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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2023 # 10 °°°

Bird, douze ans, vit seul avec son père depuis que sa mère a disparu, du jour au lendemain, sans laisser d'explication. Après avoir reçu un message sibyllin, il part en quête de sa mère, une poétesse classée POA ( personne d'origine asiatique ), éprise de liberté, considérée par les autorités américaines comme séditieuse.

Dans une très belle première partie, Celeste Ng présente le duo père-fils et pose le décor d'une Amérique vivant sous les lois draconiennes liberticides d'un régime autoritaire qui a pris le pouvoir après la Crise, une crise économique désastreuse qui a essoré une population désormais prête à accepter le PACT. La Preserving American Culture and Traditions Act ( = Loi sur la sauvegarde de la culture et des traditions américaines ) punit très sévèrement tous ceux ayant des valeurs ou comportements jugés antiaméricains, plus particulièrement les habitants d'origine asiatique, boucs émissaires depuis que la Chine étant considérée comme responsable de la Crise.

Le roman tourne autour du genre dystopie sans toutefois en être réellement une. de nombreux événements racontés se sont déjà produits ou sont à peine déguisés. Comme une parabole de l'histoire américaine, on retrouve des références à l'esclavage, à la Grande Dépression, à l'assimilation forcé d'enfants autochtones, au racisme et discriminations antiasiatiques durant la Deuxième guerre mondiale, à la pandémie COVID ou encore au maccarthysme, à la généralisation de la paranoïa et de la délation pendant la guerre froide.

Tout dans le cadre politico-social s'enracine consciencieusement dans les crises d'hier et d'aujourd'hui. La présentation du contexte est très habile, jamais lourdement didactique mais distillée en plusieurs temps, permettant au lecteur d'en comprendre puis mesurer les enjeux.

Au final, l'Amérique dystopique de Celeste Ng est bien plus douce que celle de la Servante écarlate, de Fahrenheit 451 ou 1984. Ce récit, très proche de la réalité, n'en devient que plus crédible, inconfortable et poignant, d'autant que la narration de l'autrice est étonnamment calme et posée. Lorsque les ( quelques ) scènes de violence font irruption dans ce monde inquiétant, elles terrifient le lecteur qui n'a d'yeux que pour Bird et son voyage initiatique entre épreuves, erreurs, exploits qui le conduiront vers la perte de l'innocence lorsque les yeux se dessillent.

En fait, plus qu'une classique dystopie, ce magnifique roman est avant tout une méditation sur le pouvoir des livres et des mots dans un monde où règne la censure et où les livres, retirés des rayons, ne sont pas brûlés en autodafé mais réduit en pâte pour faire du papier toilette. La résistance s'organise autour des livres, avec la poésie en étendard. Celeste Ng rend ainsi un très bel hommage à la poétesse russe Anna Akhmatova ( plusieurs fois citée ), dont l'oeuvre fut interdite au début de l'URSS. Elle écrivait la nuit, ne disait ses vers qu'à quelques amis qui les apprenaient par coeur pour qu'elle puisse ensuite détruire toute trace compromettante.

J'ai été profondément touchée par la beauté des images évoquant cette résistance livresque et le pouvoir rédempteur des mots. Nos coeurs disparus n'est pas un pamphlet politique mais un roman bouleversant. La dernière partie est vibrante, lumineuse malgré les tonalités sombres qui l'assaillent. Oui la poésie peut changer les coeurs, les esprits, l'histoire, surtout lorsqu'elle se meut par la seule force de l'amour maternel et se mue en héritage pour permettre à un enfant de décider qui il est et qui il sera.

« Je te promets que je reviendrai, lui a-t-elle dit, même s'il se rend compte à présent qu'elle n'a pas précisé quand. Seulement qu'elle reviendrait. Et il continue à y croire. Elle reviendra. Un jour, d'une façon ou d'une autre. Sous une forme ou une autre. Il la trouvera, s'il cherche suffisamment. Des choses étranges peuvent se produire. Elle peut très bien être là, quelque part, sous une forme différente, comme dans les contes : déguisés en oiseau, en fleur, en arbre. S'ils cherchent vraiment bien, ils la trouveront. Et tout en pensant ça, il a justement l'impression de la voir ; dans le bouleau dont les feuilles pleuvent doucement sur eux, dans le faucon qui tournoie dans le ciel en lançant son cri strident et mélancolique. Dans le soleil qui commence juste à percer à travers les arbres, colorant tout d'une pâle lueur dorée. »

