Ce tome contient les épisodes 1 à 6 d'une nouvelle série, débutée en 1990. Tous les scénarios sont de
Peter Milligan, les dessins de
Chris Bachalo, l'encrage de
Mark Pennington, et les couvertures de
Brendan McCarthy.
Kathy George est une femme qui a un passif de malade mental. Il faut dire que ses parents ont été assassinés par un tueur en série. Lorsqu'elle est arrivée chez eux avec son fiancé, il se trouvait encore sur place, et son fiancé a été tué par un policier en patrouille qui a supposé que des 2 hommes en train de lutter, le noir était vraisemblablement le coupable (l'histoire se déroule en Lousiane). Aujourd'hui c'est le jour de l'exécution de Troy Grenzer (le tueur en série) ; il passe sur la chaise électrique. Kathy est venue roder autour de la prison, sans but bien précis. Suite à une série d'événements étranges, Kathy va se retrouver à prendre la route avec Troy Grenzer qui a rescapé de la chaise mais qui est habité par Rac Shade, un individu qui prétend venir d'une autre dimension. Ensemble, ils vont devoir faire face à des manifestations de la folie de l'inconscient collectif du peuple américain. Dans les épisodes 2 à 4, cela commence par un quotidien envahi par des manifestations de l'assassinat de John Fitzerald Kennedy (surnommé Jack) le 22 novembre 1963, à Dallas au Texas, à 12h30. La réalité se mêle à la fiction et les différentes hypothèses du meurtre se jouent dans la rue interagissant avec les passants. Dans les épisodes 5 & 6, la folie s'empare d'une caméra de cinéma qui fait se télescoper la réalité et la fiction de 4 acteurs, un réalisateur, et de nombreux figurants de la vie réelle.
Le personnage de Rac Shade a été créé par
Steve Ditko en 1977 ; les épisodes correspondants ont été regroupés dans The Steve Ditko Omnibus Vol. 1. En 1990, Vertigo, la branche éditoriale plus adulte de DC Comics, essaye de remettre au goût du jour des personnages DC oubliés ou peu employés, dans des versions plus complexes. Elle confie le personnage de Rac Shade à
Peter Milligan, un auteur anglais, après avoir confié The Sandman à
Neil Gaiman et Animal Man à
Grant Morrison.
Le premier épisode donne le ton d'une série très noire et introspective. La vie de Kathy George est partie en sucette avec l'assassinat de ses parents et la mort de son fiancé sous ses yeux, victime d'un préjugé ordinaire. Elle a subi un internement et elle est à la dérive, sans but dans la vie, sans position sociale. le hasard la contraint à faire équipe avec celui qui incarne sa déchéance, la violence aveugle qui a massacré la vie de ses proches. La deuxième histoire s'enfonce dans une forme d'aliénation traumatisante : celle d'un écrivain journaliste qui a voué sa vie à découvrir la vérité sur l'assassinat de JFK. Milligan décrit un individu perdu dans son obsession fuyant un traumatisme bien réel de sa vie personnelle. le lecteur ne peut pas rester insensible à cette déchéance mentale, à cette folie obsessionnelle. Milligan a l'art et la manière de rendre son récit oppressant et nauséeux. La description de l'assassinat de JFK revient sans cesse sur sa blessure à la tête, les gants de sa femme éclaboussés par la matière cervicale, la boîte crânienne cassée par l'impact. le lecteur se débat avec les personnages dans ces hypothèses contradictoires, dans les culs-de-sac successifs que sont l'analyse des faits et gestes de Lee Harvey Oswald, et son assassinat par Jack Ruby. Milligan entremêle les faits réels avec les actions de Kathy et Troy/Rac jusqu'à ce qu'ils soient englués dans une conspiration indéchiffrable. Il utilise une construction narrative qui lui permet d'exposer les faits historiques au lecteur de manière naturelle, tout en développant son intrigue, sans donner l'impression de faire un cours magistral. le lecteur se retrouve impliqué sans espoir de recul dans le drame personnel du journaliste et dans le traumatisme que fut cet assassinat pour le peuple américain. Il prend de plein fouet ce déchaînement de sentiments irrationnels et viscéraux. C'est une longue plongée en apnée dans un cauchemar psychique éprouvant. La troisième histoire est tout aussi viscérale, mais avec une possibilité de prendre du recul par rapport à la souffrance évoquée parce que la critique de l'industrie du cinéma est un thème plus habituel.
Cette lecture est rendue d'autant plus intense par les illustrations peu communes. Bachalo est alors dans sa première période stylistique, avant d'incorporer des influences manga et une légère touche d'autodérision. Il utilise un trait assez fin, avec quelques aplats de noir pour figurer les ombrages. Il dessine des visages durs et marqués. Il a joute régulièrement de petites hachures pour signifier la texture des matières. Il a recours au balbutiement des effets spéciaux à base de photocopies déformées, de dessins étirés, de surimpression en couleurs. Cela aboutit à des illustrations un peu chargées qui ajoutent à l'impression ambiante de claustrophobie et de déséquilibre mental. Ce sont des dessins parfois difficiles à lire sur lesquels le lecteur doit s'attarder pour les déchiffrer, pour hiérarchiser les informations. La lecture en devient parfois presque pénible, encore plus du fait des teintes criardes utilisées par Daniel Vozzio qui surgissent de ci, de là, agressant l'oeil du lecteur. Autant que le scénario, les illustrations plongent le lecteur dans un monde livré au chaos, au choc entre des éléments de nature hétéroclite. Les couvertures sont encore plus agressives dans leur délire psychédélique, avec
Brendan McCarthy qui manie une horreur visuelle ironique, et des teintes vives évoquant plutôt l'enfance. Là encore le malaise est garanti.
Milligan et Bachalo s'engouffrent à fond dans la politique éditoriale de Vertigo : il s'agit de mettre le lecteur mal à l'aise avec des histoires sordides plongeant dans l'inconscient collectif d'une Amérique traumatisée. À l'évidence, ils accomplissent leur objectif de manière éclatante. Mais cette agressivité sensorielle et émotionnelle s'avère épuisante pour le lecteur. Milligan s'amuse comme un petit fou avec les pouvoirs mal définis de Rac Shade pour rendre la réalité malléable, et il s'amuse encore plus avec le fait qu'il vient de la planète Méta. le lecteur comprend vite que Milligan prend ce terme au sens de métacommentaire. Et par moment, on a l'impression que Milligan perd le fil de son histoire à force de vouloir être à fond dans l'agression et le métacommentaire. Assurément ces épisodes forment une expérience de lecture peu banale, presque post-punk par sa radicalité. C'est enrichissant, provocateur, intelligent, mais un peu trop douloureux. La série continue dans Edge of vision (épisodes 7 à 13). Milligan s'amusera à faire réapparaître le personnage de Shade dans des épisodes d'Hellblazer (Bloody carnations), puis dans Justice League Dark.