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sur 208 notes
Un court - trop court - roman sensuel, érotique, qui mêle désir charnel des femmes, hommage aux artistes de la Préhistoire et aux cavernes d'art rupestre. Il n'y a pas vraiment d'intrigue, l'histoire ne progresse pas entre le début et la fin, mais ce qui importe, c'est l'atmosphère de ce roman portée et magnifiée par l'écriture et le style de Pierre Michon, la magie de ses périodes pour célébrer la beauté des femmes, le fantasme des femmes plus que leur possession, des femmes qui sont à la fois des statues préhistoriques aux formes pleines, des mères préparant le repas du soir, et des femmes-enfants jolies et tendres.
C'est aussi une très belle peinture - si les descriptions des femmes évoquent la sculpture ou les actrices de cinéma, le paysage est décrit de façon picturale - de la nature, de la Dordogne, avec des scènes saisissantes de chasse noyées sous la pluie.
Une lecture qui m'a transportée, ne laissant qu'un regret, que ce soit si court.
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Honnêtement, j'ai un peu de mal à commencer cette critique. Ceci pour deux raisons. La première, c'est que ce livre m'a été offert et recommandé par un ami.
Et déjà, là, je m'arrête et m'interroge : Pourquoi avoir précisé "par un ami" ? Qui d'autre qu'un ami peut-il vous offrir un livre ? Un livre n'est pas un cadeau de civilité, comme une boite de chocolat ou un bouquet de fleurs — d'ailleurs, on m'offre assez peu de fleurs. Comme le parfum, le livre est un cadeau des plus personnels avec la différence qu'il est personnel à celui qui offre. Il peut révéler ses goûts et ses couleurs, sa façon d'aimer, ses détestations. Il engage sinon son honneur, mais parfois sa réputation — pas à tous les coups, bien sûr, mais quand même. Que celui qui, offrant un livre, accepte ainsi de s'exposer, éventuellement d'être jugé, est bien une preuve d'amitié.
Mais j'y pense : pourquoi à "offert" ai-je ajouté "et recommandé" ? Quelqu'un, même quelqu'un qui ne serait pas de vos amis, vous a-t-il dit un jour : "Tiens, je t'ai apporté un livre. Il est sans intérêt, creux et ennuyeux ; en plus, il est mal écrit et n'a rencontré aucun succès" ? Non, bien sûr ! Parce que, quand on offre un livre à un ami, c'est qu'on l'a aimé, — le livre, pas l'ami, parce que l'ami, normalement, on l'aime encore — ou que, sans l'avoir encore lu, on a lu d'autres ouvrages de son auteur. Alors, en véritable ami, on veut partager le plaisir qu'on a connu ou dont on est certain qu'on le connaitra.
"Recommandé" et "ami" étaient donc deux précisions inutiles. "Ce livre m'a été offert" eut été suffisant. J'allais dire "parfaitement suffisant", mais à quoi sert le "parfaitement", le "suffisant" se suffisant à lui-même ? (Tout le monde ne peut pas écrire comme Chardonne1, n'est-ce pas ?) Avec ce souci, d'ailleurs redondant, du détail, je n'ai fait qu'alourdir le texte et noyer un peu plus le poisson, comme je suis en train de le faire depuis la deuxième ligne.

Donc, ce livre m'a été offert, par un ami, cela va de soi comme expliqué plus haut, et c'est la première des deux raisons qui me gênent pour rédiger ma critique. En effet, si vous avez suivi toutes mes circonvolutions à base de prétendues réflexions sur le livre et l'amitié, vous avez deviné qu'elle comportera au moins quelques réserves, cette critique. Ouf ! C'est dit : ce livre, je ne l'ai pas vraiment aimé ! Non, je m'exprime mal : ce livre a des qualités, mais je ne les ai pas appréciées. On comprendra peut-être pourquoi un peu plus loin.
La deuxième raison, la voici. Je suis le type qui a passé son temps à gueuler sur tous les toits et tous les tons que "l'histoire, on s'en fout ! c'est le style qui compte !" Vous vous souvenez ? Eh bien là, non, et pourtant, du style, il y en a ! Alors je suis gêné, vous comprenez ?