Un livre plein de grâce malgré ses tonalités sombres, qui une fois refermée voyage longtemps dans la tête.
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C'est ce genre de livre qui vient longtemps vous hanter.
Qui met en valeur une réalité à venir si nous ne prenons garde, les prémisses étant déjà là.
Mais qui exprime aussi une sorte d'espoir par la poésie, un message fondamental, profondément humaniste, que nous ressentons au plus profond de nous mais sur lequel nous n'arrivons pas à mettre le doigt, à exprimer le ressenti, et que les mots de Céleste Ng cristallisent ici l'espace d'un instant, juste au moment où nous les lisons.
Ce genre de livre qui fait réfléchir aussi à toutes ces personnes dans le monde dont la défense d'une noble cause au service de l'Humanité, pour rendre la société meilleure, les contraint à devoir sacrifier leur propre vie, tant professionnelle que familiale. A s'oublier, à fuir, à errer, à y croire envers et contre tout. Surtout lorsque cette cause se sert de moyens pacifiques qui semblent à première vue dérisoires et si fragiles face aux dents acérées et impitoyables de l'énorme machine qu'est le système en place.

Oui, c'est ce genre de livre. Dystopique certes, mais pas seulement noir pour être noir. Un noir porteur de lumière pour peu qu'on prenne du recul. Un soulage-ment.

Ce livre est une dystopie que l'on pourrait qualifier de réaliste. le monde imaginé par Céleste Ng n'est pas exactement le nôtre, n'est pas exactement celui des actuels États-Unis où se déroule le récit mais ce n'est pas totalement un autre non plus. L'auteure a juste poussé subtilement le curseur un peu plus loin. A peine plus loin. Elle a imaginé un futur proche en amplifiant certains faits qui existent déjà, tout en s'inspirant de faits passés, l'histoire nous offrant hélas de multiples exemples de ce qui peut nous attendre dans le futur si nous ne prenons garde et ne regardons pas derrière nous. Oui, certains pans de l'Histoire sont dystopiques et constituent des alarmes, devenant trop souvent invisibles, enfouies, méconnues.
L'auteure cite Margaret Atwood dans La Servante écarlate : « je voulais créer un jardin imaginaire, mais que les crapauds y soient bien réels ». Il y a ainsi de vrais crapauds dans cette dystopie mais également, fort heureusement, des signes d'espoir qui font vibrer tout amoureux de littérature et de poésie.

Céleste Ng imagine une grave crise économique, plus grave que celle de 1929 ou encore de 2008, la Crise avec une majuscule qui en dit long sur les dégâts provoqués en termes d'emplois et de misère. Durant cette épisode économique dévastateur, une histoire d'amour éclot entre Ethan, chercheur en linguistique et Margaret (j'imagine que Céleste Ng s'est inspirée de Margaret Atwood pour prénommer son héroïne Margaret), jeune femme d'origine chinoise. Ils vont tous deux réinventer un monde, un cocon protecteur dans lequel Margaret va trouver un exutoire en écrivant des poèmes, qui seront réunis dans un recueil au beau titre de « Nos coeurs disparus ». Ce recueil sera vendu en tout petit nombre vers la fin de la Crise, à titre confidentiel. Pendant que le monde cherche les raisons à la crise économique, de cet amour poétique va naitre le petit Bird. Fruit d'un amour passionné sur cet arbre sociétal en totale déliquescence. A propos de causes, très vite les américains vont trouver leur bouc-émissaire : La Chine et les chinois, le fameux péril jaune. S'en suivront la fermeture des frontières et la traque des chinois à l'intérieur du pays.

Et si les américains ont trouvé la cause de tous leurs malheurs, ils vont très vite trouver une solution adaptée pour contrer l'ennemi : le PACT, La Loi sur la sauvegarde de la culture et des traditions américaines. Un organe qui va orchestrer le bâillonnement de la liberté d'expression et la rationalisation de la discrimination notamment envers les chinois, sous prétexte de protection et de sécurité. Une loi liberticide qui suspecte toute culture étrangère comme dangereuse pour la société. Libertés individuelles réduites à peau de chagrin, surveillance, milices de quartier, dénonciation, destruction des livres considérés comme réfractaires au régime, telles sont les méthodes radicales du PACT. Des rumeurs courent même sur des enlèvements d'enfants au sein de famille qualifiée d'ennemis à la nation, enfant enlevés et placés dans de bonnes familles d'accueil américaines. Des enlèvements comme outil de contrôle politique. Si cela semble surréaliste, l'auteure s'inspire en réalité de faits réels d'enlèvement d'enfants comme ceux vécus par les familles d'esclaves autrefois, par les familles de migrants qui ont toujours cours à la frontière sud des Etats-Unis…

« Des bruits avaient commencé à courir. On parlait de coups à la porte au milieu de la nuit, d'enfants qui disparaissaient, emportés par des voitures noires. Une clause enfouie dans les replis de la nouvelle loi, autorisant les agences fédérales à retirer les enfants des foyers jugés antiaméricains ».

