Citations sur Les désarrois de l'élève Torless (69)
Ce qui le tourmentait, c'était que les mots se dérobaient, la vague conscience déjà qu'ils n'étaient que des échappatoires occasionnelles, et qu'ils trahissaient l'émotion.
Pourtant, au moment où il fut emporté, il s'éveilla quelques secondes, et s'accrocha désespérément à cette seule pensée : "Ce n'est pas moi ! Ce n'est pas moi ! Demain, je redeviendrai moi-même ! Demain !" (Page 179)
Tout ce qui, vu de loin, nous semble si vaste et si énigmatique, finit toujours par nous paraître absolument simple, par retrouver un équilibre et des proportions normales, banales même. Comme si une frontière invisible était tracée autour de l'homme. Tout ce qui se trame au-delà de cette frontière et paraît venir à nous du bout du monde est comme une mer brumeuse peuplée de formes gigantesques et changeantes ; tout ce qui franchit cette frontière, tout ce qui devient action et entre en contact avec notre vie est clair, avec des formes et des dimensions parfaitement humaines. Entre la vie que l'on vit et celle que l'on sent, que l'on devine, que l'on voit de loin, il y a cette frontière invisible, telle une porte étroite où les images des événements doivent se faire aussi petites que possible pour entrer en nous... (Page 175)
Son attention était tout entière appliquée à retrouver le point, en lui, où s'était produite soudain cette modification de la perspective intérieure.
L'idée de l'irrationnel, de l'imaginaire, des parallèles qui se rejoignent à l'infini, donc quelque part, me déconcerte.
Torless sortit de son casier tous les essais poétiques qu'il y avait rangés. Il s'assit près du poêle où il demeura tout à fait seul, inaperçu derrière le haut écran de fer. Il feuilleta les cahiers l'un après l'autre, puis les déchira en petits morceaux très lentement et jeta ceux-ci un à un dans le feu, savourant chaque fois l'émotion délicate des séparations.
Il voulait se débarrasser ainsi de son ancien bagage, comme s'il s'agissait maintenant de porter son attention, libre de toute gêne, sur les pas qui lui permettraient de progresser.
D'ordinaire, en effet, les très jeunes gens, passé l'âge où ils veulent être cocher, jardinier ou pâtissier, commencent par situer leur carrière, en imagination, là où semblent s'offrir à leur ambition les meilleures chances de briller. Quand ils disent qu'ils veulent être médecins, il est sûr qu'ils ont vu quelque part une jolie salle d'attente ondée ou une vitrine pleine de mystérieux instruments de chirurgie ; parlent-ils de la Carrière, c'est qu'ils songent à l'éclat et à la distinction de "salons" cosmopolites ; en bref, ils choisissent leur profession d'après le milieu où ils se verraient le plus volontiers, l'attitude où ils se trouvent le plus à leur avantage.
Par chance, peu d'élève s'en rendent compte ; mais quand l'un d'eux vient nous voir, comme vous aujourd'hui (et je vous le répète, cela m'a fait grand plaisir!), nous ne pouvons que lui dire : Mon cher ami, contentez-vous de croire. Quand vous en saurez dix fois plus qu'aujourd'hui, vous comprendrez. En attendant, croyer!
[...] Törless devait devenir plus tard, une fois surmontée l'épreuve de l'adolescence, un jeune homme très fin et très sensible [...]
Concentre toute ton attention sur l’intérieur, jusqu’à ce que tu trouves le point où tu te sentiras présent sans ressentir ni émotion ni pensée.