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3,4

sur 102 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Wouah, voilà le genre de roman dont on ne ressort pas indemne… On est loin des « gentilles » autrices japonaises Ito Ogawa et Aki Shimazaki. Par contre, ce roman m'a rappelé les premiers Yoko Ogawa, et aussi les Chinois Yan Lianke et Mo Yan et ses fameuses grenouilles, mais pas question de grenouilles ici. Ou certains films de Polanski (les premiers) ou d'Haneke. Voilà pour l'ambiance !

San, une jeune mariée, femme au foyer sans enfant, range les photos du couple sur son ordinateur et constate que son visage et celui de son mari se ressemblent de plus en plus. Au fil des pages, la jeune femme perd peu à peu sa consistance, jusqu'à ne plus avoir la force d'affirmer ses choix, ses goûts, jusqu'à ne plus pouvoir contredire son mari quand il édicte « Tu es comme moi. Ce n'est pas la peine de faire semblant de réfléchir alors qu'en réalité tu n'en as pas envie. Toi et moi, on n'a pas envie de penser aux choses sérieuses. C'est pour ça que je me sens bien avec toi. ». Comment contrecarrer cette volonté de l'autre à nous assimiler, à nous faire devenir une partie d'eux-mêmes pour nous neutraliser, pour nous contrôler ou peut-être pour ne jamais nous perdre ? Peut-on encore parler d'amour ?

Je dis roman, mais peut-être devrais-je parler ici de conte, car on y retrouve plusieurs des ingrédients essentiels aux bons contes (qui font les bons amis, je le rappelle pour les distraits). Non non pas le genre de conte avec une grenouille (encore ?) euh non je veux dire un crapaud qu'il faudrait embrasser, beurk. Ou avec un Prince Charmant qui doit sauver la Princesse du méchant dragon pour l'épouser (la princesse, pas le dragon - quoique parfois sous un charmant minois se cache une vraie harpie). On est bien loin du Prince charmant, en fait, avec ce mari affalé tous les soirs devant les émissions de variétés, après s'être empiffré et sans avoir réellement discuté avec sa jeune épouse.

On retrouve ici le côté merveilleux des contes. du merveilleux qui se glisse insidieusement dans le récit apparemment banal, le récit de la vie de tous les jours, et qui déstabilise ainsi le lecteur. Ce n'est pas à franchement parlé un roman fantastique, mais on franchit quand même sans aucune difficulté la frontière entre réel et imaginaire.

Ensuite, il y a de nombreux aspects symboliques qui restent délicats à interpréter, d'autant plus que nous sommes au Japon, culture et mentalité qui me sont étrangères, même si je connais deux ou trois choses sur l'animisme et le shintoïsme. Les figures du chat, de la pivoine, des galets m'ont interpellée, sans que je puisse probablement en mesurer, en apprécier toute la portée. À ce propos, si j'ai pu me faire ma propre interprétation de l'histoire générale, je n'ai pas pu intégrer cette histoire de chat incontinent.

Néanmoins le propos est universel, et pour ma part, fait résonner une peur enfouie dans mon inconscient. Celle de me faire phagocytée par une relation, de disparaitre et de me dissoudre dans l'Autre, celle de ne plus exister en tant que telle mais comme « femme de … », « mère de… », « fille de … ». Je mets le tout au féminin, car je suis une nana, mais on peut bien sûr le décliner au masculin, même si je pense que les cas sont plus rares, à part peut-être pour Mr Thatcher ou Herr Merkel…
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Court et étrange roman que ce Mariage contre nature. San est mariée depuis quatre ans avec un homme qui gagne très bien sa vie. Elle a ainsi fait le choix d'arrêter de travailler pour s'occuper du foyer. Elle n'a pas d'enfant, et son mari a divorcé de sa première femme parce que dit-il, il ne se sentait pas lui-même. Le roman s'ouvre sur un constat déroutant et même inquiétant aux yeux de San, qui vient de visionner des photos de son couple : « Un jour, j'ai remarqué que nos visages, à mon mari et à moi, se ressemblaient comme deux gouttes d'eau. » Dès lors, elle va s'évertuer à comprendre ce qu'il se passe en auto-observant son couple au quotidien, nous faisant ainsi partager leur vie commune à travers ses yeux, à la fois éberlués, consternés, inquiets, las, mais sans se départir d'une dose d'humour et de beaucoup de patience…