Margaret ne s'inquiète pas plus que cela de ce climat délétère n'ayant pas un comportement anti-patriotique. le Pact concerne les dissidents pense-t-elle. Toute occupée par son bonheur familial, par son enfant qui grandit, cet organe ne l'émeut pas plus que ça, exception faite au sort réservé à ses parents chinois qui commence à fissurer sa confiance. Pourtant, à son tour, vous verrez si vous avez la bonne idée de lire ce livre bouleversant, comment elle sera à son tour injustement pourchassée, traquée… Commencera pour elle la fuite, puis l'action. Et quelle action que je ne souhaite en aucun cas dévoiler.

« Il y a des choses que l'on doit faire en personne. Témoigner. Accompagner les mourants. Se souvenir des disparus. Il y a certaines choses qu'il faut voir de ses propres yeux ».

Bird, duquel provient le récit, qui a une petite dizaine d'années, est élevé désormais pas son seul père qui est surveillé par les autorités, qui doit faire profil bas et nier tout lien avec la mère du petit. C'est une vie terne qui rythme leur quotidien, une vie étriquée, faite de repas sans saveur, de dégringolade dans l'échelle sociale - le père chercheur est relégué désormais au rangement des livres de la bibliothèque universitaire-, de moqueries à l'école le petit Bird ne pouvant cacher ses origines chinoises inscrites sur son visage. Soumission et obéissance sont les deux maitres mots pour se faire oublier. Un jour pourtant il décide de partir à l'aventure pour retrouver sa mère…

J'ai été émue par cette histoire tant par sa dimension politique que par sa dimension intime, tant maternelle que paternelle, amicale aussi car l'amitié tient une place primordiale dans ce roman. J'ai été très intéressée par l'évocation des manifestations pacifiques sous ses différentes formes, notamment artistiques, mi-protestation mi-art, perturbant les gens sans violence pendant des jours, des semaines, peut-être des mois, des « éclats qui ponctuaient le bruit blanc monocorde de ces journées interminables ».
J'ai aimé l'absence de pathos de l'histoire d'amour entre Bird et ses parents. Quelques gestes suffisent pour rendre compte de cet amour incommensurable.

« Sa mère lui caresse le dos, égrène les petits bosses de sa colonne vertébrale sous sa peau comme un chapelet de perles. Tout doucement, elle presse leurs mains l'une contre l'autre, doigts contre doigts, paume contre paume. Il a la main presque aussi grande que la sienne, les pieds peut-être encore plus grands. Comme un petit chiot, tout en pattes, le reste encore enfantin mais galopant joyeusement derrière ».


Celeste Ng a puisé indéniablement dans son histoire personnelle, elle dont les parents sont originaires de Hong Kong et ont débarqué sur le continent américain dans les années 60. Cela rend le récit d'autant plus touchant, d'autant plus engagé, d'autant plus personnel et intime.

Un livre profond, dénoué de manichéisme, subtil et très touchant et dont la toute fin est sublime et m'a émue aux larmes. Oui touchée en plein coeur par « cette toile d'araignée perlée de rosée dont les maigres filaments s'entrelacent pour former une magnifique structure cristalline ».


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Dans une société américaine futuriste, mais pas très loin de la nôtre, une famille est déchirée.
Bird, jeune garçon, vite seul avec son père depuis que sa mère les a quittés.
C'est une poétesse d'origine chinoise, et, depuis les lois PACT qui restreignent les libertés des personnes d'origine asiatique et retirent les enfants des familles, elle est partie pour sauver son fils.
Celui-ci va se mettre à sa recherche suite à la réception d'un message de celle-ci.

Ce livre aborde beaucoup de sujets très actuels portés notamment par Trump et ses proches, et d'autres dirigeants dans d'autres pays.
La discrimination pour des personnes d'une autre communauté, le racisme, la recherche de boucs émissaires, le silence d'une grande partie de la société...
Tous ces sujets qui nous rappellent les heures noires du nazisme sont encore bien présents actuellement, et l'auteur, d'origine asiatique, les a certainement en partie vécus pour en parler aussi justement.
Les relations entre la mère et l'enfant sont empreints de poésie d'émotion, et le rythme de la narration est assez soutenue pour que l'on soit bien accroché par l'histoire.

