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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Voilà un livre à machouiller, à tarabiscutailler, à revenir, à poser, à s'agacer, à revenir.
Un vrai livre en somme, où, pour une fois, l'autobiographie n'est pas un boulet coulant ( je ne dis cela que parce que c'est devenu une plaie mortelle de ce qui se dit littéraire de nos jours ), mais justel un mode d'écriture pour un esprit qui se confronte au monde, celui des bourgeois, celui de l'aventure de Rimbaud, celui de cet étranger anglais qui croupit et rougit au soleil.
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Étouffé, saturé, dégoûté par la France et surtout les français, leur mode de vie, la compétition, la surconsommation, les vieilles coutumes et les vieux réflexes capitalistes et bourgeois, Paul NIZAN part s'aérer entre septembre 1926 et avril 1927 au Yémen, du côté d'Aden, alors sous domination britannique. « Chacun veut assurer son évasion par ses propres moyens ». Les plaies de la première guerre mondiale sont encore béantes dans les esprits, le traumatisme reste entier. Et NIZAN de ne plus pouvoir supporter l'humain.

Ce texte, premier bouquin de NIZAN, est un essai doublé d'un récit de voyage. Un essai pour le début et la fin du récit, avant que l'auteur ne parte prendre l'air en « Arabie », et après qu'il soit revenu. Tout le reste, la couche fondante entre les deux, est la description d'un pays, d'une région arabe, mais aussi de ses habitants, là aussi les coutumes, là aussi l'humain, là aussi le dégoût.

L'essai est offensif, sorte d'attaque à la mitraillette. Souvenons-nous de la phrase entamant le livre, ô combien célèbre et ô combien révélatrice : « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie ». L'entrée en matière est au moins immédiate, un coup de fer à chauffer au coeur de la couenne.

« Mais nous sommes faibles, l'impuissance est en nous, nous sommes dressés à l'esclavage docile depuis notre enfance confortable : nul moyen de dépister en nous les sources de l'espoir, nous ne sommes pas sourciers. Nul moyen de comprendre que nous souffrons du désoeuvrement de nos besoins humains. Nos maîtres paraissent inébranlables, les machines qui laminent toutes les existences trop bien jointes pour être brisées ». Si ce n'était que ça, mais NIZAN ne supporte plus les philosophes, semble envier les suicidés, envoie des missiles au colonialisme. Alors il va voyager. Il a vingt ans.

Récit de voyage donc : l'auteur raconte ce qu'il voit, ce qu'il entend, peut-être pas de manière reposée mais en tout cas moins sur la brèche que lors du début du bouquin. Là-bas la culture locale semble être propriété des autochtones, les européens vivent à l'européenne, de nombreux paysages rappellent la France et l'économie est reine, tu parles d'un dépaysement ! En somme, l'électrochoc attendu n'a pas lieu (ou alors NIZAN préfère rester silencieux sur ce point), pourtant l'auteur adhère au Parti Communiste à son retour. Renaissance ? Fini l'adhésion aux idées d'extrême droite même si ici le récit est entaché de quelques réflexions antisémites. Nul ne change en un jour. NIZAN revoit à son retour ce qu'il a quitté : « le cercle bouclé, je vis un matin le château d'If, et devant les collines blanches, Notre-Dame-de-la-Garde. J'étais servi : les premiers emblèmes venus à ma rencontre étaient justement les deux objets les plus révoltants : une église, une prison ».

Désillusion. Existe-t-il quelque part sur cette vieille terre un lieu où l'homme n'est pas un loup pour l'homme ? « C'est le moment de faire la guerre aux causes de la peur. de se salir les mains : il sera toujours temps de voir des frères. Je suis dans cette position de faire la guerre pour être complètement délivré de la peur qui m'atteignit comme une flèche, jusqu'en Arabie, quand j'avais le droit de me croire dans un lieu écarté et enfin pacifique. La fuite ne sert à rien ». Pamphlet aux accents d'un ZO d'AXA, radical, sans concession et sans nuances, « Aden Arabie » se lit comme une charge contre l'homme, colorée par un cynisme quelque peu nihiliste. Provocation ou mal-être ? Sans doute un peu des deux. Les phrases font mal, giflent, écorchent et griffent. Pourtant elles sont belles et parfois lucides. Avec ce bouquin NIZAN entrait dans la cour des grands à grands coups de poings sous le menton. L'entre-deux guerre avait son dynamiteur.

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Cri de révolte d'un jeune normalien devant la société figée dans lequel il se prépare à entrer. L'Université, la religion et l'économie ont tué la vie. Alors pourquoi ne pas aller voir ces pays aux merveilles dont nous parlent les livres. Mais quitter l'Europe pour Aden n'est pas la solution, car on y retrouve le même homo economicus, en pire sous le joug colonial. Celui pour qui les actions ne sont plus des actes mais des titres en Bourse. Et à cela s'ajoute l'ennui.
Comment être vivant dans un monde mort ?
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Petit ouvrage, très grand livre, que dans ma faiblesse il m'a fallu apprendre à apprécier ! Mais un respect progressif a façonné l'amour qu'il me manquait.