Pour réduire un peu l'enfermement de cette vie conjugale trop bien réglée, San est également entourée, outre de son chat Zoromi, de son frère Senta et de sa belle-soeur Hakone, et de sa vieille voisine Kitae, préoccupée par le sort de son chat vieillissant Sansho, qui pisse partout et devient bien encombrant. San s'interrogeant, elle les consulte. Si Senta a l'air bien rationnel, trouvant naturel de partager des mimiques avec son conjoint, Kitaé se remémore une histoire vécue de convergence des apparences, particulièrement étrange, entre une femme et son mari…Il faut bien dire que cette femme est un peu folle, à vouloir aller abandonner Sansho dans la montagne, ce qui finira par se faire avec la complicité réfractaire de San.
Son mari travaillant apparemment beaucoup dans l'entreprise qui l'emploie, San assume toutes les tâches domestiques pendant qu'il reste dans le canapé à regarder la télé, et surtout à jouer sur sa tablette tactile, qu'il ne lâche bientôt plus. Il se fait servir son manger et sa petite bière comme un pacha, ayant l'air d'une sorte de pantin sans volonté et sans énergie, obnubilé par ses jeux. Il se laisse porter par cette vie doucereuse avec une femme à la fois docile et qui assume. Il se sent lui-même. Il dit recevoir des sms bizarres de son ex-femme. San craint un retour de flamme avec elle. Manifestement son mari ne va pas bien. Et puis il y a ce déplacement bizarre sur son visage, de sa bouche, de son nez, de ses yeux, comme si ce visage familier se brouillait, se transformait, était instable. Que se passe-t-il donc ?

La narratrice nous plonge dans une observation clinique de son couple et de son mari. L'atmosphère n'est pas d'un grand romantisme, leur relation apparaît mécanique et sans tendresse. C'est tellement vrai qu'on ne connaîtra jamais le prénom de son mari dont elle parle sans cesse ! L'ambiance est de plus en plus bizarre, au point qu'elle le déshumanise peu à peu, elle parle de « chose qui lui tient lieu de mari » à plusieurs reprises…et même lorsqu'un jour sans crier gare elle le trouve aux fourneaux à faire la cuisine pour eux deux, s'étant mis en arrêt de travail, et qu'elle trouve le résultat convaincant, elle ne lui dit pas et retombe vite les jours suivants dans l'inquiétude en le voyant reproduire systématiquement et le geste, et le même plat de friture dont elle sent qu'il finira par l'écoeurer. Pourtant, quel bonheur de se laisser servir, surtout que bientôt ce sera les courses, le linge… ! Alors, elle se laisse faire, au point que les rôles sont comme inversés…San profite du canapé et de la télé, prend 7 kilos, et cette sorte de « vis ma vie » dans le couple semble rapprocher jusqu'aux apparences physiques entre eux…jusqu'à la surprise finale, complètement inattendue et qui bascule dans une sorte de fantastique poétique !!!

Motoya s'y entend pour nous faire balancer entre éléments rationnels, rassurants, avec d'ailleurs un ton souvent de dérision et d'humour, et un coté dérangeant et inquiétant. Il s'agit certes sans doute de présenter la grande misogynie qui règne chez l'homme japonais trop heureux de profiter de la soumission de sa femme, d'illustrer l'érosion (parfois rapide) des sentiments dans le couple, mais il y a aussi au fil des pages une réelle interrogation qui naît sur la véritable nature du mari : on finirait presque par penser aux nouvelles fantastiques de Philip K. Dick et ses personnages truqués ! L'anxiété nous gagne en se demandant qui est vraiment cet « homme » qui se détraque sous nos yeux et qui vit avec San.