Je ne connaissais pas cet auteur et j'ai été séduite par ce livre au sujet brûlant et au ton lyrique.
En lisant d'autres billets, je vois que des lecteurs le comparent à d'autres dystopies et pointent son manque d'originalité ; je lis rarement des romans dystopiques donc j'ai apprécié sans réserves ce récit inquiétant, poignant et avec toutefois une touche d'espoir.
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Pourquoi Noah, dit Bird, fait-il sienne cette habitude de raser les murs, de ne pas faire de vague, d'éviter au maximum d'attirer l'attention sur lui ? Il suit les recommandations de son père, et celui-ci est également amené à faire profil bas. Cet ex-enseignant de linguistique à Harvard, doit se contenter d'un poste subalterne à la Bibliothèque de l'université, et a dû abandonner la maison familiale. Et la question ultime est bien ce qu'a pu devenir la mère de Bird, jamais évoquée, reniée même.

Pendant ce temps, la population semble se plier aux dictats du gouvernement, qui incite à une surveillance mutuelle et à des dénonciations patriotes au moindre soupçon d'anti-américanisme. Ce qui se traduit par des disparitions d'enfants, enlevés à leurs familles, suspectes d'inculquer une éducation contraire à l'intérêt du pays !

Pourtant les manifestations d'opposition à ce régime mortifère se multiplient. En voila assez pour inciter Bird à tenter d'en savoir plus.


Cette dystopie fait froid dans le dos. Il semble tellement plausible que l'évolution de nos sociétés ressemble à ce cauchemar !

Au delà du problème politique posé et bien analysé, c'est aussi la quête d'un fils pour comprendre ses origines et tenter de se faire une opinion avant de suivre sans réfléchir les injonctions d'une nation totalitaire et raciste.

Brillant roman, dont le thème politique est abordé avec une profondeur romanesque remarquable, Il se dévore comme une friandise, mais ne manque pas d'éveiller, comme chez le jeune héros, une foule de questions fondamentales !

A noter quelques problèmes de traduction (« la moins pire »!)

528 pages Sonatine 24 Août 2023

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Combien de livres arrivent à ce point à marquer votre esprit, à toucher votre âme, à s'approcher ainsi de votre intellect et de vos émotions au point de littéralement faire vibrer chaque fibre de votre être ? Même pour un très gros lecteur comme moi, ils sont une petite poignée. Avec Nos coeurs disparus, Celeste Ng tutoie les étoiles, et se glisse entre mes doigts serrés pour faire partie de cette petite liste palpitante, gardée précieusement près du coeur.

Chaque mot et chaque idée m'auront autant parlé que subjugué, autant touché que secoué. Dès les prémisses, dès l'idée maîtresse stimulante au possible.

Un roman profondément engagé, mais écrit avec subtilité et une émotion à fleur de peau. Sublimé par des personnages vrais, beaux, inoubliables.

Les USA, dans quelques années, période non datée, mais proche. Plus tout à fait notre monde, mais pas si différent. Comme un prolongement de ce qui se déroule aujourd'hui.

Le PACT est en place, acronyme de « Preserving American Culture and Traditions Act » qui se traduit par « Loi sur la Sauvegarde de la Culture et des Traditions Américaines ». Une loi isolationniste directement inspirée des idées de Trump, basées sur un mouvement des années 40 qui s'opposait fermement à l'entrée de l'Amérique dans la Seconde Guerre mondiale.

Une crise, aussi grave que la grande dépression de 29, a plongé le pays dans le chaos, et une grande partie de la population dans la misère. Plutôt que de chercher les vraies raisons et responsables, le PACT referme les frontières. Avec les autres pays, mais aussi à l'intérieur.

Relancer l'économie en soutenant les entreprises locales a clairement du sens. Mais derrière ce texte se déploie insidieusement tout un pan liberticide, plongeant les USA dans un système totalitariste.

Le monde pensé par l'autrice n'est pas 1984, loin de là. C'est un monde résigné à accepter des règles, autant par peur que par renoncement. En laissant remonter le pire du passé de ce pays si peu uni.

Le responsable a été désigné du doigt, le « seul » : La Chine. Et par extension, l'autre. Une loi d'exclusion, qui rapidement vise à gommer les différences, ou plutôt à remettre la race blanche en son centre.

