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4,01

sur 402 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Je suis ravie. Récemment, quelques lectures m'ont laissée désappointée : mon ressenti était de loin beaucoup moins positif que celui de la plupart des lecteurs.
Ici, cela a été l'inverse. Même si la note sur Babelio est bonne, je me souviens avoir lu quelques critiques qui, sans être très négatives, étaient cependant assez mitigées. J'avais donc remis encore et encore cette lecture, je ne regrette pas d'avoir franchi le pas.

Ce roman se passe en Italie, dans la deuxième moitié du XVIème siècle et nous conte sur une quinzaine d'années, la vie d'une femme. 15 ans seulement, car elle disparaitra avant d'avoir atteint ses 16 ans. C'est une époque où être femme, même dans des familles riches, influentes, n'est pas un sort enviable. Une femme est considérée comme une marchandise, de luxe certes, mais une marchandise qui servira par son mariage à nouer des alliances, à établir de nouvelles relations. Et l'on demandera de plus à cette marchandise d'être fertile, pour permettre à son époux de transmettre son titre et ses richesses à un fils.
Qu'importe qu'elle soit très jeune; qu'importe qu'elle doive quitter ses parents sa famille, sa terre natale, tout ce qu'elle connait pour vivre avec un homme qu'elle n'avait quasiment jamais vu. Ses suppliques à son père, à sa mère seront vaines. Elle sera mariée.

Même si ce livre n'atteint pas l'intensité dramatique de Hamnet, j'y ai retrouvé tout ce que j'aime chez Maggie O'Farell, à la fois dans la peinture de cette jeune femme, de ses désirs, de ses sentiments, de son affolement quand elle devine que son mari veut la tuer, et dans son écriture que j'aime toujours autant.
Lucrèce est une jeune femme sensible, à l'âme d'artiste, elle aime dessiner et peindre et y montre du talent. Elle est encore naïve et veut croire au bonheur possible. Son nouveau mari se montre tendre et attentionné, même s'il la tient à l'écart et ne lui confie rien de ce qui se passe à la cour et dans sa famille, même s'il s'entoure de personnages inquiétants, même si parfois des cris résonnent la nuit, même si des rumeurs circulent. Elle devra vite déchanter, d'autant plus que son ventre reste désespérément plat.

Les autres personnages du roman sont en retrait, l'autrice a vraiment mis l'accent sur ce personnage de femme, qu'elle m'a fait aimer et j'ai craint pour elle, tout au long du livre puisque celui-ci s'ouvre sur ses dernières heures, au coté de son mari isolée dans une forteresse sinistre et que le récit de sa vie alterne avec celui de ces quelques heures oppressantes.

Quant à l'écriture de l'autrice, je l'ai trouvé toujours aussi apte à transmettre à la fois les émotions, les somptuosités de la nature et des décors, la richesse de la vie en Italie à cette époque, les sentiments que provoquent l'art, et notamment la peinture, pour la regarder ou la réaliser. Une écriture à la fois précise dans le choix des mots et poétique par ce qu'ils expriment.

Une autrice dont j'ai lu la majorité des livres et qui a encore réussi à me séduire.



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J'ai d'abord été déçue par le début du livre de Maggie O'Farrell avant de comprendre que cette lente description de l'enfance de Lucrèce de Médicis était nécessaire pour entrer dans cette histoire à qui il ne manque qu'une sorcière pour devenir magique. La plume de Maggie O'Farrell nous entraîne dans un rêve angoissant.

Lucrèce de Médicis grandit dans le palais de ses parents. Elle est élevée comme une fille, mais grâce à ses dons pour le dessin, elle reçoit l'autorisation de suivre des cours. Elle n'aime d'ailleurs que ça, a toujours la tête dans ce qu'elle peint. L'enfance de Lucrèce ne m'a pas passionnée, c'est pourtant une mise en place nécessaire à la suite.

Tout bascule (l'intérêt du lecteur aussi) quand Lucrèce épouse à quinze ans, Alfonso, duc de Ferrare, et que se profile le destin de la jeune femme, annoncé dès le premier chapitre.

