsédés par les filles. Ils empruntent un canoé pour aller jusqu'à la plage des culs-nus, sans succès. Puis, sur son BMX, « Dans cette ville moitié morte, étrangement branlée, construite dans une côte et sous un pont, Anthony filait tout schuss, pris de frissons, jeune à en crever. »
Les portraits sont tracés sans concession, avec une précision qui fascine comme lorsque l'auteur décrit le moindre lieu, le moindre paysage. J'ai l'impression qu'il passe au scanner ce qu'il veut montrer.
Sans dévoiler les rebondissements de l'histoire, je dois parler de Hacine, petit caïd de la ZUP : « Dans le quartier, on ne draguait pas, parce qu'une meuf était fatalement la soeur ou la fille de quelqu'un. » de coups durs en accalmies, ce fils de Malek Bouali venu du Maroc travailler dur pendant quarante ans à l'usine, va croiser le chemin d'Anthony et de son père.
Steph et Clem, filles de familles bourgeoises, tentent régulièrement de se frotter aux garçons des quartiers ouvriers : « Clem était rigolote, avec ses airs bourges, son côté racaille, son audace et ses insolences. N'empêche qu'elle était en terminale avec seize de moyenne. Steph n'en était pas là. »
Avec ces deux filles, il y a leurs parents dont le père de Steph qui a des ambitions municipales alors que celui d'Anthony se débat avec un démon : l'alcool. Hélène Casati, mère d'Anthony, supporte très mal la transformation de son petit garçon en ado.
L'été 1994 est présenté, comme les trois autres avec un titre de chanson (You Could Be Mine). Deux années ont passé mais il fait toujours très chaud et Pierre Chaussoy, le père de Steph affirme : « Les lubbies productivistes, n'avaient plus lieu d'être. L'heure était aux loisirs. C'était propre et rémunérateur, tout le monde y trouvait son compte. »
Puis c'est le 14 Juillet 1996 où j'ai retrouvé tout ce beau monde qui a bien évolué avant de plonger, deux ans plus tard en pleine folie de la Coupe du monde : « Comme cinquante millions d'autres connards, Anthony s'était pris au jeu, son malheur temporairement suspendu, son désir fondu dans la grande aspiration nationale. » Moi aussi, j'ai cru à la grande réconciliation nationale mais ce sont les sceptiques qui avaient raison, hélas.

Malgré tous les changements qui s'amorcent après la désindustrialisation, Nicolas Mathieu ouvre une porte sur l'avenir tout en soulignant le poids de la drogue, de l'alcool. Prix Goncourt mérité, son roman est palpitant de bout en bout et j'aurais aimé qu'il se prolonge.


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Depuis longtemps je vois ce livre sur Babelio. Les critiques sont relativement positives. le livre est primé. Je l'emprunte à la bibliothèque et je me lance.
Bon, alors pour être honnête, je ne comprends pas l'engouement autour de ce roman.
Page 150, j'abandonne !
Personnellement, je trouve l'histoire déprimante.
L'adolescence est certes un passage où chacun se cherche, mais là, tous les personnages sont border-line, rien de positif ne ressort de leur vie, pas de rêve, peu d'ambition. Les parents ne sont pas non plus dans la positivité. Je ne sais pas où veut en venir l'auteur, ce qu'il souhaite faire ressortir de cette histoire… Cette lecture ne me correspond pas.
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Été 1992, une commune quelque part en Lorraine, son usine désaffectée, sa ZUP, ses mornes bistrots, son club nautique. le monde écrasé par la canicule se meurt mais Anthony, Steph, Hacine sont furieusement jeunes et au seuil de la vie.

Ce roman récompensé par le prix Goncourt a révélé la plume magnifique de Nicolas Mathieu. La construction autour de quatre étés et trois personnages est impeccable. Arriver à mettre sous tension le récit de ces existences stagnantes relève presque du tour de force. C'est l'intensité douloureuse de l'adolescence qui rend ces pages haletantes : on vibre et on tremble avec les protagonistes, entre désirs électriques, pétards, espérances et doutes existentiels. En toile de fond, c'est une vraie fresque sociale qui se déploie et vient nourrir l'intrigue. La fresque d'une époque rythmée par les sons de Nirvana, d'une France périphérique sur le déclin, de générations entières prises en étau entre leurs rêves et les réalités.

C'est triste, bien sûr, mais profondément humain et parfois drôle malgré tout. L'auteur excelle à identifier des situations incongrues qu'il raconte merveilleusement. Et cela m'a réjouie de voir la France des campagnes et des villes moyennes, celle du Picon, des escapades en deux-roues et de la communion éphémère autour de l'équipe « black blanc beur » fournir la matière d'une littérature aussi belle.

Si le dénouement d'un tel roman du « sur-place » n'était certainement pas évident à trouver, les dernières pages sont venues me cueillir, donnant tout son sens au titre.

