AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,18

sur 59 notes
5
9 avis
4
8 avis
3
2 avis
2
0 avis
1
0 avis
Encore adolescents, Youval, Amihaï et Ofir ont été attirés par Yoav, ce grand et beau mec qu'ils ont aussitôt surnommé Churchill. Parce qu'il était imposant, brillant, un leader né autour duquel ils ont forgé une grappe d'amitié forte, entière, exclusive. Des virées nocturnes pour dégoter des fêtes à tout casser, une expédition en Amérique du Sud, des retrouvailles inattendues sur un toit en zone de guerre, des soirées à n'en plus finir, ces quatre là auront vécu leurs premières années d'adultes forgées par cette amitié indestructible.

C'est sur l'impulsion de Churchill que Youval, le narrateur, va quitter Haïfa, leur ville de naissance, pour le rejoindre à Tel-Aviv. Aminhaï y est déjà à faire fructifier Mon Coeur, une caisse de prévoyance pour cardiaque. Et Ofir y perd son âme dans une boîte de pub qui presse son talent jusqu'à la moelle. Ainsi les quatre amis qui ne se sont jamais perdus de vue, vont entrer dans la trentaine, vivre les mues qui accompagnent ces années, toujours aimantés par leur quatuor. Leurs blagues codées, leurs rituels, leurs manières de désamorcer les tensions ou de se livrer au contraire à des bonnes empoignades n'appartiennent qu'à eux. Ainsi, année après année, les filles passant dans le lit de ce tombeur qu'est Churchill, des familles se constituant, c'est dans le noyau de ces quatre-là, un cinquième fantôme expatrié et silencieux en plus, que réside le véritable centre de gravité de leurs existences.

Les filles, parlons-en. Il y a Ilana, dite Ilana la pleureuse. Amanihaï en est tombé fou amoureux sans que ses amis comprennent vraiment ce qu'il trouve à cette femme revêche, toujours plongée dans ses bouquins de psycho qu'il a épousée très vite et avec laquelle il a eu deux jumeaux. Il y a Maria. Elle vient un peu plus tard, de Suède en passant par l'Inde et sera la compagne d'Ofir. Et puis, il y a Yaara. C'est Youval qui la rencontre le premier. Il en est fou. Il n'a jamais aimé personne comme elle. Mais c'est compter sans Churchill.

Parmi les habitudes qui tiennent leur petit groupe, le foot. Regarder les matchs opposant l'équipe d'Israël à ses adversaires, se lamenter, redouter, s'exclamer, se rouler par terre devant l'écran de télé est une messe à laquelle les quatre garçons communient sans faute. Sans parler des coupes du monde. Là, c'est plus qu'un rituel, c'est une célébration de leurs liens. D'ailleurs, en 1998, Aminhaï propose qu'ils écrivent chacun sur trois papiers distincts trois des souhaits qu'ils espèrent être réalisés quatre ans après. Ainsi, sûrs de se retrouver, à la prochaine coupe du monde, ils pourront mesurer ce qu'ils sont devenus, rire de ce qu'ils prétendaient être et se féliciter d'être toujours amis. Les trois souhaits de Youval auront tous Yaara pour sujet.

Evidemment, comme le titre le fait supposer, tout peut se trouver bouleversé.

Dès le début du roman, un mémorandum signé de Yoav Alimi, alias Churchill, pose la dimension tragique de ce qui va suivre. Quelque chose s'est produit qui a empêché ce manuscrit de parvenir à son terme et son auteur, Youval, n'est pas en état d'en faire un livre.

Si j'ai aimé, à partir de cette initiale, suivre la narration et reconstituer petit à petit les vies de chacun, la manière dont elles s'entrelacent et s'influencent, je n'ai pas été perpétuellement sous le charme. Ces amitiés viriles, la manière dont elles imprègnent les vies des protagonistes m'ont paru plus exotiques que la vie de Tel-Aviv telle que le roman la laisse également affleurer. Impression parfois de lire le récit fanfaron de la jeunesse épique parce que révolue de quelque nostalgique à qui on offre une écoute empathique.

