Saturnine a répondu à une annonce pour une collocation. Dans les beaux quartiers de Paris, un hôtel particulier, pour cinq cents euros de loyer, quarante mètres carré de chambre, la proposition est irrésistible, même si elle paraît louche. L'attente pour se présenter et déposer le dossier est longue… Des femmes sophistiquées, tout le contraire de Saturnine, sont à la file. Sa voisine pour passer le temps, se permet alors quelques indiscrétions… Comment ? vous ne savez pas ?! Mais si nous sommes toutes là, c'est pour voir le maître des lieux ! Il aurait tué ses huit colocataires précédentes. Il ne sort pas, personne ne l'a vu, ses femmes ont disparu, il est riche, très riche, il s'appelle don Elemirio Nibal y Milcar, il doit être follement séduisant, mais si inquiétant aussi !…
« Calme-toi, se dit-elle. Ne te soucie pas de ces ragots ridicules. Tu es là pour l'appartement, point final. »
Lorsque Saturnine comparaît à son tour, elle découvre un homme altier d'une quarantaine d'années, un teint blême, le regard absent, déprimé. En une brève salutation, une confrontation assez insignifiante, elle est sélectionnée. La chambre est à elle.
« - Bonjour, mademoiselle. Je suis don Elemirio Nibal y Milcar, j'ai quarante-quatre ans.
– Je m'appelle Saturnine Puissant, j'ai vingt-cinq ans. J'effectue un remplacement à l'
Ecole du Louvre.
Elle dit cela avec fierté. Pour une Belge de son âge, un tel poste était inespéré, même à titre temporaire.
– La chambre est à vous, affirma l'homme. »
Dans un premier temps, elle n'explore de l'appartement que les principales pièces. Tout lui est accessible sauf une chambre. Antre noir pour les travaux photographiques de don Elemirio, cette pièce est interdite d'accès, sous peine de sanction. Autre lieu où son locataire exerce son talent, la cuisine. Pour sa première soirée, l'hidalgo la convie à partager sa table afin de sympathiser et se dévoiler un peu plus…
Lui… ça fait vingt ans qu'il ne sort pas. Depuis la mort de ses parents. Ermite, il passe son temps à lire des livres sur l'inquisition, à recevoir le prêtre pour la messe du matin, à cuisiner les mets les plus fins…
Elle… jeune Belge venue enseigner à l'
Ecole du Louvre.
Très vite, la conversation se transforme en un duel de palabres. le mordant de Saturnine séduit don Elemirio. Les sujets de discorde sont des attraits désirables, d'autres, plaisirs des sens, sont conjoints. Sur une coupe de champagne, la soirée se conclut par une déclaration… « Extase amoureuse ».
Saturnine ne tombera pas amoureuse. Elle est consciente d'un malaise. Elle est bien trop indépendante. Elle se moque de cet aristocrate, de sa religion, de sa fortune, de ses fantasmes, des suspicions… Non, elle ne l'aime pas. Non… mais si cela devait se passer, finirait-elle comme les autres disparues ?
.
Tous les ans, les livres d'
Amélie Nothomb charrient des critiques élogieuses, objectives ou sévères. On peut dire que cette demoiselle ne passe pas inaperçue et que ses histoires sont atypiques. Fidèle dès son premier livre, depuis trois ans j'étais déçue. Une déconvenue qui restait quand même bienveillante car j'aime le personnage.
Avec ce livre, conte macabre qui reprend le mythe de
Barbe Bleue, on lit du loufoque, de l'absurdité, de la déraison, de l'amour, des passions et du funèbre. Certaines cocasseries sont des coquetteries… les mots sont choisis et embellissent les joutes dialoguées.
Pas à pas, l'histoire se développe et prend la moelle du conte de Perrault. Mais est-ce vraiment une adaptation rebattue et impersonnelle ? Oh que non ! Une volte surprend et remanie l'histoire. Les mondes basculent et rendent une modernité au récit.
Alors que le précédent livre m'avait semblé bâclé et orphelin de quelques pages supplémentaires, j'ai trouvé les 170 pages de ce roman justement équilibrées.
Nothomb fait du Nothomb ? Oui, et j'aime bien ! Si j'en juge son sourire mutin et son oeil canaille, je pense qu'elle a dû s'amuser à jouer les deux rôles. Mais qui est réellement le diable inquisiteur ?