Simple et lumineux, pudique et délicat, ce livre aux racines bretonnes. Que cette lecture fut agréable et génératrice d'ondes bienfaisantes ! Un bel éloge aux liens familiaux et à l'amour inconditionnel.
«
Les fils du pêcheur » de
Grégory Nicolas, c'est l'histoire émouvante d'une famille bretonne soudée, narrée par un des fils suite à la mort de son père. le narrateur, Pierre, vient en effet d'apprendre qu'il sera bientôt papa d'une petite Louise lorsque le téléphone sonne. Sa mère lui annonce que le bateau paternel, ce beau coquillier blanc et bleu, le Ar c'hwill, vient de sombrer. Ecrire lui permet alors de lui rendre hommage, de faire son deuil, et enfin de dresser le portrait complet d'un grand-père pour pouvoir le transmettre aux petits enfants de la famille qui ne l'auront pas connu. Qu'il ne tombe pas dans l'oubli.
On suit ainsi la vie de ce père pudique et simple, depuis son enfance jusqu'à sa mort, ses joies, son courages et ses peines. On est témoin de l'éclosion et de l'épanouissement d'une famille très unie, tissée d'amour, amour filial et fraternel, amour conjugal. Ce père toujours présent aux fêtes de famille, à tous les anniversaires, toujours là pour eux, malgré son métier de pêcheur. Ce père que les fils admirent et qui a cependant sa part d'ombre, part inattendue dont ils apprennent l'existence après sa mort par un certain Benoit Notre-Dame…
Et à travers cette histoire, nous sommes témoins de l'Histoire de la Bretagne, celle de la pêche, celle du remembrement des terres, celle des crises et des manifestations, celle du naufrage de l'Amoco Cadiz.
« On avait expliqué aux paysans que la parcellisation, le mode d'exploitation traditionnel, les condamnait à demeurer dans une économie peu productive. Pour les faire entrer dans la modernité, on décida de rassembler les parcelles autour des longères. On appela cela le remembrement. Les bulldozers entrèrent en jeu : ils abattirent les hautes haies qui séparaient les champs, ils brisèrent les talus, ils aplanirent les sols, les nivelèrent, ils comblèrent les fossés et les douves pour mettre en place de grandes parcelles d'un seul tenant, exploitables plus facilement, avec des rendements jamais vus jusqu'ici [ …] Les gros pneus remplacèrent les sabots de bois des hommes et les fers des chevaux. En même temps que les tracteurs, on vit apparaître dans les terres celui qui n'en partirait plus jamais : le vent».
Le talent de conteur de
Grégory Nicolas est tel que nous tournons les pages avec bonheur, nous passionnant pour cette histoire de famille au fin fond de la Bretagne. le coeur apaisé et chaud, l'oeil brillant et le sourire discret aux lèvres. J'ai particulièrement aimé la pudeur des sentiments qui transparait derrière cet amour familial. C'est d'une élégance et d'une douceur qui m'ont fait fondre.
« Avec sa boucle d'oreille, ça lui donnait des airs de dur, et il en jouait, alors qu'il a toujours été doux comme un agneau. Les copains de l'école nous faisaient remarquer à Julien, à Clément et à moi que notre père avait une boucle d'oreille et un tatouage… C'était le seul des pères à en avoir. C'était le seul marin aussi. Ça ne nous plaisait pas, cette différence. Ça ne nous plaisait pas qu'on nous appelle «
les fils du pêcheur ». On aurait préféré être comme tout le monde, et avoir un père sans tatouage et sans boucle d'oreille. Mais on a fait avec. Et maintenant qu'il est mort on en serait fiers ».
« Pourtant, et bien que ce soit moi qui l'aie décidé, je ne trouvais pas ça naturel de serrer sa main, c'était une distance trop grande, de celles qui ne devraient jamais s'installer entre un père et son enfant. Mes frères continuaient de l'embrasser et je les enviais. Et nous on se serrait la main. Quelle honte. J'en chialerais. Je n'osais pas lui redemander de revenir aux bisous et lui non plus, ça a duré des années. C'est infernal la pudeur ».
Notons un éloge au sport, à la course à pied notamment, qui n'est pas sans me déplaire ce sport étant ma passion, ainsi qu'une ode à la littérature.
L'écriture de cet auteur, qui m'était inconnu, est à l'image de son histoire : une plume sobre pleine d'humanité, sans misérabilisme, où l'amour filial, l'amour inconditionnel et les valeurs comme le respect sont des actes de foi. Il réussit avec brio à nous attacher à cette famille. J'ai refermé ainsi à regret ce livre et en fermant les yeux, l'âme bretonne, je me suis imaginée penchée vers la mer, happée, elle était « si belle et si limpide que, malgré la profondeur, on avait l'impression qu'en se concentrant longtemps et, comme on patiente l'été, allongé par terre parmi les herbes qui grattent le cou, pour tenter de voir la voie lactée, on aurait pu deviner Ar c'hwil ».