Il m'en aura fallu du temps pour venir à bout de ces « quatre chants sur le soin et la contrainte » ! Disposant d'une très bonne couverture presse à sa sortie, ce livre m'avait attirée tant par son sujet que par la manière, ouvertement à contre-courant d'un conformisme de pensée contemporain, dont il entendait le traiter. Bon… quelques semaines (mois !) de lecture en grands pointillés plus tard, j'en suis un peu revenue sans savoir ce qui tient de l'ouvrage et ce qui revient à moi dans cette rencontre pas complètement réussie.
J'avais déjà été chahutée à la lecture de
Judith Butler,
la force de la non-violence, par un propos philosophique qui n'en avait pourtant pas le ton ou la rigueur de la démonstration. D'autres écrits contemporains (
David le Breton,
Mona Chollet…) m'avaient pourtant habituée à ce que titres de film, articles de presse, paroles de chanson figurent largement dans le corps de l'essai. A ce que le propos paraisse débridé voire ébouriffé. Mais jusqu'ici, je n'étais jamais complètement paumée dans les références proposées ou dans le chemin parcouru. Disons que si je ne les avais pas toutes, je pouvais au moins me targuer d'en reconnaitre une bonne moitié et de comprendre ainsi le fond de ce que ces citations étaient censées illustrer. Disons que je voyais toujours à peu près où commençait un raisonnement et où se terminait l'argumentation (quoi que…. chez Butler…).
Avec
Maggie Nelson, non seulement les références appartiennent quasi exclusivement au monde anglosaxon mais elles touchent le monde de l'art contemporain, des écrits LGBTQ+, la culture pop… autant d'univers dans lesquels je ne demande pas mieux d'apprendre mais où je manque sérieusement de billes. Ainsi, dans le premier chant consacré à la relation entre le soin et l'art, je me suis trouvée souvent, dans un même mouvement à 1) découvrir l'existence d'une problématique donnée (doit-on, comme artiste, se préoccuper des retentissements identitaires et assignataires que ses oeuvres peuvent avoir sur ceux qui les regardent ? Diable, je ne m'étais jamais posée la question), 2) explorer les différentes postures en jeu sur la question, lesquelles postures, à mes yeux néophytes, plutôt que d'éclairer les enjeux m'ont souvent donné le sentiment de couper en quatre des cheveux dont je venais juste d'apprendre l'existence, de générer de nouveaux enjeux alors que je n'avais même pas digéré les premiers, 3) pondérer les références à tel ou tel artiste inconnu de moi mais cité abondamment du poids relatif que le propos général de
Maggie Nelson semblait vouloir lui attribuer, 4) me faire ma propre opinion sur le sujet. Bon, vous l'aurez compris, je n'y suis pas arrivée…
Ecart culturel entre deux continents, rupture générationnelle, modes de vie différents au point d'en être difficilement transposables, ce sont peut-être quelques-unes des raisons qui m'ont fait me sentir parfaitement étrangère à nombreuses des réflexions de ce de la liberté. Pourtant, si je sais ne pas avoir tout saisi de son propos, n'avoir exploré qu'une petite part des enjeux abordés, je ressors de cette traversée nourrie, avec l'impression que ma réflexion a progressé et qu'à la prochaine lecture sur ces questions, je pourrai naviguer dans un univers de références un peu plus riche que précédemment. C'est déjà bien.
Et de fait, la question essentielle qui irrigue tout le bouquin continue de me passionner : comment prendre soin et être libre ? Comment exercer une forme de liberté qui ne nie pas l'autre dans ses besoins ni les liens qui me relient à lui ? Comment, dans la pratique de sa sexualité, dans la prise de drogue et dans la création artistique donc, vivre le lien entre un sentiment de liberté à être et les contraintes intérieures ou externes qu'induisent ces pratiques ? Comment être soi quand on est au monde ?
Les articles de presse qui ont accompagné la sortie de de la liberté insistaient sur cette rafraichissante acceptation de ses propres aliénations, contradictions intérieures. de la liberté met effectivement souvent l'accent sur le fait qu'il est possible que nous désirions intimement ce qui parait mauvais, destructeur et qu'il y a, dans cette affirmation, une forme de liberté aussi. A désirer ce qui nous aliène. Que le nier ou le cacher derrière un discours victimisant nous rendrait un peu plus opaque à nous même. Qu'un discours sur ce qu'il convient d'éprouver ou de faire, loin de nous protéger de nos propres démons intérieurs leur confère au contraire un rôle bien plus important que si nous cherchions honnêtement quel rapport entretenir avec eux. Débusquer le dogmatisme social y compris lorsqu'il surfe sur une apparente défense de l'individu, voilà qui me parait toujours pertinent.
C'est donc à un chemin plein de questionnement et de déconstructions que nous conduit
Maggie Nelson, à une interrogation sur une manière ouverte de se penser et de concevoir notre place. Les uns par rapport aux autres, dans un monde de catastrophes écologiques imminentes où tout est relié. Dans une conscience de nous-mêmes qui n'aura jamais été aussi problématisée.