À l'occasion de l'opération Masse Critique fin avril, j'avais sélectionné entre autres ce livre “
Anno Dracula” que j'ai reçu quelque temps après, et pour lequel je remercie Babelio et le Livre de Poche.
À travers le résumé de Babelio que l'on retrouve sur la quatrième de couverture, je me régalais d'avance de ce scénario qui se passait fin XIXe à Londres et qui reprend le thème du chef d'oeuvre de Bram Stocker, se situant peu ou prou à la même époque, chef d'oeuvre que j'avais lu, je dirais même dévoré avec gourmandise il y a une vingtaine d'années. Lisant également les enquêtes de Charlotte et Thomas Pitt d'
Anne Perry qui ont pour cadre les “lieu & époque” similaires, je disposais de bonnes références pour visualiser l'action de ce roman.
Le cadre historique étant fixé, il nous faut plonger dans Londres où tous les repères sociaux sont troublés. Dracula a épousé la Reine Victoria, le jardin de Buckingham, gardé par une cohorte de soldats Karpathes, est agrémenté de piques et de pieux sur lesquels se décomposent les dépouilles des malheureux ayant défié le Prince Consort, et ont été condamnés au supplice préféré de l“empaleur”. Dans la bonne société comme dans le petit peuple se côtoient (suivant l'heure) deux sortes de protagonistes : les vrais vivants ou “sangs-chauds” de moins en moins nombreux et les vampires (les non-morts) ou les ressuscités : sangs-chauds récemment transformés “grâce” au baiser de la mort ou de la vie éternelle comme ils le prétendent. La soif inextinguible de ces derniers les conduisent aux pires extrémités afin d'obtenir leur ration du liquide vital malgré les risques d'épidémies qui peuvent ainsi de propager.
Commence alors notre récit qui narre les “chasses” d'un personnage qui erre la nuit afin d'éliminer parmi les prostituées, les malheureuses qui sont devenues encore davantage des “créatures de la nuit”, les égorgeant puis les mutilant avec un précision chirurgicale en les éviscérant afin d'empêcher toute renaissance. La presse a tôt fait de le baptiser Scalpel d'Argent, avant de l'appeler Jack l'Éventreur suite à une lettre anonyme signée de ce nouveau surnom.
Charles Beauregard, espion occasionnel, sang-chaud et membre d'un cabinet secret gouvernemental, le Diogene's Club, se voit attribuer la tâche de retrouver et neutraliser le tueur qui commence à semer le désordre dans la société londonienne, car assassiner des femmes vampires dans un pays gouverné par le Prince Dracula est pour le moins “ennuyeux” politiquement, d'autant que les édiles, du petit policeman jusqu'à la tête du Yard et des ministres sont de plus en plus nombreux à devenir ressuscités… Beauregard s'adjoint les services d'une infirmière et assistante du Docteur Seward, Geneviève Dieudonné qui est une vampire de très longue lignée d'origine française, puisqu'elle a été “mordue” à l'âge de seize ans sous le règne de Charles VII de France, soit très longtemps avant la naissance de Vlad Tepes dit Dracula. Nos deux enquêteurs vont alors traquer l'éventreur à travers une capitale plongée quasiment toujours dans le fog et où la vie nocturne est devenue tellement plus pratique pour les “non-morts” que des lois sont promulguées pour faciliter leur existence.
Le thème était intéressant, les nombreux détails de la vie quotidienne sont évoqués avec application, mais au-delà de cette présentation qui ne manque pas d'originalité, on n'évite pas les poncifs de ce genre d'histoire : les balles ou les lames en argent, les crucifix, les corps fumant sous la lumière du soleil, les non-reflets dans les miroirs avec une nouveauté : la photographie n'arrive pas à capter l'image des vampires et laisse une forme floue… Au fil des pages après un premier quart du livre qui plante le décor, on s'assoupit tranquillement dans une lecture laborieuse qui, si elle n'était ponctuée de quelques scènes d'actions sanguinolentes, deviendrait vite soporifique. En effet après avoir cité nombre de personnages connus, réels ou imaginaires, de Victoria à
Oscar Wilde, des époux Bram & Florence Stocker, de Gilbert & Sullivan à Robert Shaw, ou encore Mycroft et Sherlock Holmes, les Docteurs Jekyll et Moreau, l'inspecteur Lestrade et même Elephant-man : John Merrick ; l'auteur les oublie d'ailleurs aussi vite qu'il les a cités, convenant inconsciemment qu'ils n'étaient d'aucun intérêt dans son récit. Même dans le cadre d'un roman fantastique, voire fantasmagorique mais en tout cas certainement pas d'épouvante, les situations deviennent vite risibles, voire grotesques, ainsi que de nombreux acteurs comme les gardes Karpathes très très méchants, les politiciens très très véreux et soumis au Prince Consort, des taverniers servant des pintes de sang de cochon tirés à même la bête grâce à un robinet planté dans la gorge (sic), ou encore des femmes très très éprouvés par la vie, vendant le sang de leurs enfants pour glaner quelques menues piécettes…
Bref si l'emballage était très beau, la couverture est remarquable, le contenu est vite décevant. L'auteur aurait pu opter pour un ton résolument tragi-comique ou carrément sobre et terrifiant, mais c'est quand il prend le parti d'être grave qu'il devient ridicule et peine même à nous faire sourire quand il devrait nous faire peur, jusqu'à un final pitoyable et bâclé. Je ne peux éviter de parler des addenda qui sont autant de compliments que l'auteur se sert sans mesure, en remerciant une multitude de gens, des explications sur ci ou ça pour les lecteurs sans références littéraires ou cinématographiques, offrant même une fin alternative pompeuse et répétitive. On a même droit à un chapitre décrivant le film tiré de son ouvrage (si, si, quelqu'un a osé) avec les descriptions du tournage et des décors. Bref la soupe n'est jamais aussi bonne que lorsqu'on se la sert soi-même…
En fin de compte si la traduction est fidèle à l'original, ce dont je ne doute pas, c'est un bien piètre récit qui nous est proposé et contrairement à d'autres je ne me lancerai sûrement pas dans la lecture des suites improbables existantes ou à venir, d'un roman qui manque singulièrement de panache et de mordant. J'attribue donc deux étoiles sur cinq pour le travail fourni de six cents pages, mais deux cents pages de moins auraient permis de densifier un texte qui aurait peut-être gagné en réalisme littéraire et en consistance en évitant les “redites”, si l'auteur s'était davantage concentré sur les personnages principaux plutôt que de s'égarer dans une galerie de personnages aussi inutiles à l'intrigue tellement convenue. Dommage…