Services militaires aux épisodes inhumains, explosions terroristes et mesures déshumanisantes prises contre la population arabe, souvenirs de l'intifada, les éléments politiques piquent heureusement assez le quotidien un peu égocentré de ces personnages pour que, au-delà des jérémiades névrotiques faciles d'un narrateur qui ne parvient pas à s'inscrire dans son existence, saille une réalité plus complexe. Plus ancré dans la banalité de vies ordinaires, le cours du jeu est bouleversé n'atteint pas immédiatement la profondeur presque affolante des romans d'Amos Oz. Malgré un contexte politique dont il fait aussi sa trame, il semble chanter un quotidien presque superficiel et des peines dont on tait les abysses.
Mais il faut aller au-delà des apparences et ce roman ne parle pas que de foot et de filles. Il fait des drames la matière ordinaire d'un dépassement jamais gagné d'avance. Il met en jeu toute l'incertitude qu'il y a à miser sur soi, sur les autres, sur un avenir sûr. La beauté des liens qui perdurent malgré ce que la vie leur inflige. La labilité de leur définition selon les événements et les points de vue. Et, dans ce flot permanent, mouvant et incertain, leur permanence.

Merci à Idil d'avoir mis Eskhol Nevo sur ma route.
Commenter  J’apprécie          3940

Ce livre décrit les dessous de quêtes identitaires - conscientes ou non - de quatre amis, jeunes de 20 ans, originaires de Haïfa et vivant "dans les larges avenues de Tel-Aviv [...] comme autant d'impasses".

Le point de départ est un jeu anodin où chacun formule ce qu'il voudrait avoir accompli d'ici quatre années, c'est-à-dire au prochain Mondial de foot où ils se liront leurs souhaits qu'ils se tiennent secrets.

De désillusions en déceptions, les réalités de chacun prennent des formes aussi aléatoires que seule la vie peut leur donner. Après les étapes des études ou de l'armée, s'ouvre le grand vide où chacun à sa manière se perd. "Les années de plâtre" où la vie de chacun se modèle, les années de "mélasse de doutes".

D'un voyage en Amérique latine entre Youval et Churchill, Ofir embauché dans une agence de pub où grimper les échelons finira par le briser, Amihai attendant ses jumeaux de "Llana la pleureuse" au chagrin d'amour pour Yaara qui servira de boussole pendant des années, on suit leurs dissimulations, leurs allures et leurs vérités.

Cette jeunesse aux prises d'un destin si particulier, menant l'Intifada sans fierté dans les rues de Naplouse, Jabalya ou Rafiah où les hommes ne sont plus des êtres humains mais des Juifs et des Arabes, des occupants "face à des occupés", "un lanceur de pierres face à sa cible".

Entrelacés d'extraits de la thèse inachevée en philosophie - "Métamorphose. Les penseurs ayant changé de doctrine" - où Youval explore en vain le champ infini des questions sans réponse, la narration pourrait se résumer à ces mots écrits dans une lettre de Youval à Churchill : "Je ne sais plus ce qui se trouve derrière le mot "Moi" ".

Ce livre fait sans doute la synthèse entre "l'école américaine tournée vers le futur et l'école européenne enracinée, grosse modo, dans le passé." - sujet d'un article que Youval se retrouve à traduire. Et la question "D'où vient-il?" - d'une enfance sans oxygène où "même la reine Elizabeth, dont une gravure trônait au salon, semblait vouloir échapper à son cadre et s'enfuir en Angleterre" - est autant posée, évoquée, brossée que la question " où cet homme veut-il arriver ?" - et dont l'unique réponse est d'être un "wagon [...] encore bloqué à quai".

Les circonstances finales tragiques bouclent la boucle d'une mise en abîme d'écriture et scelle autant l'absence de réponse que le rôle du hasard dans la définition de nous-même ou de ce qui se révèle être nos socles de vie.





Commenter  J’apprécie          80
Le cours du jeu est bouleversé fut mon premier livre d'Eshkol Nevo. Depuis, j'en ai lu encore trois autres avec le même plaisir.
Dans ‘Le cours du jeu est bouleversé, l'auteur met en scène quatre amis qui se rassemblent toutes les quatre ans pour regarder les matchs à la télé durant la Coupe du monde de foot. Ils décident de faire un pari pour voir si les objectifs imposés seront réalisés dans 4 ans. Ce laps de temps est assez long et tout peut arriver et chambouler la vie de chacun…
Eshkol Nevo analyse avec finesse les relations amicales à travers les épreuves de la vie. Il nous pousse à réfléchir aussi sur les objectifs que l'on s'impose et tout ce que peut les faire chambouler, le hasard ou même le comportement de quelqu'un...