Dans ce très court roman (ici, le "très" n'est pas inutile : le roman fait 78 pages), la situation de départ est prometteuse, le scénario intéressant, les décors étranges, les personnages forts, l'atmosphère oppressante, le désir charnel et les passions violentes. En 1961, le narrateur, instituteur, prend son premier poste dans un village du Périgord, pas loin de Lascaux. Une grande, belle et sensuelle jeune femme brune, Yvonne, mère célibataire, y tient le bureau de tabac. du jour où il voit Yvonne pour la première fois, l'instituteur est possédé par un violent désir charnel, attisé chaque jour davantage par le mystère qui entoure la belle Yvonne. Il devine qu'elle a un amant et cherche parmi les hommes du village quel est celui qui soumet Yvonne, et qui occasionnellement la frappe. le narrateur a une jeune maitresse, Mado, gentille fille qui ne se rend compte de rien et qui ne compte pas. Il finit par découvrir qui est l'amant, un homme du village, plus âgé, assez quelconque et pêcheur émérite. L'instituteur se venge en persécutant le fils d'Yvonne. le roman de se termine dans une étrange scène d'éventration de poissons, tandis qu'Yvonne prend un bain (?)

Tout cela devrait donner au moins deux bonnes heures de bonne lecture.
Eh bien, non, pas vraiment ! Tout est mangé par le style ! Bon, alors le style ! Qu'est-ce qu'il a le style ? Pour vous le faire comprendre, j'ai choisi deux extraits, splendides.

Dans le premier, le narrateur fantasme sur Yvonne :

(...) mon désir n'avait pas décru. J'imaginais dans la salle sang de boeuf aux odeurs de mégots, de futaille, de salpêtre, tous les buveurs partis vers la nuit noire à quoi nul ne résiste, la buraliste cédant aussi à cet appel, se dressant sur son lit, jetant son imper sur son dos pour accourir là en tordant ses chevilles sur ses hauts talons, la reine, entrant comme le vent, à deux mains tremblantes ouvrant l'imper, et, à ma seule disposition sous l'oeil réfléchi d'Hélène derrière son comptoir, jetée nue sur les tables poissées, sur le flipper éteint, y secouant ses sequins, y perdant ses yeux blancs, dans toutes les postures enfin où se puisse le plus largement connaître son poil corbeau, ses cuisses orgeat, ses fesses de nacre, jouissant immodérément sous un renard, ses cris d'orfraie tombant, dévalant la falaise, étonnant les braconniers accroupis sur la Beune. Je l'étripais. (...)

Dans le second, l'instituteur et Mado suivent la pauvre lumière d'un homme qui les guide au travers d'une enfilade de cavernes :

(...) On avait peur de se cogner la tête. Tout était gorgé d'eau, les argiles, détrempées, blêmes collaient aux semelles, les pluies de cet hiver pourri s'égouttaient là-haut, ruisselaient en mille endroits ; je pensai aux énormes vidanges de cinquante siècles qui s'étaient engouffrées là-dedans, quand se débâclaient les grandes glaciations. Il faisait plus doux que sur terre : cette chaude haleine ajoutait comme toujours au malaise d'être plus bas que les morts, comme si vous soufflait dessus une bête pendue à ces voutes, rampant à l'aise sur ces sables pourris, toujours vous précédant hors du faisceau de la lampe mais par-dessus son épaule braquant sur vous son mufle et vous attendant au tournant, une grande abstraction ambulante, chaotique et toute prête à s'incarner pour peu que la lampe s'éteigne, quelque chose de plus aigu qu'Anubis et plus épais qu'un boeuf, le miasme universel à tête de mouton mort, à dents de loup, tout droit sur vous dans les ténèbres et vous regardant. (...)