Autant dire que les américains d'origine asiatique sont la cible privilégiée, qu'ils soient sur le sol depuis des générations ou non, qu'ils soient issus de couples métis ou pas. le racisme « anti asiate » devient le quotidien, d'abord sournoisement puis beaucoup plus librement.

Celeste Ng a clairement puisé dans son histoire personnelle, elle dont les parents sont originaires de Hong Kong et ont débarqué sur le continent américain dans les années 60. Parce que ce qui se déroule dans ce futur proche n'a rien de neuf.

Remember McCarthy et sa chasse aux sorcières dans les années 50, le sort réservé aux amérindiens et à leur progéniture, ou encore au peuple noir au moment de l'esclavage. L'Histoire du pays, et du monde, regorge d'exemples.

L'autrice a commencé à écrire ce roman en 2016, comme un livre classique, mais la vague Trump et les effets du Covid sont passés par là et ont irrémédiablement modifié son orientation, jusqu'à son ADN.

A nos coeurs disparus est un livre politique à sa manière, un livre engagé. Mais c'est aussi une formidable histoire de personnages. Sombre et lumineuse à la fois, terrible et belle à en pleurer, déchirante et tellement enrichissante. Tellement forte.

Un récit qui tourne autour de « Bird », 12 ans, pas tout à fait un adolescent, encore en partie un gamin. C'était le surnom donné par sa mère à sa naissance, utilisé comme prénom durant ses premières années, avant que les effets du PACT en interdisent même l'utilisation. Aucune place pour l'imaginaire avec cette loi, tout est objet de propagande, même le plus simple exercice de math.

Sa mère d'origine chinoise, mais bien américaine, a fui le foyer familial il y a quelques années. Bird en garde une rancoeur sur laquelle il n'arrive pas à mettre des mots. Son père, blanc, attentionné, fait aussi tout pour que cette mère s'efface de sa mémoire.

Dans une société où tout le monde vit la tête baissée, des événements étranges se produisent, pas vraiment des manifestations contre le pouvoir (elles ont toutes été réprimées), on dirait presque des happenings qui semblent comme liés à cette mère qui était aussi poétesse.

Le début du roman présente, avec une naïveté touchante, l'éveil du jeune garçon, qui décide de retrouver cette maman perdue. Ce coeur disparu.

Ces pensées sont un danger, là où les autorités peuvent du jour au lendemain placer les enfants de ceux qui sont accusés de ne pas entrer dans le moule. le père fait profil bas, lui l'ancien linguiste reconnu qui désormais range des livres dans les travées clairsemées de la bibliothèque de Harvard, entouré des quelques livres encore autorisés.

Aucun mot, aucune chronique, n'arrivera à faire ressentir l'immensité de ce qui transpire des pages du livre de Celeste Ng. Parce que son approche se veut de faire vibrer les émotions, en touchant le Vrai.

A nos coeurs disparus, magnifique titre qui va révéler au fur et à mesure toute sa beauté, regorge de bouleversements, émotionnels, narratifs et scénaristiques. Des idées formidables à la pelle, jusqu'à un final en forme d'apothéose. Sans jamais surjouer, toujours avec une grande finesse.

A l'instar de ses deux premiers romans, cette histoire tourne autour de la différence, de la notion de perte. Mais cette fiction se veut autant raconter des personnages que d'éveiller les consciences. Sur le sort des sino-américains, mais aussi bien plus largement.

Un récit sur la transmission, sur l'héritage légué à sa descendance. Une histoire qui entre dans l'intime. Car c'est avant tout celle d'une famille.

Cette mère absente, si présente, Margaret. Comme un clin d'oeil à l'autrice Atwood, l'analogie avec La servante écarlate fait sens, même si le livre est très différent, son thème étant plus impalpable mais non moins pesant.

Ce roman évoque le futur, mais pour nous faire regarder notre présent bien en face, dans les yeux. En appuyant sur la responsabilité individuelle face au rouleau compresseur qui utilise la peur de la différence et la transforme en haine instrumentalisée.

Dans cette parabole 2.0, l'horreur est là, mais l'espoir aussi. Celui de pouvoir changer le monde par les actes. Mais aussi les mots, l'art, la littérature, la poésie. Un très intéressant regard porté sur la protestation non violente et l'art guérilla.

Parce que construire un autre monde est possible, l'écrivaine croit en la capacité de résilience, qui passe par l'individu.

