Pour moi, le premier roman de
Claire Norton dont je découvre la prose (je voyais régulièrement des retours sur ce livre dans différents groupes de lecture d'où mon intérêt) et cette lecture ne m'a pas du tout déçue, bien au contraire ! Je dirais même plus que ce roman m'a littéralement bouleversée car je l'ai terminé en larmes (waouh, les deux lettres de la fin !!!). Je ne suis pas masochiste, mais c'est aussi cela que j'attends d'une lecture : qu'elle me transporte dans des lieux méconnus, qu'elle me fasse réfléchir sur des thèmes de société et qu'elle me donne à ressentir des émotions fortes et/ou contradictoires.
J'aime cette citation de
Paul Eluard : "Il n'y a pas de hasards, il n'y a que des rendez-vous" que j'ai méditée en son temps et dont j'ai constaté qu'elle est vraie. Et c'est cette citation qui, à elle seule, pourrait résumer ce roman. Philomène 15 ans et Auguste 85 ans se sont rencontrés par hasard sur un banc d'un parc du Vésinet... Mais était-ce bien un hasard ? Car, sans qu'ils ne le sachent eux-mêmes, ils avaient tous les deux une bonne raison pour se retrouver-là : ils avaient rendez-vous avec la vie.
Auguste, pour profiter au mieux et comme il l'a choisi des derniers jours qui lui restent après avoir appris l'inéluctable. Atteint d'un cancer du pancréas au dernier stade, il entend bien aller au bout de sa décision de se faire assister pour mettre fin à sa vie. Mais, avant il a des choses à régler et si sur son chemin, il peut être utile à cette jeune fille, pourquoi donc s'en priver ?
Philomène, pour tenter de retrouver un sens à sa vie après la mort accidentelle de sa maman dans des circonstances obscures. Eclairer les zones d'ombre de cet accident est pour elle d'une nécessité vitale, mais pour ce faire, elle aura besoin d'un adulte qui, en l'occurrence ne peut être son père puisqu'elle a fugué.
Je n'entrerai pas dans le détail des aventures de ces deux-là pour garder au lecteur la surprise entière de la narration. J'évoquerai surtout les thèmes importants qui traversent ce roman et qui, nécessairement questionnent le lecteur, à savoir :
1/ comment parvenir à faire son deuil en cas de décès brutal d'un proche ? Comment apprivoiser l'absence ? Comment construire sa vie d'adulte (si l'on est un enfant) ou poursuivre sa vie (si l'on est un mari ayant perdu sa femme) sans ce soutien privilégié ?
2/ comment parvenir à conserver tout son libre arbitre et décider de sa fin de vie lorsqu'on est un adulte déjà très âgé et malade incurable ? Et parvenir à ne pas devenir une marionnette entre les mains de proches intéressés et malveillants ?
3/ comment parvenir à communiquer entre enfants/parents et à se pardonner quand la vie, la culpabilité, le deuil, les non-dits ont fermé peu à peu toutes les portes ?
4/ combien l'apport intergénérationnel peut-être bénéfique (pour l'une comme pour l'autre) dès lors qu'il y a respect, écoute, transmission et bienveillance.
5/ combien l'amour peut se manifester de diverses façons : l'amour inconditionnel d'une vie, l'amour avec ses aléas quotidiens, l'amour d'une fille pour sa mère, l'amour blessé d'un homme qui perd pied, l'amour d'un inconnu pour une autre inconnue, l'amour non exprimé d'un fils pour son père, l'amour sacrificiel d'une fiancée éconduite, etc.
6/ et enfin, combien il est important de vivre à fond le moment présent (car tout peut s'arrêter demain ; pour ne pas avoir de regrets ; et parce que la vie mérite largement d'être vécue quand on en a l'opportunité).
Vous l'aurez compris, il s'agit à travers ce beau roman d'amour, de partager à la fois une quête initiatique (celle de Philomène qui cherche à comprendre pourquoi et comment sa mère est morte, car elle a peur d'avoir été abandonnée par elle) et d'un plaidoyer (celui d'Auguste) en faveur d'une vieillesse et d'une fin de vie totalement assumées.
L'écriture est fluide et les thèmes abordés parfaitement documentés (les aspects liés aux soins palliatifs et à la fin de vie sont particulièrement détaillés sans pour autant être trop difficiles à lire et à comprendre. Etant pour ma part une militante de l'Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), j'ai été particulièrement sensible aux différents points de vues exprimés, et notamment celui du fils d'Auguste qui, bien sûr, ne partage pas la décision de son père. Cela donne à réfléchir, en effet.
Je n'ai qu'un conseil : il me semble qu'il s'agit d'un livre qu'il faut avoir lu dans sa vie. A vous de voir quel pourrait être le moment le plus opportun pour le lire, car si l'on est moralement fragilisé, si l'on est en plein deuil ou si l'on a un parent malade, cela peut être difficile.
Néanmoins, les deux longues lettres de la fin sont, de mon point de vue, d'un apport essentiel (et sont ô combien émouvantes) : à la fois pour des adultes pour leur permettre de mieux comprendre les décisions de leurs aînés que pour des jeunes hommes ou femmes, voire adolescents, pour disposer de guides précieux permettant de s'engager confiants dans la vie.
Clairement, cette première découverte d'un roman de
Claire Norton m'a donné envie de lire ses autres romans, tant j'ai trouvé chez elle une écriture sensible et ciselée sur des sujets pourtant pas faciles à traiter.