Un magnifique roman superbement construit que j'ai pris plaisir à lire durant quelques jours, grâce au talent de Nevo et de l'humour qui accompagne tout le récit.


Commenter  J’apprécie          90
J'ai eu un très grand plaisir à lire cette belle histoire d'amitié.
« Belle histoire d'amitié » est un terme que l'on emploie en général pour décrire un groupe d'ami(e)s qui a défié les années et continué à se voir malgré les aléas de la vie. Mais ce roman nous plonge avec talent sur une vision de l'amitié qui m'a plus semblé juste. L'amitié n'est jamais parfaite, elle l'est peut-être au début, quand le groupe est jeune, insouciant, puis elle finit toujours par s'auréoler de non-dit, de petites tensions qui peuvent se transformer au fil du temps et pourrir de l'intérieur les belles relations des débuts.
Comme dans un couple finalement.
A la différence que l'on pourrait penser que des amis ne sont pas « obligés » de rester ensemble car ils ne sont pas liés par les liens du mariage ou par des enfants, mais ce livre nous montre avec brio qu'il n'en est rien. de vrais amis sont liés à vie et chacun des membres évolue au fil du temps, prenant parfois des chemins si différents qu'on se demande parfois pourquoi ils restent amis ! Ils restent amis car, comme le dit Fried (un des « amis » de ce roman) ; « on ne se refait pas d'amis dans la vie ». C'est ainsi (disons que c'est sa vision des choses… mais quelque part, il n'a pas tout à fait tort : on a souvent des amis de jeunesse avec qui on a toujours à partager, on se refait des connaissances dans la vie, mais les « vrais » amis restent bien souvent ceux du début).
Et pourtant, que serions-nous sans nos amis ?!
C'est finalement la grande question auquel essaye de répondre ce roman : et à laquelle il propose d'ailleurs une réponse avec talent.
La construction du roman est très originale puisqu'il s'agit de la version de l'un des protagonistes, avec parfois quelques annotations de celui qui a été confié le manuscrit à transformer en roman papier.
Et l'ensemble est vraiment plaisant à lire, dans un style simple et riche à la fois. Une petite pépite sur une tranche de vie de quatre amis confrontés comme tout humain à l'amour, la jalousie, le poids de l'éducation parental, les tromperies, la solitude, les rêves. le tout avec une légère trame de fond footballistique amusante.
Un livre à lire sans aucun doute !
Avant d'aller rejoindre ses amis :)
Commenter  J’apprécie          102
Le cours du jeu est bouleversé est l'histoire de quatre amis trentenaires qui vivent à Haïfa à la fin des années 90. On suit leurs vies pendant quatre ans au gré du roman que l'un des quatre écrit. On découvre aussi la particularité et la difficulté de vivre en Israël, un des personnages demande d'ailleurs à un moment pourquoi rester dans un pays pareil. Je trouve qu'on y trouve justement bien toute cette ambiguïté.
J'aime beaucoup la littérature israélienne contemporaine : Zeruya Shalev, David Grossman, Etgar Keret, Benny Barbash. Ils partagent cette tendresse un peu cruelle pour leurs personnages, un grand intérêt pour les relations humaines et une ironie tragique. Je ne connaissais pas Eshkol Nevo.
Commenter  J’apprécie          24
Juin 1998, Tel-Aviv. La Coupe du Monde de football bat son plein et, comme à chaque édition depuis leur adolescence, Youval, Amihaï, Ofir et Churchill suivent ensemble les retransmissions des matchs à la télé. Amis depuis le collège à Haïfa, les quatre trentenaires sont restés "les meilleurs amis du monde" malgré le temps qui passe : "Heureusement qu'il y a le Mondial [...]. Comme ça, le temps ne se transforme pas en un énorme bloc informe et, tous les quatre ans, on peut ainsi marquer une pause et voir ce qui a changé". Cette réflexion de Youval, le narrateur, leur donne l'idée de noter, sur des bouts de papier, trois objectifs personnels ou professionnels, qu'ils voudraient avoir réalisés pour la prochaine Coupe du monde. Chacun lit aux autres un de ses trois objectifs, les autres restent secrets, et tous les bouts de papier sont gardés précieusement jusqu'à l'échéance.