Lucrèce sait qu'elle doit obéissance en tout à son seigneur et maître, mais que la vie à Ferrare est différente de celle qu'elle a connue ! le drame se noue, la tragédie montre le bout de son nez au milieu d'épaisses murailles, d'escaliers lugubres, et de tentures rouge sang. La fin m'a rendue à la fois heureuse et profondément triste.


Lien : https://dequoilire.com/le-po..
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Renaissance italienne , entre le Palais de Florence en 1544 et la forteresse , région de Bondeno 1561 ,Maggie O'Farell nous raconte l'histoire de Lucrèce de Médicis .

Lorsque le récit commence , Lucrèce, mariée depuis un an à Alfonso II d'Este, duc de Ferrare , est persuadée que son époux veut l'assassiner .
Ils sont partis seuls rejoindre un pavillon de chasse qui s'avère être une forteresse alors que la jeune femme imaginait revenir dans le palais paradisiaque où elle avait vécu au tout début de son mariage et où elle croyait encore à un bonheur possible ...

Astucieusement, l'écrivaine alterne cette dernière période avec l'histoire de Lucrèce depuis sa conception.

Cinquième enfant de Cosme , Grand duc de Toscane et d'Eleanor, Lucrèce est une enfant intelligente, curieuse, plutôt indépendante par rapport sa fratrie, elle excelle dans le dessin et la représentation d'animaux sur de petits tableaux .
Elle ose explorer le palais paternel à la découverte des animaux enfermés dans des salles obscures et secrètes .

"Pendant un long instant, Lucrèce et la tigresse se regardèrent, la main de l'enfant sur le dos de la bête. le temps s'arrêta et la Terre cessa de tourner. La vie de Lucrèce , son nom, sa famille et tout ce qui l'entourait s'évaporèrent , se muèrent en un vide. Il ne restait plus que son propre coeur et celui de la tigresse, battant entre leurs côtes, pompant le sang écarlate pour le réinjecter dans leurs veines inondées. elle respirait à peine, ne cillait plus. "

Cette enfance heureuse et insouciante s'interrompt lorsqu'elle doit épouser à la place de sa soeur décédée le futur duc de Ferrare , Alfonso .
Le mariage est somptueux puis le duc emmène sa jeune épousée dans son pays .

Peu à peu Lucrèce découvre le vrai visage d'Alfonso , ou plutôt sa double personnalité : un homme charmant , attentif et aimant qui peut se transformer en homme autoritaire et violent, et en même temps, elle comprend que le seul but de ce mariage est de lui donner un héritier pour consolider la position familiale et politique fragile du Duc de Ferrare.

Tout au long du récit, la tension monte, on partage l'appréhension de Lucrèce et on redoute l'incontournable destin de cette jeune femme à peine sortie de l'enfance livrée aux griffes d'un homme ivre de pouvoir.

Comment va t'elle pouvoir s'opposer à Alfonso ?

À partir d'un fait historique, Maggie O'Farrell construit un roman passionnant , confirmant son talent déjà apprécié lors de son précédent roman Hamnet .

Un joli portrait de femme sensible , qui a combattu avec obstination et courage les jougs imposés par sa naissance et son mariage , affrontant la violence d'un homme, refusant la brutalité des puissants et laissant parler son coeur ...

Un grand merci aux Éditions Belfond et NetGalley France #MaggieOFarrell #NetGalleyFrance
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Depuis I am I am I am, je dévore toutes les parutions de Maggie O'Farrell. J'aime sa plume poétique et imagée, ses portraits de femmes fortes, malmenées, en prise avec leur destin. Et elle sait rendre le roman historique particulièrement attrayant. Comme dans Hamnet. Ou ce portrait de mariage où on découvre le destin tragique de Lucrèce, cinquième enfant du Duc de Toscane, épouse du duc de Ferrare, mariée à 15 ans, décédée à 16. Différente, curieuse, rêveuse, artiste. Épousée à la place de sa soeur décédée afin de procréer. Et très vite incapable d'enfanter. Obligée de se soumettre. A son père. Son mari. Docile mais jamais domptée .
Un portrait sensible, une vie réinventée, celle d'une duchesse imparfaite, racontée avec panache par une écrivaine inspirée.
J'ai adoré
Merci à Netgalley et aux éditions Belfond pour le partage de ce très beau roman. #netgalleyfrance #maggieofarrell
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Tigresse

1561, cela fait un an que Lucrèce de Médicis est mariée au duc Alfonso de Ferrare. Lucrèce est inquiète. Pourquoi son mari l'a t-il emmenée dans une forteresse éloignée de Ferrare ? Voudrait-il l'assassiner ?

