Édité chez Gallimard en 1974 dans la collection Folio, «
Une vie » est probablement le roman le plus connu de Guy de
Maupassant.
L'histoire ? L'auteur raconte ce que fut à la fin du 19ème siècle la vie de Jeanne le Perthuis des Vauds, fille de bonne famille. Vous suivez donc son parcours, de sa sortie du couvent du Sacré-Coeur – elle a 17 ans – à ses vieux jours.
Une vie, c'est d'abord l'histoire de son mariage râté avec Julien de Lamare , petit bourgeois coureur de jupons, brutal, méprisant et avare. C'est aussi, et plus largement, la description de la condition morale, conjugale et sexuelle de la femme à cette époque. Plus que l'histoire d'un couple, c'est l'histoire d'un ménage. Pour l'auteur, le mariage est le contraire de l'amour, lequel n'existe pas : quel pessimisme ! Un pessimisme dans lequel il semble se complaire, avec une pointe de sadisme et une bonne dose de misogynie (
Guy de Maupassant n'était-il pas un peu homme à femmes?) : à croire que si Jeanne avait été moins bête, moins coeur pur, moins innocente, elle aurait été un peu moins malheureuse … Allez savoir. Peut-on reprocher à Jeanne son absence d'éducation alors même que c'était chose courante pour les jeunes filles à cette époque ? Il n'est pas exclus que l'auteur ait fait preuve de cynisme et d'amertume compte tenu du trop bon caractère de Jeanne. En revanche, dans «
Une vie », le sexe fort se réserve la part du lion : les femmes lui tombent dans les bras, les parties de chasse s'enchainent les unes après les autres, et les affaires vont bon train… En toile de fond, l'auteur décrit la Normandie (falaises, froidure, vents soufflant en rafales, pluie fréquente et mer agitée) et analyse les comportements de la noblesse de terre : qu'ils soient domestiques, journaliers, paysans ou curés, tous sont dépeints avec un réalisme saisissant. L'auteur analyse le fonctionnement d'un « establishment » stupide et désuet, vivant à l'écart de tout, se satisfaisant de visites protocolaires et de rapports soigneusement codifiés, jouissant à l 'énoncé des faits et gestes concernant des généalogies éloignées avec lesquelles aucun rapport physique n'est programmé.
Au final, Jeanne voudra construire sa vie de femme mariée ; elle aurait tout pour réussir mais le sort en décidera autrement, s'acharnant à plusieurs reprises sur elle (sa vie sera donc jalonnée d'échecs). Jeanne se rendra compte de son erreur, l'erreur de sa vie, mais, résignée et recueillie in fine par sa servante, elle reconnaitra dans sa vieillesse et malgré son infortune que « la vie, ça n'est jamais si bon ni si mauvais qu'on croit. »
Le texte est dense (278 pages) mais l'éditeur a pris soin de faire figurer en fin d'ouvrage une biographie de l'auteur (1850-1893), une notice relative à la conception de l'ouvrage et des notes explicatives permettant de saisir dans le moindre détail les remarques et allusions de l'auteur ou des protagonistes de «
Une vie ». L'écriture est superbe et l'atmosphère, malgré un lyrisme parfois naïf mais probablement sincère, reste fort plaisante : il est vrai que l'auteur n'a pas hésité à émailler son propos et les dialogues de sentences, proverbes et expressions du terroir. Ne vous laissez pas surprendre par le côté mélancolique et par la vision pessimiste de l'auteur sur le monde qui l'entoure : c'est une posture délibérément choisie. Voici un grand classique, tout en dégradés de gris, avec petites touches de psychologie (un tableau impressionniste en quelque sorte !) ; voici un roman normand sur la condition féminine ; voici une analyse de la décadence d'une classe sociale. Bref, l'ouvrage assez complet, très instructif, bien écrit est captivant. La préface d'
André Fermigier vaut son pesant d'or. Dans «
Une vie », il n'y a pas de réelles longueurs mais certains esprits chagrins pourront trouver à y redire : les personnages sont scotchés dans leurs propres comportements, incapables d'évoluer ; l'absence de rythme et la naïveté (doublée de la mollesse) de Jeanne -laquelle fait un peu victime- sont pesantes ; l'ouvrage n'est que succession de drames et de déceptions. Pour ma part, je mets quatre étoiles à cet ouvrage et recommande.