En même temps que Jean-Baptiste découvrait la victoire, il touchait aux limites de la souffrance.
Cette souffrance qu’aucun cycliste n’ignore.
C’est, sous une socquette blanche, la voûte plantaire qui se transforme en un véritable fer à cheval. L’ensemble du pied qui se rigidifie, jusqu’à ce que la jointure avec les orteils se paralyse. Les pieds qui s’endolorissent et des fourmillements interminables qui apparaissent.
Ce sont les mollets. Ces muscles fins et longs, qui, quand ils se contractent, quand ils durcissent et finissent figés par une crampe, sont pareils au tranchant d’une feuille de papier. Ce tranchant qui coupe sur quelques millimètres le bout d’un doigt. Ce sont les genoux qui subissent une pression telle, que les tendinites s’accumulent. Mais la douleur la plus vive, c’est lorsque, dans un sprint, le genou frappe le bas du guidon. La douleur est sourde, interminable, elle se diffuse dans toute la jambe. Et si un coureur y va fort, vraiment fort, ce peut être la fracture pure et simple de la rotule.
Ce sont les cuisses. La locomotive du coureur. C’est là que le maximum de puissance est développé. Après trois ou quatre heures, elles sont tellement dures que la douleur remonte jusqu’aux fessiers. Les quadriceps se tétanisent. On a vu, un jour, un gamin de 14 ou 15 ans tomber, dévasté par la douleur. Sa chute a été si violente qu’il s’est brûlé entièrement le côté droit. Quand on l’a relevé, on s’est aperçu qu’une fine tige de fer qui devait traîner sur la route lui avait traversé l’arrière de la cuisse.
C’est la selle qui broie les testicules.
C’est le dos qui n’en finit pas de faire souffrir, tant la position est inconfortable. Et pourtant, c’est encore de lui dont on se sert pour sauter sur la ligne, dans un dernier coup de rein, le gars devant soi.
Ce sont les bras. À pleine vitesse, dans une descente, le sort du cycliste relève de leur seule capacité à résister à la douleur. Ce sont les bras qui dirigent et donnent la fluidité aux mouvements. La tension s’y accumule. Parfois, dans une descente rapide, où les coudes doivent former un parfait angle droit, où les biceps et les triceps sont envahis par les secousses issues de la route, vient l’idée de se laisser tomber…
Ce sont les poumons qui s’assèchent et brûlent la poitrine, comme si une brosse métallique grattait l’intérieur du thorax.
C’est le visage, glacé par le froid, qui gratte le sol à la suite d’une chute.
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