Le livre peut sembler plombant, il l'est clairement par moment, mais aussi éclairant. Parsemé de douceur, à l'image de l'écriture sublime, éblouissante page après page. Une plume en sensibilité et en nuances, tout en sachant désigner les maux par leurs noms. Magnifiquement traduit par Julie Sibony.

Celeste Ng s'approprie les questions identitaires en élargissant le propos vers un futur qui se dessine. Une sensibilité de tous les instants, par la grâce d'un roman à l'idée formidable, traitée avec un don qui touche au sublime.

Tête et coeur, réfléchir et ressentir. Cela fait de Nos coeurs disparus un roman unique, de ceux qui marquent éternellement.
Lien : https://gruznamur.com/2023/0..
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Véritable roman d'anticipation, Celeste Ng offre une dystopie réaliste mêlant une réflexion du monde que nous laisserons aux générations futures et une vision quelque peu inquiétante du monde que nous pourrions connaître dans un avenir pas si lointain.

Le PACT est instauré par le nouveau gouvernement américain. Cette loi liberticide favorise la préservation des traditions américaines et institue que toute culture étrangère est suspecte et dangereuse pour la société. Les libertés individuelles ont été réduites à peau de chagrin, chaque citoyen est surveillé et peut être dénoncé à tout moment par toute personne, les dissidents peuvent se voir retirer leurs enfants du jour au lendemain, les manifestions prohibées tout simplement.

Tous les livres considérés comme réfractaires au régime ont été retirés purement et simplement des bibliothèques, afin d'être détruits. C'est le cas de ceux de la poétesse Margaret Miu qui a mystérieusement trois ans auparavant, laissant son mari et son fils sans nouvelles. Lorsque ce dernier, Bird, reçoit par courrier un dessin, il est persuadé qu'il lui vient de sa mère et part à sa recherche.

L'autrice, Celeste Ng, a imaginé de A à Z un programme politique liberticide et dictatorial tenant parfaitement la route. le racisme anti-asiatique est mis en évidence, thème peu abordé dans mes lectures, contrairement à celui anti-afroaméricain. Cette société imaginée mettrait sur les dos de la Chine, tous les maux touchant le pays. La montée de l'extrême-droite aux Etats-Unis, surtout lors du mandat de Donald Trump, rend ce livre si pragmatique.

L'autre sujet principal est la quête de cet enfant, Bird, pour retrouver sa mère. Pour lui, c'est aussi découvrir ses racines et comprendre ses origines. La façon dont la narratrice aborde cette relation mère-fis est criante d'émotions et ne laissera aucun lecteur indifférent.

Les décors sont hyper travaillés et décrits avec beaucoup de minutie. Aucun détail n'a été laissé au hasard. La genèse du roman est, par ailleurs, expliquée par Celeste Ng elle-même à la fin de ce bouquin brillant et éminent.

A aucun moment, elle ne choisit la facilité, tant dans la façon de traiter les différentes thématiques que dans le contenu même de l'histoire. C'est un livre dont on ne ressort pas indemne au final car même les dernières pages tournées, Bird et Margaret occuperont une place certaine dans le coeur de leurs lecteurs.
Lien : https://www.musemaniasbooks...
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J'ai vraiment beaucoup apprécié ce livre qui est très beau, très poétique, bien écrit mais également extrêmement interpellant voire dérangeant. Dans la lignée des dystopies comme "La servante écarlate", "Fahrenheit 451" et "1984" nous voyons une société qui entre en crise puis qui prend un certain nombre de mesures discriminantes face à une partie de la population ; des révoltes et manifestations de soutien sont écrasées, les bibliothèques expurgées et un "ordre nouveau" est mis en place. Nous suivons dans ce livre une famille au coeur de ces problématiques et qui va devoir radicalement changer de vie. L'histoire étant assez lente et le monde présenté familier cela donne une force supplémentaire à ce récit et renforce sa vraisemblance.

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Nos coeurs disparus m'a brisé le coeur ...

