Impressionnant, ce roman.
J'ai l'impression que pour une partie des lecteurs,
Une Vie est un livre qui nous laisse sur notre faim, dans lequel on attend impatiemment que quelque chose se produise enfin et fasse avancer la vie de cette pauvre Jeanne. Personnellement (et je crois que c'est le cas de beaucoup d'admirateurs de ce livre), c'est justement cette description du "rien" qui m'a épatée. Comment peut-on réussir à tenir un lecteur en haleine avec un roman dans lequel il ne se passe rien, avec une héroïne pitoyable et une succession d'évènements invariablement tragiques? Et comment peut-on réussir à tenir ce rythme pendant plusieurs centaines de pages? Demandez à
Maupassant.
C'est en lisant
Une Vie que je me suis rendue compte que si nouvellistes et romanciers étaient tous écrivains, la différence entre eux était néanmoins notable. On n'est pas dérangé par quelques longueurs à la lecture d'une nouvelle puisqu'on sait qu'elle sera terminée quelques pages plus tard. Mais dans un roman, le nombre de pages que tient notre main droite nous fait angoisser, on se dit que cette souffrance, cet ennui n'est pas prêt de finir. Alors parfois, lorsqu'il est mauvais, on referme ce livre au profit d'un autre au résumé plus prometteur. Mais dans le cas d'
Une Vie, ces longueurs deviennent notre raison de continuer. de plus, il fait gris, notre Jeanne passe de désillusions en trahisons en deuils, ce serait donc bien lâche de notre part de l'abandonner ainsi! Alors donc on poursuit notre lecture, on se sent bien compatissant envers notre (anti-)héroïne, on aimerait que du bon
lui arrive, ne serait-ce qu'une fois dans sa triste vie, même si on doute qu'elle saurait en profiter, tant elle n'y est pas habituée. Puis arrivé au bout de la dernière page, on est un peu soulagé, et on on souhaite oublier cette existence vide et ratée, un peu par égoïsme, un peu par superstition et beaucoup par déni et crainte de suivre son chemin.
Mais finalement, avec sa vie construite dans le domaine du négatif plutôt que du positif, malgré l'absence de traces qu'elle laissera à sa mort, on ne peut pas dire qu'elle nous ait fait perdre notre temps, et il me semble que Jeanne nous a apprit beaucoup. Elle nous apprend à relativiser ; à nous émerveiller de tout ce qu'on a, plutôt que de nous plaindre de ce qu'on n'a pas ; elle ne devient pas un exemple à suivre comme ces héros de romans qui nous marquent et qu'on admire, mais plutôt un exemple à ne pas suivre. En fait, Jeanne nous met un énorme coup de pied aux fesses, elle nous prend par les épaules, nous regarde dans les yeux et nous dit "Ma petite, vois ce qu'on devient quand on est résigné et plaintif, vois ce qu'on ne devient pas quand on manque d'ambition, de rêves, de volonté et de courage, et vois comme la vie est un calvaire quand on se persuade qu'elle en est un".
Merci Jeanne.