Évidemment, certaines choses sont aujourd'hui déplorables, d'autant plus après la leçon des totalitarismes et des deux guerres mondiales. Il y a là un appel à la violence et un extrémisme caricaturaux, qui puent l'époque (mais aussi la jeunesse de l'auteur, propre à donner à la réalité du monolithisme) dans ce qu'elle a de pire. On regrettera cette hargne puérile qui par son déploiement même montre bien qu'il n'a jamais eu à en pâtir.
Lorsque l'ardeur juvénile se conjugue à un temps qui encense l'action, la révolution pour la révolution, la violence pour la violence (des communistes français aux fascistes roumains des années 30, sur ce point même combat) – un temps d'impatience et d'irréflexion, on en vient aux mêmes imprécations stéréotypées et toujours ridicules, malheureuses car on en sait le dénouement, et qui cherchant à relever l'Homme ou les hommes ne trouvent comme manière de s'effectuer que le rabaissement d'un « Brunschvicg », d'un « Bergson », d'un « Dreyfus », eux qui pour grand malheur n'ont souvent eu le bonheur de crier « [Vive la mort,] à bas l'intelligence ! »
De même, il y a dans toute la philosophie primesautière de Nizan l'échec d'en avoir une vraiment, c'est-à-dire d'aller en profondeur sur les causes qui font notre souffrance et notre aliénation – je dirais même d'ignorer totalement les « considération métaphysiques » –, de s'arrêter plutôt sur la superficialité d'un début de siècle français où la seule alternative publique, connue, crue – car cette révolution-ci a réussi – est ce communisme que Moscou régit ; avec bien sûr toute sa « lutte des classes » et tout son réductionnisme de bon aloi.
Il est toujours facile d'attribuer au Bourgeois le malheur que l'on sent en nous, d'hypostasier notre mécontentement, du koulak au notable en passant par le juif. Mais – est-ce juste ?
Or, c'est justement cela, toujours, qu'il s'agit de savoir. Et comment Nizan pourrait-il le savoir, lui qui sacrifie sur l'autel du crime, en vue d'un bien rêvé, tout ce qui ne lui agrée, y compris toute abstraction intellectuelle ? On rit, et on pleure, et on rit, lorsqu'on le lit condamnant la Recherche au détour d'une phrase, et notre sourire s'accompagne d'une interrogation : doit-on vraiment sourire ?...

Des individus plus grands que Paul Nizan n'ont pas fondé leur pensée sur un ressentiment ; n'ont pas sublimé ce ressentiment par des mots éclatants ; n'ont pas confondu le vice et la rancoeur avec la générosité du coeur.
– Mais ici il ne s'agit pas d'eux !

Si nous acceptons tous ces défauts, et à vrai dire la progression même de la lecture – par rapport au caractère rétrospectif d'une critique volontairement négative – tend à les racheter aux yeux du lecteur, attendu qu'ils sont perdus dans la masse des innombrables qualités, le reste n'est que bonheur : ainsi, sa verve, originale, fulgurante, et la beauté du style ; le génie de ses pensées particulières, toujours pertinentes, touchant juste aujourd'hui encore, toujours aussi incisives (Thomas Bernhard paraît mignon en comparaison) – philosophie brillante, vraiment, philosophie sublime.

Certes, on ne pardonne pas un monstre sur la base de ses envolées philosophiques. Mais, ici, il n'y a pas de monstre.
Il y a un jeune homme de quoi ? 25, 26 ans ? qui mourra au combat neuf ans plus tard, le 23 mai 1940, en n'ayant peut-être jamais connu le nom de Sigmaringen. Il y a une époque (et un anticolonialisme d'autant plus bienvenu qu'encore rare). Il y a de l'espoir – et donc des oeillères. On en voudra à l'ignorance et à la bassesse de gâter quelque peu un livre autrement génial, mais le péché ici n'est encore que véniel. Bien qu'on puisse déjà, de façon justifiée, ne pas lui pardonner cela.

Toujours est-il que je considère pour ma part que ce livre vaut encore la peine d'être lu. Il peut être pénible parfois, et à vrai dire je n'en aime pas tant le début, ni l'incipit, mais quelle force – quel talent d'écriture !



PS :

Par association d'idées, et après avoir songé à la lettre de Victor Hugo adressée au capitaine Butler à propos du sac du Palais d'été en 1861, je pense à présent à la lettre ouverte que les surréalistes ont adressée à Paul Claudel en 1925, qui peut bien être une bonne introduction à la leçon et au ton de Nizan lui-même :

« Monsieur,
Notre activité n'a de pédérastique que la confusion qu'elle introduit dans l'esprit de ceux qui n'y participent pas.
Peu nous importe la création. Nous souhaitons de toutes nos forces que les révolutions, les guerres et les insurrections coloniales viennent anéantir cette civilisation occidentale dont vous défendez jusqu'en Orient la vermine et nous appelons cette destruction comme l'état de choses le moins inacceptable pour l'esprit.
Il ne saurait y avoir pour nous ni équilibre ni grand art. Voici déjà long-temps que l'idée de Beauté s'est rassise. Il ne reste debout qu'une idée morale, à savoir par exemple qu'on ne peut être à la fois ambassadeur de France et poète.
Nous saisissons cette occasion pour nous désolidariser publiquement de tout ce qui est français, en paroles et en actions. Nous déclarons trouver la trahison et tout ce qui, d'une façon ou d'une autre, peut nuire à la sûreté de l'État beaucoup plus conciliable avec la poésie que la vente de « grosses quantités de lard » pour le compte d'une nation de porcs et de chiens.
C'est une singulière méconnaissance des facultés propres et des possibilités de l'esprit qui fait périodiquement rechercher leur salut à des goujats de votre espèce dans une tradition catholique ou gréco-romaine. le salut pour nous n'est nulle part. Nous tenons Rimbaud pour un homme qui a désespéré de son salut et dont l'oeuvre et la vie sont de purs témoignages de perdition.
Catholicisme, classicisme gréco-romain, nous vous abandonnons à vos bondieuseries infâmes. Qu'elles vous profitent de toutes manières ; engraissez encore, crevez sous l'admiration et le respect de vos concitoyens. Écrivez, priez et bavez ; nous réclamons le déshonneur de vous avoir traité une fois pour toutes de cuistre et de canaille. »

(On m'excusera peut-être cette critique qui n'en est pas une.)
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