Dans un quartier pauvre de Washington, Stéphanos qui a fui l'Éthiopie suite à l'assassinat de son père devant ses yeux, végète dans sa petite épicerie. Ses deux seuls amis sont africains, Kenneth le Kényan et Joseph le Congolais.
Ensemble, ils détruisent et reconstruisent inlassablement cette Afrique à la dérive, paradis des dictateurs et théâtre de coups d'état sanguinaires. Mais même s'ils ironisent sur l'instabilité du continent, la violence qu'ils ont connu leur a laissé des fantômes bien encombrants.
Pour ces exilés, l'équilibre reste précaire, entre l'espoir d'une vie meilleure et la nostalgie du passé « … je n'étais venu en Amérique que pour trouver une vie meilleure. J'étais arrivé en courant et en hurlant, avec les fantômes d'une ancienne vie fermement attachée à mon dos. »
Mais 17 ans après, le rêve américain apparaît comme une chimère . Kenneth est le seul à avoir mené des études mais il est exploité par son employeur et mène une existence sinistre. Joseph se rêve poète et réécrit jour après jour, sans jamais aboutir, les trois vers qui devraient raconter l'Afrique. Stepha a abandonné toute ambition et les quelques efforts qu'il consent pour améliorer son commerce se consument dans la nonchalance et la résignation.
Tout pourrait changer avec l'arrivée de Judith, une universitaire blanche et Naomi, sa petite fille métisse. Lorsque se profile l'espoir d'une famille recomposée, un obstacle va transformer le projet en parenthèse enchantée.
Car le quartier est promis à la gentrification et les manoeuvres de réhabilitation risquent d'aboutir à l'expulsion des plus démunis. La maison de Judith, " toute rutilante" va devenir symbole de cette menace, alors même qu'elle apprécie cette mixité sociale.
Mais le véritable problème, c'est Stéphanos lui-même.
Incapable d'habiter son présent, il retourne chez son oncle chercher les traces de son passé ou bien il erre dans ces rues qu'il connaît si bien mais qui lui échappent. Et ce n'est pas seulement son présent qu'il évite, c'est aussi l'espace qu'il est censé occuper mais qu'il habite comme une ombre. Tout comme sa boutique, son appartement souffre d'un manque d'investissement, de découragement et de fatalisme.
La solution serait-elle dans la fuite ? Stepha se pose la question en ces termes : " ce serait tellement plus facile de ne jamais rentrer, non ? de tout simplement continuer à marcher dans cette rue jusqu'à la limite de la ville. de là, je pourrais sauter dans un bus ou dans un train qui m'emporterait plus loin au sud ou au nord, là où je pourrais tout recommencer. "
Ainsi va la souffrance de l'exil.
Dinaw Mengestu déploie tout son talent pour exprimer cette aporie.
Il fait voyager le lecteur entre le présent de Stéphanos et son passé en Ethiopie et le condamne à vivre entre deux mondes.
Très vite, le lecteur va comprendre que la rencontre ne sera qu'un mirage car Stéphanos lui-même ne parvient pas à y croire.
"Je m'efforçais de ne pas trop y penser, de me contenter de vivre le moment présent, mais c'était impossible. Chaque fois que je levais les yeux sur elle, je prenais conscience de la perfection de l'instant. Je me disais que des années plus tard je me souviendrais de cette période avec une nostalgie écrasante et dévastatrice, parce que, naturellement, je savais déjà à l'époque que je finirais par me retrouver tout seul. Et, chaque fois que cette prise de conscience menaçait de détruire la scène, Naomi faisait un petit quelque chose, comme tourner une page un peu trop tôt, ou bouger sur sa chaise, et, à nouveau, j'étais heureux."