Melmoth, publié en 1820 est un grand roman, généralement comparé à
Faust de
Goethe. Malgré le succès qu'il aura au 19ème (et même au début du 20ème) et son influence sur de nombreux auteurs demeurés célèbres aujourd'hui (
Balzac notamment), il n'a malheureusement pas traversé la culture populaire (mais nous pouvons toujours faire changer les choses).
Le roman est très long, 807 pages chez Libretto. C'est l'histoire d'une âme damnée, celle de
Melmoth. Une histoire qui n'est pas de celles qu'on résume.
Les huit cent pages du roman défilent facilement. Il y a peut-être juste quelques passages un peu plus longs ou lents au milieu du roman, mais qui n'enlèvent rien à sa qualité et permettent peut-être au lecteur de souffler un peu. Parce que les histoires de
Melmoth sont particulièrement sombres et tragiques.
Ce n'est pas une faute, j'ai bien écrit les histoires au pluriel. Parce que c'est effectivement au travers de différents récits que l'on découvre progressivement
Melmoth.
C'est ce qu'on appelle un roman à tiroirs. Un récit construit comme des poupées russes. Un personnage rencontre un personnage qui lui raconte une histoire. Dans cette histoire, un personnage raconte lui-même une autre histoire, dans laquelle un nouveau personnage raconte à son tour une histoire, et ainsi de suite.
Il y a au total six récits. Et si l'histoire de
Melmoth constitue le fil conducteur du roman, chaque récit pourrait à lui seul former un roman. On a donc l'impression de lire plusieurs récits successifs.
Si ce procédé offre l'avantage au lecteur de découvrir
Melmoth à travers des voix narratives très différentes, il peut néanmoins avoir quelque chose de déroutant voir de frustrant. On quitte, parfois un peu brusquement, une histoire pour se plonger dans une autre.
Et si c'est frustrant, il faut le dire, c'est surtout parce que l'auteur prive le lecteur de récits de qualité qu'il regrette d'être contraint de quitter.
La frustration est peut-être aussi provoquée par la relative absence de
Melmoth dans ces différents récits. Il est toujours présent, certes, mais il est, d'une certaine manière, secondaire, voire même parfois, effacé.
Encore un tour de force d'ailleurs de construire la vie d'un homme à partir de récits dans lesquels cet homme intervient comme personnage qu'on pourrait presque qualifier de secondaire.
L'ensemble prend néanmoins tout son sens au fur et à mesure de la lecture.
S'il s'agit sans conteste d'un roman gothique, on le qualifie aussi généralement de fantastique et de romantique.
Tous les éléments du gothique sont en effet présents dans
Melmoth : l'ambiance, la présence de la nature, du mystère et surtout, des ténèbres. On y retrouve absolument tout, l'auteur ne nous épargne rien : prisons de l'inquisition, passages secrets, ruines, châteaux sombres, cachots, monastères austères, cimetières, orages, tempêtes, etc.
Le roman est également souvent qualifié de fantastique en raison du personnage même de
Melmoth. C'est pourtant pratiquement le seul élément fantastique du roman. Ce qui en fait d'ailleurs probablement toute sa force.
L'auteur fait en effet évoluer
Melmoth dans un monde qui s'assimile à celui du lecteur.
Or, ce contraste entre
Melmoth, personnage maléfique imaginaire et le contexte réaliste du roman crée une tension particulièrement intéressante, puisqu'elle renforce l'« effet miroir » de la lecture. le lecteur ne peut effectivement pas se retrancher derrière le caractère exagérément fantastique du récit pour s'épargner certains questionnements que ce dernier lui pose.
Nous avons vu que les éléments gothiques et romantiques présentent beaucoup de similarités. Ce n'est donc pas étonnant que le roman puisse être à la fois qualifié de gothique et de romantique.
Néanmoins, je préciserais que si le roman est incontestablement gothique par son ambiance ou disons, plus généralement, par sa forme,
Melmoth, lui, est incontestablement un personnage romantique.
Certes,
Melmoth est un suppôt de Satan, l'incarnation du mal. Un personnage que tout le monde craint.
Néanmoins, nous découvrons un personnage tiraillé d'envies et de sentiments contradictoires. Donnant une apparence d'insensibilité totale mais dont le lecteur sent pourtant très clairement toute la souffrance.
Melmoth est à la fois cynique et mélancolique. Indifférent et passionné.
Le personnage est à ce point bien réalisé que le lecteur finit par se surprendre à le plaindre, voire même à s'y identifier. Parce qu'il incarne toutes les contradictions insolubles de l'homme.
Melmoth se montre donc plus complexe qu'il n'y paraît. Un être humain avant tout. Un homme qui a cédé à ses faiblesses et vendu son âme au diable. Mais le lecteur le sent, ces faiblesses sont le lot de chacun. Chaque être humain sur terre partage les faiblesses de
Melmoth.
Melmoth est notre part de ténèbres à tous.
Parmi les thèmes abordés, il y a certes une critique sociale de l'Angleterre du 19ème ainsi qu'une remise en cause de l'Eglise.
Si ces thèmes sont historiquement intéressants, ce qui contribue selon moi à l'intemporalité de
Melmoth, ce sont les questions que le
roman soulèvent concernant l'homme, et plus particulièrement, ses contradictions et sa spiritualité.
Les problèmes qu'ils soulève concernant l'humanité, la part d'ombre en chacun de nous et les possibilités de la gérer demeurent en effet éminemment contemporaines. Et c'est, je pense, surtout pour cette raison qu'il a tant influencé les grands auteurs du 19ème siècle.
Disponible en ligne gratuitement : pour les adeptes de la lecture numérique, sachez que
Melmoth est disponible gratuitement en ligne : feedbooks
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