Mais évidemment, la vie est ce qu'elle est, c'est-à-dire qu'elle se fiche pas mal de vos rêves et de vos ambitions et n'en fait qu'à sa tête. Et qu'on désire changer quelque chose ou qu'on veuille garder un statu quo et conserver en l'état ce qu'on a eu tellement de mal à réaliser ou obtenir, il suffit d'un rien pour bouleverser tous les projets. Notre bande des quatre n'échappe pas à ces aléas. La mauvaise nouvelle, c'est qu'aucun d'eux n'atteindra son objectif, des coups du sort parfois terriblement cruels se chargeant de détruire l'équilibre et l'harmonie de leurs vies et de leur amitié. La bonne nouvelle, c'est que, en dépit de tout, cette amitié s'avère in fine assez puissante pour rétablir un autre équilibre, différent mais un équilibre quand même, dans lequel chacun d'eux réalisera l'objectif d'un des trois autres. Enfin, cela, Youval est le seul à l'avoir compris avant l'échéance des quatre ans, le seul à avoir vu que tout allait partir à vau-l'eau, et que pour résoudre l'équation, il n'avait d'autre choix que d'écrire un livre, un roman sur une histoire d'amitié entre quatre hommes...

Ce "Cours du jeu..." m'a bouleversée.

En toile de fond, il y a le conflit israélo-palestinien, la deuxième Intifada, les attentats, la rivalité entre Haïfa la provinciale et Tel-Aviv la branchée. Il y a aussi des réflexions sur le travail d'écriture, sur la (re)naissance qu'elle permet, sur la toute-puissance du narrateur qui a le droit d'enjoliver ou travestir la réalité tout en sachant qu'il ne rend jamais compte que de son propre point de vue et qu'une autre personne, toute proche qu'elle soit, aura nécessairement une autre version de la même réalité.

Mais le noeud, le coeur de cette histoire,c'est l'amitié. De ces amitiés dont on voudrait qu'elles durent toujours, auxquelles on s'accroche parce qu'on n'a pas grand-chose d'autre qui nous procure autant d'énergie, de celles qui vous acceptent tel que vous êtes avec bienveillance et sans questions même si vous n'arrivez pas à comprendre ce que vous pouvez bien leur apporter, de celles qu'on voit évoluer avec amertume quand certains avancent dans leurs vies et que vous faites du sur-place : "Ils m'énervaient. de quoi se plaignaient-ils ? Au moins, ils avaient de l'amour. Au moins, il leur était arrivé quelque chose de significatif dans la vie. Et moi ?". C'est Youval, le solitaire introverti, qui s'exprime ainsi, mais ses mots, peut-être injustes, auraient pu être les miens. Et cela m'a bouleversée parce que, justement, quand vos quelques certitudes sont ébranlées de la sorte, on a la sensation de marcher au bord du vide, d'être sur le point d'être englouti par la solitude comme Jonas par la baleine. A plusieurs reprises je me suis dit que je devais arrêter de lire ce roman, tant je sentais le narrateur glisser sur la mauvaise pente et que je n'avais pas envie d'assister à cette chute. Mais à ce stade, la lecture était devenue addictive et j'ai continué. Bien m'en a pris, parce que la fin n'est pas aussi sombre que je le pensais. Il faut croire qu'il existe quelque chose comme le miracle de l'amitié, qui ne s'explique pas bien, mais qui est là, qui existe quoi que vous pensiez de vous-même, et qui vous (re)tient.

Même si cette histoire d'amitié ne vous parle pas autant qu'à moi, ce roman reste un bonheur de lecture. L'auteur a un énorme talent de conteur et une grande maîtrise de la construction du récit. La narration est très fluide malgré les mouvements dans le temps, il y a du tragique et de l'humour, du burlesque même, de la subtilité et de la complexité, de la profondeur et de la réflexion, une grande finesse et un ton très juste.

