Alain Nouvel.
Sur les bords de l'Empire du milieu
Un livre-voyage, années 1981-1985.
Un livret -fascinant- en deux parties qui se regardent et se complètent.
Un va-et-vient…
Alain Nouvel part d'un spectacle comique qu'il a écouté à Nankin pour remonter un chemin de vie ; « Il y a des façons de pleurer qui me conviennent en Chine, c'est pour ça que j'y suis demeuré » « Vous savez, je suis mort enfant, c'est pourquoi je m'ennuie d'être mort ».
Le lecteur passe au milieu de lieux qui gardent les séquelles de sévices subis pendant la Révolution culturelle. Il va évoluer dans une Chine où « l'effroi est un moyen de régner sur les foules », où « les aventures de l'esprit sont interdites », « où l'on passe son temps à attendre . »
Ce sont des récits, faits d'observation-réflexion. L'oeil toujours curieux du narrateur se pose sur les différences tangibles de deux conceptions religieuses presque opposées ; l'encens bouddhiste « d'où se dégageait une fumée sans flamme, sans fumée » et la bougie chrétienne « d'où montait une flamme sans fumée… » La réflexion s'impose à nous, car « si la bougie brûle, sa lumière est la vie, la foi, la sainteté, si elle s'éteint , cela représente la mort, le péché. »
Réflexion aussi sur la magie de la calligraphie chinoise. Ce sont des portraits aussi : celui de Monsieur Vent, notamment, qui traverse l'histoire de son pays en distillant ses propres turpitudes, respirations honteuses. Celui de Ding Hao, le calligraphe qui a tout épuisé des ressources contenues dans ses livres et pierres, celui de Ding Hao qui n'aime pas qu'on le prenne pour un calligraphe. Ding Hao est épuisé et il se confie « Voyez, je ne pourrai jamais satisfaire les femmes. Mon énergie sort trop vite de moi. Mais je n'éprouve aucun besoin d'elles, l'amour, comme la calligraphie est un art mineur.» Autre portrait, celui d'une femme, Lucie qui nous livre un récit émouvant. 1989, Tien An Men. Lucie pense à Liu son amant de 50 ans, né à Shangaï et dont elle est enceinte. Elle a quitté Liu qui savait la « désoccidenter ». Elle sait qu'il était sur la place il y a quelques jours … Lucie, l'européenne, apporte discrètement un éclairage que nous n'attendions pas.
Et puis les secrets des mères : le secret d'enfant de celle de Lucie qui l'avoue dans une lettre à sa fille ; le secret de la mère de Liu, japonaise, marié à un chinois mais qui aime un Japonais. Liu sera ce japonais étranger officiellement chinois en Chine.
Un livre pudique, qui dit l'essentiel pour intriguer notre regard de lecteur et d'être humain. Un livre qui va se terminer par la lettre sobre de Liu. « Je suis de nulle part» écrit-il. Mais, faut-il toujours être de quelque part ?
Je recommande vivement ce livre-voyage-méditation à mettre sur sa table de chevet et à l'y laisser…
Lecture de janvier 2022. Élisabeth Fabre Groelly
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