Pour ma part, je ne regrette pas d'avoir fait fi des notes étonnamment basses de ses deux publications en français, alors qu'elles ont engrangé plusieurs prix littéraires au Japon. Après avoir apprécié « Comment apprendre à s'aimer », ce « Mariage contre nature » est une très belle confirmation du talent original de l'auteure. Le style est agréable, à la fois simple et d'une très bonne qualité d'expression. Manifestement la traduction de Myriam Dartois-Ako préserve cette qualité, car les effets humoristiques fonctionnent. On déroule les pages avec intérêt et avec une anxiété croissante, jusqu'au dénouement final assez déjanté…

A travers chacune de ses nouvelles productions, Yukiko Motoya s'interroge sur le couple, le mariage et les problèmes qu'ils posent à l'individu : peut-on parvenir à rester soi-même et ne pas être phagocyté(e) par le conjoint, peut-on éviter de ressentir une solitude intérieure ? Et évidemment, plus qu'en filigrane, la place de la femme japonaise dans ce couple. J'aime ce féminisme subtil, à travers un humour pince-sans-rire, sans hargne souvent contre-productive. A la japonaise !

Un vrai talent multiformes, puisqu'elle écrit aussi pour le théâtre, ainsi que des nouvelles (un recueil de onze textes courts vient d'être traduit et édité en anglais). Alors vivement une prochaine parution, aux éditions Picquier peut-être ?
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L'histoire ne tient pas son originalité de sa trame mais bien du propos et de la plume de l'auteur.

L'idée que développe Yukiko Motoya sur le mariage est très intéressante. le mariage engloutit les caractéristiques de chacun pour ne former qu'un tout uniforme, ce qui est particulièrement frappant et terrifiant. Comme si l'individu n'était plus, le mari et la femme partagent tout jusqu'à la conscience. Et c'est cette conscience commune, ce cannibalisme spirituel qui font que l'homme et la femme se confondent mentalement et physiquement.

J'ai aimé l'opposition entre les deux couples, l'un plus âgé qui se complète mais sans se mêler entièrement et l'autre plus jeune, qui n'est identifiable qu'en une seule unité.

La plume de l'auteur est très légère mais sait être incisive et touchante dans bien des passages.

Tout cela me donne envie d'aller acheter son premier roman publié en France : "Comment apprendre à s'aimer ?"
Lien : http://labullederealita.word..
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San est femme au foyer qui s'ennuie profondément dans sa vie conjugale, partagée avec un mari passif et désinvesti. Elle s'inquiète de cette influence et de leur métamorphose commune. À travers un récit à la fois contemplatif et teinté de fantastique, c'est la dynamique de leur couple qui se trouve minutieusement explorée, soumise à une critique aussi acerbe que sévère.

Le récit se déploie lentement, imprégné d'une atmosphère contemplative et dérangeante. San a le sentiment de vivre une relation à sens unique et sombre dans l'immobilisme. En effet, elle a conscience de la situation, en souffre et pourtant se laisse engluer et pourrir malgré les avertissements.

Il y a ici une dénonciation de la vie conjugale, entre attentes illusoires et sombre réalité. San m'a fait de la peine, et j'ai été en colère quant à l'attitude rustre et fermée de son époux. Avec des métaphores parlantes, on s'attaque à la nécessité de préserver son individualité pour s'épanouir et ouvrir la relation.

Il s'agit d'un récit court, mais profond, qui se lit rapidement. La conclusion peut sembler un peu particulière, mais c'est justement cette singularité qui contribue à son charme.
Lien : https://www.sophiesonge.com/..
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Formidable, un roman qui se lit d'une seule traite. Une fine analyse d'une relation de couple qui s'étiole au fil du temps, une réflexion sur l'identité, un petit morceau de poésie.
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