En voyant au travers des médias le comportement des Japonais en réaction à la catastrophe de Fukushima, ou encore lors de la dernière coupe du monde de football, quand leurs supporters ont été les seuls, en fin de match, à nettoyer les tribunes des reliefs de leur exubérance, je me suis dit que nous n'étions pas faits du même bois. C'est donc avec le plus vif intérêt que j'ai trouvé dans les pages de cet opuscule d'Akira Mizubayashi, Petit éloge de l'errance, l'éclairage propice à m'engager dans cette réflexion sur les différences de comportement des uns et des autres selon la formation mentale des cultures respectives.
Japonais de naissance, Akira MIzubayashi a fait ses études de lettres en France. Il en manie la langue avec un talent propre à déchoir nombre d'entre nous, pourtant nés dans le bain amniotique de la langue de Molière. Cet homme de lettre à la double culture était donc tout indiqué pour faire le distinguo des mentalités nippone et occidentale.
Avec ma propension à louer le sens collectif qui anime les Japonais, j'avais oublié que la nature humaine étant ce qu'elle est, d'un bout à l'autre de la planète, il n'est point de complexion parfaite quand on l'accommode à l'intelligence. Cela se saurait. Et Akira Mizubayashi de nous décrire les us et coutumes de ses compatriotes comme un "mode d'existence communautaire indestructible qui, foyer du conformisme rampant, entrave et empêche l'apparition d'êtres singuliers associatifs et leur avancée sur le chemin d'une véritable appropriation démocratique." le mot est lâché.
Il pousse ainsi ses craintes au point de voir le Japon en retourner à ses vieux démons, ceux-là mêmes qui ont conçu ce corps étatico-moral de l'ère Hirohito. Son pays natal s'inventerait alors une nouvelle incarnation spirituelle de morale collective, apte à "réinventer un être en commun dans une société que l'on pourrait qualifier de "tout à l'ego". Appréciez l'association d'idée qui connote une certaine répugnance pour l'agglomération des êtres singuliers en un cloaque englobant et dénaturant la personne pour la diluer dans une mouvance omnipotente et souveraine.
Vu sous cet angle, on trouve le nettoyage des tribunes moins séduisant. Où se trouve donc l'idéal humaniste ? Sans doute dans l'errance, nous convainc Akira Mizubayashi. Errance qu'il ne faut pas confondre avec itinérance, laquelle trace des chemins à suivre. Errance qui comporte ses parts de solitude et d'incertitude. Errance linguistique au final, et pourquoi pas, qui dans le choix d'une langue épousée en contre pouvoir d'une langue imposée, confère le bagage culturel, l'ouverture d'esprit indispensable à l'élévation. Sortir de l'enfermement.
Comme toujours, entre l'orient et l'occident, tous deux empesés de leurs culture et traditions, doit bien se trouver une aire de compromis, accessible à la seule errance. Il s'agit donc bien de faire l'éloge de cette dernière, puisque plus proche d'une lucidité, véritable source d'humanisme.
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Un livre percutant notamment par une critique implacable de la société japonaise sclérosée- ce Japon, pays natal de l'auteur- par sa "puissance d'assujettissement" à "l'être-ensemble communautaire", par une "soumission à la Majorité","un engourdissement chronique, inguerissable, de la conscience politique".
Terrifiantes en particulier ces pages sur le "Monstre invisible", toujours présent, ce nucléaire aux conséquences humaines et écologiques dramatiques et face auxquelles "personne n'est responsable", "l'être singulier", "l'individu" étant toujours des notions inexistantes dans le Japon d'aujourd'hui encore.
Dès lors, c'est à cette quête incessante d''un autre soi, à cette errance que nous convie l'auteur au travers de ses propres découvertes, de récits intimes, de questionnements existentiels.
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Très agréablement suprise par ce petit livre résolument rebelle ! Au croisement de plusieurs disciplines - histoire, linguistique, cinéma japonais, autobiographie, nationalisme, et même écologie avec la question du nucléaire - l'auteur raconte sa quête personnelle d'une manière de sortir du carcan étouffant de la société japonaise, qui ne laisse aucune place à l'individu et ne le conçoit que comme rouage intégré d'une grande mécanique nationale. On ressent une pointe de plaisir et de fierté à l'idée que ce soit justement au sein de la culture française que l'auteur soit allé chercher les clés de cette quête de liberté et de lucidité.
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L'auteur, écrivain japonais francophile et francophone, emmène le lecteur dans ses pérégrinations mentales - qu'il nomme ses errances.
Outre les réflexions personnelles et historiques, c'est une introduction très personnelle au Japon comparé à une société comme la France.
L'auteur illustre notamment - selon ses mots - le présentisme, le conformisme, et l'absence d'idée de transcendance comme caractéristiques de la culture japonaise (p. 67).
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