Qui est-tu Lucrèce de Médicis ? L'Histoire n'a pas retenu ton nom. Tu est uniquement connue pour avoir été brièvement l'épouse du duc Alfonso de Ferrare. Après trois ans de mariage tu décède dans des circonstances mystérieuses. L'Histoire a retenu la tuberculose comme cause officielle de ton décès, mais il s'est murmuré que ton époux n'y serait pas étranger.

Maggie O'Farell s'est basée sur les rares sources mentionnant la duchesse de Ferrare pour écrire ce beau roman. Tout le reste n'est que fiction, et quelle fiction !
L'auteure n'écrit pas, elle peint. le décor nous est magnifiquement restitué, les palais de Florence et Ferrare prennent vie sous nos yeux. Quant à Lucrèce, elle apparaît dans toute sa complexité. D'apparence effacée, la fille du duc de Florence est en réalité éprise de liberté. Enfant ignorée de la fratrie, Lucrèce est un feu follet. Peintre émérite, elle est seulement considérée comme bonne à marier.

Ce mariage, Lucrèce ne le voulait pas.

Son mari Alfonso semble à première vue l'époux idéal, tendre et attentionné. Mais peu à peu, une autre facette du duc de Ferrare se fait jour. Celle-ci est froide et tyrannique. Lucrèce prend progressivement conscience qu'elle n'est qu'un ventre destiné à concevoir l'héritier du duc. Ce qu'elle est réellement ne compte pas. Pire, tenter de s'affirmer pourrait mener à sa perte.

Bref, qui est-tu Lucrèce de Médicis ? Nous ne le saurons jamais mais Maggie O'Farell t'offre le plus bel hommage qui soit.

Lu dans le cadre du Grand Prix des Lectrices ELLE 2024.
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La forteresse, région de Bondeno 1561 : alors qu'elle partage le repas avec son époux Alfonso II d'Este, Duc de Ferrare, dans ce sinistre pavillon de chasse où il l'a emmenée soi-disant pour se reposer, Lucrèce comprend qu'il va la tuer. Sinon, pourquoi ne pas l'avoir emmenée à la Delizia, la villa où ils ont vécu juste après leur mariage, il y a un an à peine ?

Mais revenons à Lucrèce de Médicis, qui avait à peine quinze ans lors de son mariage pour tenter d'en savoir plus sur son enfance en famille. Elle est la fille de Cosme, (alias Cosimo de Medici) grand-duc de Toscane et d'Eléonore de Tolède, un couple auréolé de gloire, avec une progéniture digne de l'époque.

Lucrèce est différente des autres enfant, bébé difficile, insomniaque qui ne s'endort que dans les bras de la nourrice, Sofia, dont elle est infiniment plus proche que de sa mère, ce qui n'est guère étonnant. Elle s'avère douée pour le dessin, la peinture, d'une intelligence rare, ses frères et soeurs la rejettent car elle est différente, plus sensible, et plus rebelle à ce qu'on demande à une fille à l'époque.

A l'âge de treize ans, quand sa soeur Maria, promise à Alfonso décède brutalement, c'est Lucrèce que ses parents vont proposer en mariage à sa place, on ira même jusqu'à retailler la robe de mariage de Maria. En dépit de sa révolte, Lucrèce doit s'incliner…

Après le mariage, elle n'aura plus aucun contact avec ses parents, et devra affronter la cour, la famille de son époux, notamment les soeurs et Leonello Baldassare, le sinistre homme à tout faire : conseiller, surveillance de tous les membres de la cour (et donc dénonciations). Lucrèce est sous surveillance constante ; Une des soeurs d'Alfonso, Elisabetta, est plutôt gentille avec elle, mais l'autre Nunciata ne cesse de l'espionner et de rapporter ses moindres faits et gestes.