Et là, vous vous dites : "Quelle écriture fiévreuse, foisonnante ! Quelle force des images ! Quelle poésie ! Ce style, quelle richesse !"
Eh bien, oui, justement ! Quelle richesse ! Soixante-dix-huit pages comme ça, nourries de longues phrases à la construction piégeuse, pleines d'embûches, de virages en épingle et de longues montées abruptes sans jamais de descente, jamais de pause ni de roue libre, non seulement c'est exténuant, mais ça obscurcit le récit. C'est pourquoi, malgré tous ses passages remarquables, j'ai eu un peu de mal à avaler ce roman, un peu comme j'aurais eu de mal à finir une trop large portion de cuissot de sanglier périgourdin à la Royale. Trop riche !

Un dernier mot : en lisant cette critique, et plus précisément sa première partie, vous avez peut-être trouvé que le style que j'utilisais n'était pas très fluide : bourré d'incidentes, de clins d'oeil au lecteur et autres artifices dont l'utilité est de tourner autour du pot et le résultat d'entraver la lecture. Que Chardonne me pardonne, mais ce n'était pas une critique aisée.

Note 1
"Pas d'adjectifs ; le moins possible ; ils affaiblissent un style naturellement fort, vif, savoureux. L'adjectif, c'est comme les bijoux. Une femme élégante ne porte pas de bijoux (ou bien c'est un solitaire. Les lieux communs, c'est pour les bonnes.) [...] Pas de mots qui sont de la bourre, "par conséquent", etc. fausses liaisons, etc. Jamais de métaphore ; pas la moindre. Pas de mots superflus. Ils n'ajoutent rien ; ils affaiblissent. Si vous dites : “Je vous déteste fortement.” C'est plus faible que “Je vous déteste.” le moins de mots possibles."
Jacques Chardonne

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Nous sommes en 1961. le narrateur, tout jeune instituteur est nommé, pour son premier poste, à Castelnau « Entre les Martres et Saint-Amand-le-Petit, il y a le bourg de Castelnau, sur la Grande Beune ». Il n'y a pas de gare à Castelnau, il arrive en car sous une pluie battante et prend pension dans le seul hôtel du village « Chez Hélène » « sur la lèvre de la falaise en bas de quoi coule la Beune, la grande ». Hélène était vieille et massive comme la sibylle de Cumes, comme elle réfléchie, et de même attifée de belles guenilles, coiffée d'un fichu roulé ; son gros bras à la manche relevée essuyait la table devan t moi
La foudre le saisit au bureau de tabac devant la beauté d'Yvonne, la buraliste xdont il tombe immédiatement éperdument amoureux, une vraie passion. « Je ne crois guère aux beautés qui peu à peu se révèlent, pour peu qu'on les invente ; seules m'emportent les apparitions. Celle-ci me mit à l'instant d'abominables pensées dans le sans. C'est peu dire que c'était un beau morceau. Elle était grande et blanche, c'était du lait. C'était large et riche comme Là-Haut les houris, vaste mais étranglé, avec une taille serrée ; si les bêtes ont un regard qui ne dément par leur corps, c'était une bête ; si les reines ont une façon à) elles de porter sur la colonne d'un cou une tête pleine mais pure, clémente mais fatale, c'était la reine. »

Des pages sensuelles qu'elles soient impétueuses ou limpides, rugueuses ou douces, me transportent dans un lieu où le paysage, le bestiaire de Lascaux s'entremêlent dans une poésie vibrante.
Je n'ose en dire plus, non pas par le suspens qui en découle, non, il n'y en a pas, mais je ne saurais définir, sans les abîmer la beauté des mots, des phrases, l'atmosphère et la Beune, immuable, qui continue de couler.
Superbe coup de coeur