Merci, une fois de plus, à Bookycooky de m'avoir inspiré cette lecture cinq étoiles.
Lien : https://voyagesaufildespages..
Commenter  J’apprécie          659
Un roman sur l'amitié, et sur les chamboulements de la vie.
Dans ces matches de foot qui sont des rituels si importants pour l'amitié d'Amihaï, Ofir, Churchill et Youval, le plus fascinant selon ce dernier, ce sont «ces instants où, soudain, sans raison apparente, le cours du jeu est bouleversé du tout au tout».
Même dans sa thèse de philo, c'est aux métamorphoses de la pensée des philosophes que Youval s'intéresse, aux «épisodes de confusion», aux «instants de trouble intellectuel et émotionnel».
«Non seulement parce que ces instants recèlent quelque chose d'humain et d'émouvant, mais encore à partir du présupposé que, dans ces instants-là, dans leur bégaiement... se trouve peut-être la clé de la compréhension véritable de la nature de la pensée.»
Youval n'est pas comme Ofir, qui répète et cherche à fixer dans le marbre sa ritournelle favorite:
«Quelle chance nous avons d'être les meilleurs amis du monde, vous n'avez pas idée!»
Il serait plutôt du genre à se demander:
«Y a quelque chose de fondamentalement niqué en nous tous, non? du fait même que nous soyons des êtres humains.»
Bref, quand il se fait chroniqueur de l'histoire de leur amitié, c'est loin d'être idyllique, Youval s'intéresse à la complexité des évolutions de chacun, aux espoirs déçus, aux changements de cap, aux trahisons... Avec en arrière-plan, l'évolution du monde devenant «épouvantablement utilitaire» et de la société israélienne s'enfermant dans un cercle vicieux anéantissant tout espoir d'amélioration.
C'est très vivant et sensible et du point de vue de l'analyse, c'est fin, c'est profond comme on aime.
Une bien belle et bonne lecture, une fois de plus merci Bookycooky!
Commenter  J’apprécie          483
La vie est parfois aussi imprévisible qu'un match de foot. Qui peut savoir avec certitude où il sera dans quatre ans, ce qu'il fera ? Pourtant, on peut aussi avoir le douloureux et secret sentiment que rien ne change, ou pas dans le bon sens, alors que, pour nos amis, ce n'est pas le cas, ils avancent, ne stagnent pas, ne s'enfoncent pas dans la solitude, l'absence de projet ou l'impossibilité de réaliser celui ou ceux qui tiennent à coeur.

Le Cours du jeu est bouleversé est le roman d'Eshkol Nevo, dédié à ses amis, mais c'est aussi le titre du livre écrit par Youval, jeune homme de trente-deux ans, philosophe, solitaire et renfermé. Churchill, surnom d'un de ses trois meilleurs amis, trouvera ce texte dans ses affaires et s'en fera l'éditeur.

Merci Idil de m'avoir fait découvrir Eshkol Nevo et ses romans. J'ai une pensée pour ClaireG qui, par sa chronique si bien faite, m'avait aussi donné envie de découvrir le Cours du jeu est bouleversé, beau roman sur l'amitié masculine.

J'ai aimé l'originalité de la construction, l'alternance entre des passages sombres et des moments d'humour, des réflexions pertinentes sur l'écriture, la manière dont l'écrivain débutant est perçu, notre époque, la vie en Occident, l'obligation d'avoir des objectifs, de les réaliser, de réussir, mais qu'est-ce que réussir, être heureux ?

Tout commence pendant la Coupe du monde de 1998. Amihaï a l'idée d'écrire sur des papiers quatre souhaits que les quatre amis d'enfance aimeraient réaliser. Ils ouvriront les enveloppes qui contiennent ces désirs, ces ambitions lors de la prochaine coupe du monde. Ils auront alors trente-deux ans.

Le destin, la fatalité, le hasard, les tragédies qui nous attendent au coin du chemin se moquent de nos désirs, de nos rêves, de nos ambitions, de nos amours et rien ne va se passer comme prévu.

Chacun, sans l'avoir prévu, va réaliser le souhait de l'autre. Youval se rend compte que ce ne sera vrai qu'à une condition : il faut qu'il écrive le livre qu'Ofir avait pensé écrire et ainsi, l'harmonie qui règne au sein du chaos sera parfaite.