Très vite Lucrèce comprend que sa vie est en danger, car pas de grossesse à l'horizon, malgré un régime épouvantable prescrit par le médecin… Seul moment moins stressant : les séances de pose pour le fameux portrait de mariage, où elle est en présence d'un apprenti du peintre.

L'auteure nous brosse un portrait d'Alfonso sans concession : homme aux multiples visages, pouvant passer en une fraction de seconde de la « tendresse » à la violence, ce qui entretient la peur et la suspicion chez Lucrèce. Quand la main de son époux se pose sur la sienne, cela ressemble davantage aux serres d'un aigle sur sa proie.

En fait, on connaît peur de choses sur Lucrèce, car elle est morte très jeune, et il y a peu d'écrits à son sujet, alors Maggie O'Farrell a tenté de lui inventer une vie, aussi courte soit-elle. La vie à la cour est bien abordée, le statut (l'absence de statut serait mieux approprié) de la femme à l'époque, qui doit obéir à son époux, à peine plus considérée qu'un meuble, et dont la fonction est d'engendrer, si possible un fils afin que la lignée perdure …

L'auteure fait alterner les époques : le mariage, l'enfance, l'ambiance sinistre de la cour, ce qui donne du piment au récit, et évite au lecteur de tomber dans la sinistrose, avec le portrait comme fil rouge.

J'ai beaucoup aimé la scène où Lucrèce a réussi à s'approcher d'une tigresse en cage qui son père avait fait capturer, pour sa beauté, et surtout comme trophée à exhiber, comme si ces deux âmes rebelles avaient perdu l'envie de vivre, en étant privées de liberté.

J'ai décidé de lire ce roman, après avoir beaucoup aimé « Perspectives » le roman épistolaire de Laurent Binet qui nous parlait d'une soeur de Lucrèce au destin plutôt funeste également mais elle, au moins aura connu l'amour et également parce que j'adore la plume de Maggie O'Farrell.

J'ai passé un bon moment, j'ai aimé l'exercice consistant à « inventer » une vie à cette jeune femme, qui m'a beaucoup plu d'ailleurs, mais je suis un peu restée sur ma faim malgré la belle écriture et le retour à une époque que j'affectionne particulièrement. Peut-être parce que j'ai placé la barre bien trop haute, j'ai tellement aimé « Hamnet » et surtout « L'étrange disparition d'Esme Lennox », mais il faut reconnaître que l'exercice était difficile. Peut-être aussi parce que la féministe en moi, hurle de rage intérieurement et d'envie d'occire le duc et son âme damnée, complice…

Un grand merci à NetGalley et aux éditions Belfond qui m'ont permis de découvrir ce roman et de retrouver la plume d'une auteure que j'apprécie.

#MaggieOFarrell #NetGalleyFrance !

Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Dans ce roman tout en détails elliptiques, en bonds narratifs délicats, Maggie O'Farrell réécrit discrètement L Histoire, fait d'une adolescente malheureuse et farouche un portrait féministe plein de nuances, aussi subtile que la peinture du drapé d'une étoffe (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2023/09/03/le-portrait-de-mariage-maggie-ofarrell/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Le point de départ du "Portrait de mariage" est indiqué dans la "note historique" liminaire écrite par l'autrice :
"En 1560, âgée de quinze ans, Lucrèce de Médicis quitta Florence pour entamer sa vie maritale auprès d'Alfonso II d'Este, duc de Ferrare.
Moins d'un an plus tard, elle serait morte.
Une "fièvre putride" fut officiellement désignée comme cause de sa mort, mais la rumeur courut qu'elle avait été assassinée par son époux."
Une autre note de l'autrice, qui conclut le livre cette fois, nous apprend que ces assassinats de femme des propres mains de leur glorieux époux étaient chose courante à l'époque (Isabelle de Médicis, la soeur de Lucrèce, ou Dianora, sa cousine, connaîtront le même sort). Non seulement ils n'émouvaient personne mais ils étaient "approuvés de manière tacite par leur famille".