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J'ai découvert la littérature française avec La Grande Beune, il y a vingt ans. Avec le temps le souvenir de l'intrigue amoureuse s'efface - un peu comme chez Gracq; reste la puissance d'une terre, les pierres polies rapportées par les enfants au maître d'école, les montées du désir primitif: une sorte de portrait de l'éternité. Ce roman, lisais-je, est tout ce qui reste d'un roman plus vaste, abandonné; je ne sais si Michon aurait gagné à suivre son personnage sur un récit long plutôt, comme il le fait partout, de juste lui rentrer dedans au carrefour.
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Au début des années 60, le narrateur, jeune instituteur de 20 ans débarque à Castelnau, un petit village de Dordogne que nourrit, dans tous les sens du terme, la Grande Beune, cette rivière poissonneuse et sombre qui coule en contrebas. Pas loin, les Grottes de Lascaux s'ajoutent à ce paysage presque symbolique.
Il loge à l'auberge, chez Hélène puis fait bientôt la connaissance d'Yvonne, la belle vendeuse de tabac. Une reine.
Dans cet univers animal, fait de mâles et de femelles, de chasseurs et de mères, l'instituteur laisse libre cours à ses fantasmes, multipliant les rêveries érotiques que suscitent les apparitions d'Yvonne, celle qui tente d'être une femme jusqu'à traîner ses talons aiguilles dans la boue. Celle qui, comme une apparition, se met sur son « 31 » pour un coït brutal consommé au fond d'une grange humide.
Mais sous le couvert de cette histoire simple, celle du désir qui se joue et se rejoue à l'infini depuis la nuit des temps, Pierre Michon nous livre, dans une langue flamboyante et érudite, une fable sur l'origine du monde (titre d'ailleurs envisagé initialement).
Personnages, animaux et décors s'emmêlent alors dans ce fabliau contemporain, libérant une vaste métaphore du commencement : tel un peintre retournant aux gestes de bases, l'auteur, dans un entrelacement de gestes et de visions, convoque les sens et les instincts, le désir et le plaisir. Les fantasmes du narrateur viennent se rejouer sur les murs des grottes, toiles rugueuses sur lesquelles les premiers hommes « dans une écriture faite de bêtes que nous ne pouvons pas lire » écrivirent les premiers mythes.
Sur cette terre ancestrale, creusée de trous féconds où jaillirent les premiers gestes artistiques, sur les rives de cette Beune, ventre sombre et nourricier, mêlant dans un même emballement sensuel et jouissif le crissement des bas nylons, la chair dépecée d'une grue ou le repos des rennes en transhumance, Pierre Michon nous livre un monde de « chair blanche », celui qui jaillit de « ce qui pousse au ventre ».
Chair brutalisée, « chair de soie », chair désirable, chair animalisée ou fardée, Pierre Michon nous livre la beauté primitive du désir.

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J'ai voulu confirmer mon opinion avec ce 2ème opus de Pierre Michon ; et oui, je peux dire que cet auteur a une écriture bien à lui, toute en nuances, métaphores , allégories et autres figures de style qu'il maîtrise avec grâce et talent.
D'un sujet banal, il en fait un poème narratif plein de subtilités et d'inventivité
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La terre, la chair, le désir, l'érotisme et surtout une langue née pour le dire.
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le jeune maître dans une école de campagne, le monde dur, écarté. Dans ce monde il y a aussi une formidable hotesse et le tout est l'écrin ou la source d'une des plus belles célébrations de la beauté et du désir que j'ai lues.
78 pages dégustées
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L'écriture de Michon est toujours somptueuse, mais ici je ne marche pas comme je l'ai fait dans Vies minuscules, sans doute parce que le récit est moins autobiographique. en s'éloignant de son terroir et de son histoire personnelle, ne retrouve pas les mêmes accents tragiques et l'authenticité de son premier opus.
Lien : http://jcfvc.over-blog.com
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En quelques pages, dans un langue superbe, Pierre Michon donne à ressentir en profondeur un pays (le Périgord) des personnages (le narrateur jeune instituteur nouvellement nommé, Hélène, son aubergiste, Yvonne, belle comme une reine, Jean le pêcheur,) des sentiments doux et violents qui se déploient sur un terre ou le souvenir des hommes de Cro-Magnon et des rennes qu'ils chassaient n'est pas encore éteint.
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