Roman, fiction, certes mais pas seulement, une dystopie plutôt mais parce qu'il y a un mais bien sur, une de celles dont on ne sort pas indemne, une de celles qui vous laissent pantois, la gueule ouverte .. le cri de Munch en tête ...
Une société américaine apaisée après la Crise ... une société américaine protégée de toute attaque contre son intégrité culturelle, une société protégée par le PACT . Protection, protection et protection... Chacun surveille l'autre, dénonce pour le bien de tous . de là à protéger les enfants de ceux qui osent critiquer le PACT il n'y a qu'un pas à franchir ... et l' enfant est alors séparé de ses parents , placé dans des familles d'accueil à l'abri de propos séditieux.... vite fait bien fait, on sait depuis longtemps comment faire.
Margaret Miu vit heureuse avec Ethan et Bird leur fils . Elle aime écrire mais surtout vivre tranquille dans leur maison à Boston . Jusqu'au jour où l'un de ses poèmes devient le slogan des anti-PACT , jusqu'au moment où elle doit fuir pour protéger son fils, jusqu'au moment où de passive elle devient actrice de son destin.. J'oubliais de préciser qu'elle appartient à la communauté américano-chinoise ...
Alors voilà je referme ce livre le coeur brisé ..

Merci aux éditions Sonatine via netgalley pour ce partage
#Noscoeursdisparus #NetGalleyFrance !
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J'avais beaucoup aimé « little fires everywhere » et quand mon club de lecture a proposé ce nouveau roman de Celeste Ng, je me suis précipitée dessus. A la lecture du résumé, j'ai, tout de suite, pensé à La Servante écarlate. Je n'ai pas lu ce roman mais vu quelques épisodes de la série, que j'ai dû arrêter de regarder à cause de la violence et du malaise que j'éprouvais. Autant dire que j'ai commencé « Our missing hearts » avec une petite appréhension tout de même.

La première partie du roman est un peu longue, avec beaucoup de descriptions. L'auteure plante le décor, nous décrit en détails cette nouvelle société américaine ou des lois ont été mise en place pour préserver la culture américaine et rejeter les autres cultures notamment la culture chinoise. Les dissidents disparaissent, les enfants sont retirés de leur famille pour être envoyé dans des camps et être rééduqués, les professeurs leur font subir un véritable lavage de cerveau.

Ce roman fait énormément réfléchir sur ce que l'on transmet à nos enfants. En temps que parent, on souhaite leur faire découvrir le plus possible de choses pour que leur esprit s'éveille alors qu'avec ce roman c'est tout l'inverse. Ils vivent reclus sur eux même. C'est vraiment terrifiant.

Quand l'action se met en place en milieu de première partie, le roman devient additif et il est impossible de le lâcher. J'ai vraiment adoré la seconde partie ou Margaret nous fait le récit du changement de la société, de toutes les lois qui sont venues s'ajouter. Je me suis vraiment sentie proche d'elle et j'ai eu le coeur brisé quand elle a raconté sa fuite pour protéger son fils.

La troisième partie et la fin sont très difficiles, j'espérais une fin heureuse et je suis déçue par ce dénouement. Cependant, j'ai beaucoup aimé les notes de l'auteure ou elle explique la naissance de ce roman, ou elle a puisé l'inspiration.

C'est une lecture dont on ne sort pas indemne, un roman puissant et triste mais qui fait énormément réfléchir sur les dérives de la société.

Lien : https://missmolko1.blogspot...
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Il y a plus d'un an j'ai appris que Celeste Ng préparait un livre en réponse à la montée effrayante du racisme anti asiatiques aux USA. Les chiffres américains montrent une hausse de 300% des attaques et crimes contre les asian-americans, et ce depuis que Donald Trump dans ses apparitions quotidiennes appelait le Covid 19 « le virus chinois », et traitait les journalistes asiatiques comme des ennemis personnels. Celeste Ng est née aux USA de parents chinois de Hong Kong. Elle ne pouvait rester indifférente. Des images horribles d'attaques en pleine rue de chinois, japonais, coréens, tous ceux qui pourraient représenter un « chinois » pullulent sur les sites d'infos américains. Sur Youtube aussi. C'est dire comme j'attendais ce livre. L'auteure en a fait une dystopie, absolument crédible et terrifiante, des dérives qu'un gouvernement américain pourrait instaurer et étatiser. Cela se passe dans un futur très proche. Qui pourrait même être demain.