La narration de Maggie O'Farrell se déploie dans cet entre-deux, entre ces deux notes, entre l'âge tendre de Lucrèce au sein du Palazzo Vecchio et sa fin funeste dans une forteresse de Bondeno, entre la volonté inflexible de son père, grand-duc de Toscane, et la volonté inflexible de son mari, Alfonso II, duc de Ferrare, obsédé par sa descendance, entre la réalité historique et l'espace de son imagination. le récit aurait pu en être contraint, rétréci. Pourtant c'est son amplitude qui nous transporte, c'est l'équilibre miraculeux de ses structures qui rend la lecture si aérienne, si singulière, comme si l'autrice offrait à cette jeune fille broyée par la volonté de puissance des hommes l'envol que L Histoire lui a refusé.

En effet, la narration joue avec le temps comme avec un élastique, alternant chapitres qui racontent Lucrèce prise au piège, au seuil de sa mort, et d'autres à la cour de ses parents, à Florence, pas encore conçue, petite, fascinée par un tigre, qui grandit, qui s'approche de son destin en remplaçant sa soeur morte sous le voile de mariée. Dans ce récit diffracté dont les éclats se chevauchent, l'autrice joue avec les différentes perceptions d'un même personnage, avec les inquiétudes de Lucrèce, avec le personnage d'Alfonso, ce Janus à la virilité glaçante pourtant capable de telles délicatesses pour sa jeune épouse qu'on se prend à douter de la fin…

Car Maggie O'Farrell est une magicienne : elle parvient à mettre en tension un récit historique dont la fin est d'emblée connue, à créer un suspense qui va crescendo jusqu'à la toute dernière ligne. Suspense qui nous fait croire un instant à la magie de cette écriture qui pourrait bousculer le cours de l'Histoire… Et c'est un peu ce qui se passe finalement, dans une fin d'une subtilité à vous couper le souffle. Rien d'artificiel dans ce suspense, rien de ces procédés bon marché qui consistent à maintenir le lecteur sous la dépendance d'une révélation finale exagérée. Non, ce qui se déploie sous nos yeux, c'est la nuance des portraits, celui de Lucrèce surtout, inoubliable jeune femme cachée dans les embrasures des portes, sensible, mal aimée et pourtant si talentueuse, qui ne trouve sa place ni dans sa propre famille ni dans la vie de son époux et qui finira par en mourir - peut-être… C'est le mystère des êtres plutôt que le contexte historique qui crée les rebondissements du récit. L'autrice creuse leurs nuances, les ciselle avec une langue poétique et ductile qui donne au roman tout son magnétisme (notons au passage la traduction de velours de Sarah Tardy, une splendeur).

Ce pouvoir de métamorphose rejoint ce que j'appellerai un art de la superposition : l'autrice arrive en effet à raconter deux scènes posées l'une sur l'autre, telles les voiles diaphanes des nymphes de Botticelli. Par exemple, elle raconte le voyage de Lucrèce dans les montagnes sous la forme du souvenir qui la hantera plus tard. Ou bien ce qui se passe dans la forêt est évoqué pendant le sommeil de Lucrèce : "Elle dort au moment où des cochons sauvages, trapus, hirsutes, lourds comme des malles de voyage, saccagent des broussailles". Elle peut aussi évoquer son bonheur d'être enfin libre et heureuse avec Alfonso, aux premiers temps de son mariage, qui coexiste avec la connaissance que nous, lecteurs, avons qu'elle va bientôt mourir sous les mains du même. Deux sentiments, deux espace-temps, deux mouvements, d'une beauté déchirante, qui donnent une incroyable profondeur au récit. Cet effet de palimpseste trouve son point d'orgue dans l'image finale des tavola, petits tableaux peints sur une planchette de bois dont Lucrèce avait le goût : "Il se murmure […] que sous la couche extérieure de peinture se dissimulent d'autres images secrètes, cachées, parfois même plusieurs, et parfois aussi aucune". Mise en abyme d'un récit à double fond dont certains secrets resteront tus, même à ceux qui lisent attentivement. Cela confine à la magie.

