Chaque fois que sort un nouveau roman de
Patrick Modiano, un de mes auteurs bien-aimés, et dont j'ai lu presque tous les
romans, c'est le même questionnement, la même petite appréhension: vais-je encore aimer celui-là, ne vais-je pas être déçu cette fois?
Et, comme chaque fois, la magie de cette narration si fluide, de cette écriture si poétique, opère.
Et cela malgré une histoire d'apparence plutôt simple, mais en réalité plus subtile qu'elle n'en a l'air.
Le héros du récit, un certain Jean Bosmans, que l'on a déjà rencontré dans d'autres
romans, et qui est une sorte de double littéraire de l'auteur, est amené, tel un
Marcel Proust à l'évocation des noms de pays, en entendant à la radio le nom de
Chevreuse, à plonger dans son passé et à revivre une histoire qui date de trente ans.
Cette histoire, qui s'est déroulée alors qu'il avait à peine vingt ans, le ramène aussi, comme par une sorte de jeu d'emboîtement, à un épisode de son enfance dans la maison « Guillotin » de la rue du Docteur-Kurzenne, un lieu un peu étrange qui fait le lien avec le roman
Remise de peine, où il était en pension avec son frère, et où passaient des personnages à la vie bien mystérieuse.
Sa fréquentation d'une certaine Camille dite « Tête de mort »
et de son amie Martine Hayward, va l'amener à revoir cette maison de son enfance, puis, peu à peu, à saisir la manipulation qui se trame autour de lui, et dans laquelle sont impliqués des personnages louches. Et aussi à se lier à une autre femme, Kim, gouvernante de l'enfant d'un de ces malfrats. Et aussi à découvrir les liens de ces hommes avec de sombres histoires qui datent de la fin de la deuxième guerre mondiale.
Et enfin, comme cette histoire personnelle devient la trame du premier roman de Jean Bosmans, naît une sorte de « mise en abyme » qui complète le subtil jeu de miroirs qu'est ce
Chevreuse.
En conclusion, certes ce roman n'est pas au niveau des
Dora Bruder,
Rue des Boutiques Obscures, ou encore
Dans le Café de la jeunesse perdue, mais il y a toujours la même magie de l'évocation du passé, des lieux habités par la mémoire, spécialement, une fois encore, d'un Paris revisité.
J'ai lu que
Modiano ne corrigeait que très peu son texte, à la différence d'autres auteurs, je pense à l'exemple célèbre de
Flaubert, qui s'évertuent à trouver la bonne forme de la narration, et reprennent sans cesse leur manuscrit. C'est sans doute ce qui explique la fluidité du récit, l'auteur, je l'imagine, laissant germer et grandir l'histoire jusqu'à ce qu'elle parvienne à maturité, et celle-ci sort alors d'un seul jet sous sa plume.
Ça me fait penser à Mozart, qui écrivait très rapidement sa musique, comme si elle apparaissait comme déjà toute faite et d'une étonnante facilité, alors que vraisemblablement son esprit l'avait mûri depuis pas mal de temps.
Oui, c'est peut-être cette manière qui fait la petite musique magique de
Modiano, petite musique que tout le monde n'aime pas écouter, mais c'est ainsi, il faut de tout pour faire un monde