Le dernier roman d'
Haruki Murakami surprend, car l'auteur abandonne ici ce qui faisait le piment de ses autres récits, le fantastique ou du moins les allers et retours entre la réalité et l'étrange, dimension métaphorique où sa sensibilité s'exprimait pleinement.
Le thème de la solitude, l'importance de la musique demeurent dans ce dernier ouvrage, qui se lit comme une longue introspection, même si le personnage principal n'est pas le narrateur.
Dès les premiers chapitres, la souffrance poignante de l'abandon, ressentie par le héros, provient de son éviction d'un groupe d'amis dont il faisait partie depuis quelques années, composé de cinq lycéens, deux filles, trois garçons, unis comme les doigts de la main, dans un quintette parfait, d'ouverture, d'harmonie et de complémentarité.
Rejeté sans phrases et sans explications par les autres, via un appel téléphonique abrupt, Tsukuru ne demande pas les raisons de cette éviction, la souffrance le cueille de plein fouet, et avec une discrétion et un mutisme bien japonais, à l'aube de sa vie d'adulte, il sombre dans un état dépressif qui le mène aux portes du suicide et le marquera à jamais, moralement mais aussi physiquement. Un second chagrin d'amitié le frappera ensuite, lorsqu'un jeune étudiant avec lequel il s'était lié, Haida, disparaîtra de sa vie sans aucune explication ni adieu. Dès lors, malgré quelques liaisons féminines, sa vie sera marquée par le travail (ingénieur, il conçoit et améliore des gares) et une solitude irrémédiable qu'il finit par attribuer à sa personnalité sans relief, incolore, indigne de susciter l'amitié ou l'amour. Une culpabilité irraisonnée, la peur de souffrir à nouveau, l'amènent à refuser de nouvelles connaissances et à mener une vie rangée, monotone et sans saveur.
Lorsque Sara, une jeune femme qui l'attire de plus en plus, lui demande de mettre au clair les origines du noeud de souffrances qu'il cache inconsciemment en lui, il va sur ses conseils reprendre contact, seize ans plus tard, avec ses ex-amis aux noms "colorés", Aka et Ao, le Rouge et le Bleu, et apprendre d'eux la mort de Shiro, la belle musicienne de leur groupe, assassinée chez elle par un inconnu. Surtout il comprendra la raison de son éviction : Shiro l'avait accusé de viol dans un récit circonstancié et exigé que le groupe coupe tout lien avec lui.
Pourquoi cette accusation sans aucun fondement ? Ce sera la nouvelle quête de Tsukuru, culpabilisé par ses rêves érotiques impliquant Shiro. Elle le mènera jusqu'en Finlande où Kuro, l'autre fille du groupe, s'est mariée et installée. Leurs retrouvailles éclaireront leur passé commun et le lourd poids qui pèse sur l'âme de Tsukuru.
Récit d'une psychanalyse ? Cela y ressemble beaucoup.
L'originalité du roman tient dans l'origine du sentiment de souffrance et d'abandon, un terrible chagrin d'amité, un sentiment aussi, peut-être même plus douloureux qu'un simple chagrin d'amour, puis qu'ici il influe sur toute la vie du héros.
La musique joue aussi tout son rôle, avec le leitmotiv des "Années de pèlerinage" de Liszt et en particulier du morceau "Le mal du pays", écouté par divers personnages et chargé d'émotions intraduisibles en mots.
Même si le style de Murakami n'est pas réellement littéraire, ni recherché, avec des descriptions parfois assez plates, toutefois le charme, la mélancolie, la musique discrète de l'âme en souffrance, telles qu'elles s'expriment à merveille dans le dernier chapitre, tout en finesse, retiennent l'attention et contribuent à séduire le lecteur.