Un roman qui se démarque à la fois par des accents sociaux plus actuels que jamais et une nostalgie bouleversante.
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
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Roman désagréable et agaçant, qui suinte l'ennui et la grisaille d'une Lorraine désindustrialisée, dont les centres villes meurent tandis que fleurissent les supermarchés en périphérie. Les adultes fument, boivent et tentent de survivre, entre petits boulots sans intérêt et foyers sans affection. Les ados fument, boivent, dealent et baisent pour tuer le temps. Ils n'espèrent même pas faire mieux que leurs parents, ils n'espèrent rien, n'attendent rien. Quant à la progéniture des classes supérieures, elle semble habitée d'ambitions à peine plus élevées, et avant de diriger le monde (à défaut la préfecture locale ou le supermarché du coin), elle s'ennuie tout autant, fume, boit, baise... A croire qu'entre 1988 et 1998, la France entière était réduite à fumer, boire, baiser et crever d'ennui.
Nicolas Mathieu fait dans le roman social. Il décrit les "sans dents", les "gilets jaunes", les pauvres, dont il fait une masse grise, abîmée et inexorablement vouée à retomber inlassablement dans les mêmes déconvenues. Pire, il en fait une masse dénuée de ressources, d'intelligence, de bonté et d'amour. Ce roman accumule les qualificatifs péjoratifs et les tournures humiliantes. A coup de clichés et de lieux communs, Nicolas Mathieu rédige une caricature dangereuse de ce "monde d'en bas", auquel nous appartenons tous. Sauf l'élite intellectuelle qu'il est censé représenter ? Elite intellectuelle qui contemple et dissèque les comportements de la masse, avant de rédiger sur elle de savants pamphlets... Pour mieux prendre ses distances ?
Cela dit, si le roman pèche par ses longueurs et son manque d'empathie, le style est brillant, nerveux, percutant. Il y a de l'humour, de la férocité et beaucoup de vérité dans ce récit. Certaines observations sont savoureuses : "Après sa licence, la jeune femme s'était spécialisée en droit du travail, cursus qui se prévalait de taux d'employabilité dignes des années 1960. C'est par là notamment qu'on accédait aux métiers relevant de la gestion des ressources humaines, secteur resté en plein essor depuis trente ans, malgré la notable raréfaction de l'emploi qui avait caractérisé la même période."
Dommage, il ne manquait pas grand chose pour en faire un grand roman. Juste un peu d'humanité... N'est pas Zola qui veut.
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Pour ce billet, trois intro au choix :

1/ Je termine le Goncourt 2018 le jour où le vainqueur 2019 est connu. Et ouf, ce n'est pas l'insupportable dame au chapeau qui l'a emporté cette année. On me prend en flagrant délit de sale gu3ule de people, mais pas que.

2/ Ce même 4 novembre, une traditionaliste vaguement célèbre (que je ne connaissais pas) a déclaré sur LCI, à propos d'une mère célibataire en difficulté : « Je ne connais pas son parcours de vie, à cette dame, qu'est-ce qu'elle a fait pour se retrouver au SMIC ? Est ce qu'elle a bien travaillé à l'école ? Est ce qu'elle a suivi des études ? Puis, si on est au SMIC, faut peut-être pas divorcer non plus dans ces cas-là, à un moment donné, quand on se rajoute des difficultés sur des difficultés et des boulets sur des boulets, on se retrouve dans des problèmes. »
Comme s'il suffisait de 'bien travailler à l'école'.
Comme si tous les jeunes pouvaient 'suivre des études'.
Comme si les études étaient un sésame pour gagner plus que le Smic... 😕

3/ Que faisiez-vous pendant les mois de juillet 1992, 1994, 1996, 1998 ?
Vous dansiez comme Anthony, Hacine, Steph', Clem' en écoutant ♪♫ Nirvana, Cindy Lauper, La Bamba, I will survive, No woman no cry, etc. ♪♫
J'en suis fort aise !
Eh bien lisez les aventures de ces quatre ados, maintenant, et replongez dans vos jeunes années avec eux. Mesurez le chemin parcouru (ou pas), voyez à quel point Bourdieu avait raison avec sa 'Reproduction' (sociale, Hugo, pas sexuelle).
_ _ _ _ _ _

Une histoire de jeunes qui font la fête, rêvent, fantasment, fument et picolent (beaucoup). Et surtout, qui entendent bien se sortir de ce monde étriqué sans avenir.
Un grand roman social, du Zola du XXIe siècle (en plus light), du Despentes en moins trash & moins rock, du Pascal Manoukian en moins misérabiliste, du Marion Brunet ('L'été circulaire') en plus étoffé, du Sylvia Avallone dans le nord-est de la France (mais il fait chaud, aussi).

Là, l'auteur s'appelle Nicolas Mathieu. Il a un regard acéré, le sens de la formule, une plume bien trempée.
Le récit m'a paru long, parfois, mais j'ai suivi avec intérêt, amusement et crainte les parcours de ces adolescents et de leurs parents dans une région touchée par la crise économique - chômage, précarité, repli entre gens de 'bonne' (ou de moins mauvaise) compagnie...
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