Bird, 12 ans, vit avec son père dans un minuscule appartement sur un campus universitaire, alloué par le gouvernement, car Ethan, le père de Bird, qui était professeur en linguistique, a dû se reconvertir en adjoint de bibliothèque. C'est tout ce qu'il a pu trouver.
Un jour, Bird reçoit une lettre à son nom, Bird. Mais ça fait bien longtemps que plus personne ne l'appelle comme ça. Il s'appelle Noah. Officiellement. Dans cette lettre, ouverte et tamponnée « PACT », il trouve une feuille de papier, remplie de dessins de chats, et rien d'autre. Pas un mot. Tous les courriers sont ouverts, c'est comme ça, par les services administratifs. Longtemps avant, Bird l'a appris à l'école, il y a eu la grande Crise aux Etats Unis. le gouvernement a jugulé les émeutes et la pauvreté en instaurant le PACT, c'est à dire « Preserving American Culture and Traditions Act ». C'est un régime, mais aussi une « Promesse » que tout Américain doit respecter. Tout ce qui est anti-américain est écarté, repoussé, voire détruit. Tous les commerces, les écoles, les établissements publics ont des affiches prônant le respect du PACT. Plus un seul commerce ou restaurant asiatique n'affiche des mots en pictogrammes ou alphabet asiatique. Plus un seul livre parlant d'autre chose que de la grandeur Américaine n'est disponible. Ni dans les écoles, ni dans les bibliothèques. Tout a été passé au pilon. Toutes les conversations peuvent être écoutées par des passants qui ont le droit d'aller déclarer aux services concernés qu'untel ou untel a dit une chose anti-américaine.
Le pire, c'est que dans le PACT il est dit clairement qu' »on écartera les enfants si leur famille est jugée subversive ou anti-PACT ». Ces enfants-là sont placés dans de « bonnes familles » et ne reverront plus leurs parents.

Bird, lui, connaît bien ça. Son amie Sadie en parle sans arrêt, à l'école. Elle n'en parle qu'à lui, en faisant attention de ne pas être entendue par d'autres. Elle veut à tout prix retrouver ses parents. Les services sociaux l'ont enlevée de chez elle, et elle est en famille d'accueil. Ses parents sont considérés comme anti-PACT et elle ne sait pas où ils sont passés.

Bird, lui, n'a plus de mère. Elle a disparu lorsqu'il avait neuf ans. Depuis, il n'a plus vraiment de souvenirs : tout le monde, son père en premier lieu, fait comme si elle n'avait jamais existé. Il ne reste plus rien d'elle. Plus aucun livre, vêtement, objet. Son père a tout brûlé, et ne parle jamais d'elle. À force, Bird l'a presque oubliée. Elle était d'origine chinoise, mais née en Amérique.

À force de se demander ce qu'est cette lettre, ce qu'elle veut dire, de qui elle vient, Bird, jour après jour, se souvient. Des chats. Sa maman qui lui racontait tant d'histoires. Des livres de contes folkloriques de tous pays. Il commence à se rappeler. Mais il ne peut en parler à son père. Ni à Sadie. Parce qu'elle a disparu, elle aussi. Alors il essaie de savoir. Quel était ce conte qui parlait de chats ? Rien à l'école, rien à la Bibliothèque. Mais la bibliothécaire, questionnée, dit que ça lui rappelle quelque chose. Un livre. Qui est introuvable désormais. Et un livre de poèmes…. qui était écrit par sa mère, et qui a été interdit.

En même temps, Bird découvre des oeuvres dessinées, des oeuvres provisoires, sur des terres-pleins de la ville, disant « Où sont tous nos coeurs disparus »? , qu'une équipe gouvernementale arrive de suite pour l'effacer. Puis des arbres du square, recouverts de carrés de laine rouge, et des petits personnages enfantins insérés dedans, avec un panneau « Où sont tous nos coeurs disparus? « …. La police se met à tout détruire et à repousser violemment les curieux. Les coeurs disparus seraient-ils les enfants disparus ?

Cette dystopie est prenante, vue par les yeux d'un enfant embrigadé dans une fausse réalité, qui peu à peu découvre ce qui se cache derrière ce qu'on lui a toujours appris. Qui découvre soudain la délation et la corruption, et qui doucement se réapproprie les souvenirs de sa mère, et des contes, des livres merveilleux. C'est le pouvoir de l'amour maternel qui sous-tend tout le récit, et le pouvoir des livres et de la réflexion, de la terreur que fait régner cette absolue mainmise du pouvoir politique sur les actions ou la pensée des gens non éduqués.

Le choix de la révolte par l'Art guérilla est une trouvaille magnifique, et ce roman qui parle d'enfants enlevés d'une famille jugée « peu recommandable » de par ses origines, renvoie aussi aux Amérindiens coupés de leurs origines aux USA, comme au Canada. Regroupés dans des internats où on leur retirait toute appartenance à leur famille et leur origine.

Un livre formidable, puissant.

Ma note : 5 sur 5
Lien : https://melieetleslivres.fr/
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