Mais il doit se dépêcher, oublier ses tourments personnels et intimes, se débrouiller seul après la réponse décourageante d'une assistante d'édition : « une bande d'amis ? » « Les hommes, ça ne marche pas aujourd'hui, mais envoyez toujours, you can never know… » « J'ai compris que je perdais mon temps et je n'avais pas de temps à perdre. »

J'ai aimé ces moments d'humour fin et subtil qui surgissent, comme dans la vie, au milieu des drames, des tragédies qu'il est impossible d'éviter, des souffrances qu'il est impossible d'oublier entièrement.

La complexité des sentiments humains est très bien rendue. Que sait-on vraiment de la vie intime de nos proches, surtout lorsqu'ils sont taiseux, et même lorsqu'ils sont bavards ? Grâce au livre écrit par Youval, ses amis vont mieux le comprendre, même si l'écriture n'exclut pas les mensonges et la dissimulation, on ne raconte que ce que l'on a envie ou besoin de raconter. Mais n'est-il pas déjà trop tard ?

Ce roman publié en 2007 n'a pas pris une ride, tant par la pertinence de ses réflexions sur le monde contemporain, l'Occident, la manière de vivre des Occidentaux, que par l'analyse discrète mais présente des problèmes que subit la société israélienne avec les conséquences du conflit israélo-palestinien.

En pleine Intifada, Youval répond au chargé de cours de son atelier d'écriture que c'est volontairement qu'il n'évoque pas dans son livre la période agitée et sanglante que traverse son pays, vague d'attentats, morts car « les amis sont comme une oasis qui permet d'oublier le désert… ou comme un radeau sur une mer déchaînée… ou comme… »

Malgré cela, au cours de son récit, un événement traumatique le hante : durant son service militaire, en 1990, à Naplouse, pendant le Mondial, avec les hommes de son unité, il ne s'est pas bien comporté car, quand on est un très jeune homme, il n'est pas toujours évident « de veiller à ce qu'au milieu de toute cette guerre les gens des deux camps conservent leur humanité. Qu'ils ne se transforment pas en bêtes sauvages. »
Commenter  J’apprécie          7910
L'histoire est simple : l'amitié de quatre jeunes hommes israëliens : Ofir, Yoav, Amihaï et Youval, leur avancée dans l'âge adulte avec les joies et les peines que cela implique. C'est Youval qui nous conte ce récit dont on comprend qu'il l'a mis par écrit sans en avertir ses trois amis.
L'écriture est simple aussi, mais joliment, sans lourdeurs. L'originalité réside dans l'alternance de pages décrivant une photo précise chère à Youval, comme en aparté, comme lorsque l'on tombe par hasard sur une vieille photo qui fait resurgir des souvenirs et des émotions; et de pages contant l'histoire des protagonistes. Les évocations des différents événements footballistiques et politiques (Intifada) rythment le récit. L'écriture est vivante, la narration ayant un rythme "oral", une idée en entraînant une autre, un flashback, puis revenant à l'idée initiale, parfois en de longues phrases comme des tirades sans reprendre sa respiration : on suit ainsi le fil de la pensée de Youval de l'intérieur. Cela donne aussi une image de son esprit, que l'on comprend agité et torturé au fil des pages.
Plus on avance dans le récit, plus le focus se fait d'ailleurs sur le narrateur, sa psychologie, jusqu'aux dernières pages et à cette fin inattendue pour moi.

Sans être captivée par ce livre, je l'ai suffisamment apprécié pour vouloir le terminer et arriver au bout de cette histoire d'amitiés et de vies. Je l'ai d'ailleurs apprécié de plus en plus au fil des pages, m'attachant aux personnages à mesure que je les "connaissais". Les émotions me sont venues avec le temps, et c'est une force de ce roman d'accrocher le lecteur dans la simplicité, sans étalage de rebondissements particuliers.
Commenter  J’apprécie          10
Il en va parfois de l'amitié  comme d'un match de foot.

On croit avoir une équipe de rêve, -   le  buteur le plus vif, l'attaquant le plus pugnace, le défenseur le plus solide, le goal le plus efficace- et voilà que le buteur rate l'occasion du siècle, que l'attaquant se prend un carton rouge, que le défenseur est mou du genou et que le goal bâille aux corneilles!

