C'est une histoire d'amitié comme il y en a des tas dans les livres.
Qu'a donc celle-ci qui la rende différente des autres ?
Quatre jeunes de Haïfa se rencontrent au collège, poursuivent l'apprentissage de leur entrée dans la maturité à l'armée, sont fans de foot et démarrent leur vie d'adulte à Tel-Aviv.
Churchill est un avocat brillant. Amihaï est comptable. Ofir réussit dans la pub et Youval, le narrateur, est traducteur et rédige une thèse de philosophie. Leur amitié se consolide sur les briques de menus faits.
« Il se peut qu'il y ait quelque chose de menaçant dans notre bande, avec son humour codé, ses associations d'idées hermétiques et ses sous-entendus cryptés ». Difficile de se faire une place quand on devient une pièce rapportée.
Lors du Mondial de 1998, ils font un pari : chacun écrit trois objectifs pour les quatre ans à venir. Jusqu'au prochain Mondial. Un seul est lu tout haut.
Chacun suit une route mais les aléas de la vie font qu'il faut parfois dévier ou changer radicalement. Les amours évoluent, la pub fait des ravages, le procureur est pris dans un scandale, des désaccords créent des séparations, des silences aussi, même un exil et la mort. En fait, la vie c'est comme le foot. Jusque dans les dernières minutes le cours du jeu peut être bouleversé.
Et ici, bouleversant.
Churchill pique la petite amie de Youval, le complexé, le penseur. « En m'attaquant à l'exemple de Heidegger, j'ai été saisi d'un sentiment de néant absolu devant ma thèse. Si je me montre incapable de comprendre la métamorphose d'un seul philosophe, comment pourrais-je élaborer une thèse qui englobe les métamorphoses de tous »? Plutôt que de se venger bassement, le narrateur décide de s'isoler du groupe, et d'écrire ses souvenirs d'amitié. Voire de les inventer, de les réinterpréter, de leur donner une autre consistance ou de se servir des mots pour souhaiter les pires échecs au voleur de son amour.
Des questions politiques et existentielles sont esquissées. Youval se plaît à évoquer la tranquillité et l'harmonie des jardins Bahaï à Haïfa et rêve de les transposer dans sa propre vie alors qu'il n'oublie pas un souvenir peu glorieux du Mondial de 1990 lorsqu'il faisait son service militaire dans les territoires occupés.
Peu avant le Mondial de 2002, un drame éclate. Poignant. Qui ajoute une dimension d'humanité au livre, une de plus, qui révèle les limites de l'ambition, les retournements inattendus.
La pudeur alliée au réalisme, la vivacité du trait combinée aux coups de gueule, les blagues de potaches associées aux réflexions profondes, font de ce livre un tout émouvant et puissant à la fois. « Il y a un passage dans ce livre où tu t'interroges sur ce qui s'est réellement produit au cours de ce semestre, quand tu nous as bannis. Eh bien, ce qui est arrivé, c'est que nous ne nous sommes presque pas rencontrés. Et quand nous nous rencontrions, c'était superficiel. Froid. Et voici la vérité : sans toi, nous ne sommes qu'un groupe aléatoire de gens. Avec toi, nous sommes des amis. Sans toi, cette métropole n'est que toutes les mauvaises choses qu'Ofir décrit. Avec toi, c'est un foyer ».
Comment traduire l'émotion de voir que chacun des personnages finit par réaliser l'objectif d'un autre ? C'est amené avec une telle maîtrise que l'effet ne peut être que saisissant.
Eshkol Nevo est né à Jérusalem en 1971. L'utilisation des mots occupe une grande place dans sa vie de même que la psychologie. Il a déjà obtenu de nombreux prix pour ses nouvelles et romans. Il enseigne l'écriture créative, notamment à l'université de Tel-Aviv.
Apparemment, il est de la génération qui suit celle d'Amoz Oz,
David Grossman et Avraham Yehoshua, en faveur de la reconnaissance d'un double Etat Israël-Palestine.
Grand merci à BookyCooky qui, au cours de ses commentaires sur les livres d'
Eshkol Nevo, m'a donné l'envie de découvrir cet auteur au grand talent.