En deux temps, trois mouvements, le score, si encourageant au debut, vire au cauchemar. Il suffit d'un rien et le cours du jeu est bouleversé

Mais, à la différence d'une équipe de foot, un vrai groupe d'amis possède une harmonie si puissante,  une cohésion si forte, une complicité si tendre que les coups du sort ou même les coups de pute - piquer la copine de son meilleur pote, ça n'a pas d'autre nom- même s'ils bouleversent le cours du jeu, opèrent simplement une vaste permutation, comme dans un jeu de chaises musicales...

Et l'équilibre se refait. Autrement.

C'est le cas de la bande des quatre: Youval, Churchill, Ofir et Amihaï,  trentenaires inséparables,  fidèles au poste et solidaires - et fans inconditionnels du Mondial qu'ils ne peuvent imaginer de ne pas suivre tous ensemble !

Rituel de retrouvailles qu'ils corsent, en 1998, avec un jeu où chacun doit inscrire quatre objectifs personnels...dont ils se promettent d'évaluer le succès au prochain Mondial!

Le temps passe. Que deviendront les "buts"visés par chacun des joueurs?

Surprise à l'arrivée !

Celui qui était  le plus ambitieux, Churchill, comprend qu'il n'est rien sans amour, celui qui voulait raconter une histoire,  Ofir, découvre qu'il est le roi des thérapies alternatives, celui qui se rêvait à la tête d'une clinique alternative, Amihaï, devient le champion des droits du patient, et celui qui rêvait d'amour , Youval, se fait le coryphée de cet étrange ballet de chassés-croisés.Le compte est bon, finalement. Et le conte aussi.L'harmonie est retrouvée.

Au prix de quelques sérieux dégâts collatéraux et de désillusions amères. Mais c'est la règle du jeu.

J'ai aimé le doigté de l'auteur dans ce glissement imperceptible des rêves  et des rôles,  dans ce rééquilibrage subtil des forces et des faiblesses, dans ce refus de tout pathos- un humour discret et une tendre ironie tempèrent les émotions sans les diluer.

J'ai admiré  la présentation,  par Churchill, du roman de Youval,  son ami, piqueté d'extraits fort appropriés de sa thèse défunte- pas aussi "écrasée " semble-t-il  qu'il ne l'avait craint- et de pages de  son journal intime où le pudique Youval n'enjolive plus, comme son rôle de Narrateur l'y autorisait dans le roman, mais où il dit, enfin,  ce qui lui pèse sur le coeur.

J'ai adoré voir vivre, à  travers les "quat'z'amis" , cette jeunesse israélienne pleine d'appétit, de fougue, malgré la menace constante des attentats, mais aussi pleine de doutes, de critiques parfois sévères devant le racisme anti-arabe, l'occupation abusive des Territoires, les check points et les barrages - Youval est un "ashkegauche" et a connu les deux Intifadas,  il garde d'un Mondial à  Naplouse,  lors de son service à Tsahal, un souvenir honteux- .

Comme chez Amos Oz, chez David Grossmann, j'ai retrouvé,  étroitement mêlés,  l'amour et la critique  d'un pays lui aussi contrasté : la rivalité entre Haïfa, la provinciale et Tel Aviv,  la cosmopolite, la mer, accueillante et chaude, et le désert, fascinant et brûlant,  la poussière des rues embouteillées et la verdeur idyllique des jardins baha'is. ..

J'ai eu un vrai plaisir de lecture, un plaisir complet : une intrigue subtile, des personnages attachants, une composition astucieuse, un ton drôle et touchant,  et j'ai fait un "voyage" coloré, où les zones d'ombre faisaient partie du paysage...

Merci à Booky,  une fois encore, pour ses talents de "découvreuse"!
Commenter  J’apprécie          408




Lecteurs (138) Voir plus



Quiz Voir plus

Coupe du monde de rugby : une bd à gagner !

Quel célèbre écrivain a écrit un livre intitulé Rugby Blues ?

Patrick Modiano
Denis Tillinac
Mathias Enard
Philippe Djian

10 questions
861 lecteurs ont répondu
Thèmes : rugby , sport , Coupe du mondeCréer un quiz sur ce livre

{* *}