Lu dans le cadre du Grand Prix des lectrices Elle 2024
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De Maggie O'Farrell, qui puisqu'irlandaise ne peut être dans mon imaginaire qu'une auteure fée, j'avais adoré "Hamnet" qui avait le bon gout de se dérouler à une époque que je chéris tout particulièrement en littérature (O chère Renaissance!) et d'évoquer l'un des écrivains les plus fascinants qui soit au monde (de la mesure moi? Jamais!): William Shakespeare. Après ce coup de foudre littéraire, pourtant, je n'ai pas fait ce que je fais souvent, à savoir me jeter sur la bibliographie de l'auteur qui vient de ravir mon coeur... Les résumés des ouvrages de la dame ne m'ont certes pas parue sans intérêt (bien au contraire) mais je les ai trouvés si loin d'"Hamnet"! Comme si je sentais que la romancière qui m'avait plu dans Maggie O'Farrell était celle des romans historiques plus que celle des chroniques contemporaines. Aussi l'ai-je laissé dans les rayonnages des librairies jusqu'à entendre parler du "Portrait de Mariage" où elle revenait à la Renaissance et pas de moindres puisque c'était pour parler de la ville la plus Renaissante d'entre toutes, pour raconter la famille la plus Renaissante qu'il soit possible, puisque c'était pour Florence et les Médicis. Ecrire que j'ai guetté la sortie de ce nouveau roman serait un doux euphémisme...
Et dire qu'il a fallu attendre la rentrée! Dire qu'entre temps, j'ai arpenté les ruelles de Florence au coeur du mois d'aout le plus joli de toute ma vie...
A la sortie du "Portrait de Mariage", j'étais déjà ferrée et presque conquise.

Sorte de "portrait d'une jeune fille en feu" tant il m'a rappelé le film répondant à ce titre si poétique par sa sensibilité exacerbée, cette biographie romancée de la jeune Lucrèce de Médicis confirme mon penchant pour l'écriture de Maggie O'Farrell, confirme le talent de cette dernière pour conter de très belles histoires, pour combler les silences dans les vies de personnages historiques méconnus, pour -enfin- révéler et disséquer les ombres et les lumières, la complexité et la richesse de l'âme humaine. Cette écriture, bon sang, cette écriture... Toute en finesse et en subtilité, en jeux d'ombres et de lumière, en précision et en poésie...

La jeune Lucrèce n'a pas quinze ans quand ses parents, qui règnent sur la ville la plus illustre de l'Italie renaissante, la donne en mariage au duc Alfonso de Ferrare qui doit avoir le double de son âge. Comme toujours, cette union est une alliance politique, un jeu de dupes et sur l'échiquier, Lucrèce n'est qu'un pion. Un pion interchangeable d'ailleurs. Alfonso était en effet promis à l'une de ses soeurs mais la mort ayant fauché cette dernière comme les blés en été, c'est Lucrèce qui devient la promise. Une soeur pour une autre, une femme à la place d'une autre... Qu'importe au fond dans ce monde où faire des enfants est la seule vocation qu'on veut bien accorder à la gente féminine, petits maillons fragiles dans la chaîne du pouvoir.

L'adolescente est donc contrainte de quitter Florence, sa famille et tout ce qu'elle connaît pour suivre cet étrange époux dont le sort l'a pourvu. Alfonso est en effet un homme complexe, trouble... Tantôt aimant, tantôt distant; tantôt autoritaire, tantôt plein d'urbanité, il est double, avance masqué comme à Venise et ses silences sont impénétrables, froids. Quant à sa courtoisie, elle est tranchante ou trop douce... Bien sûr, ce qu'il veut, c'est un héritier: ce n'est pas pour rien qu'il a choisi d'épouser la fille de celle que le siècle surnomme le "fecundissima" et s'il rejoint chaque nuit la couche de sa très jeune femme, c'est plus par souci dynastique que par désir.
A Ferrare, la vie est difficile pour Lucrèce qui tente de plaire à son mari, qui se réfugie dans le silence et le dessin pour échapper à la solitude et à ce sentiment d'oppression qui s'abat sur elle chaque jour un peu plus. C'est que plus le temps passe et plus son mari lui semble lointain, glacial. Plus les mois passent et plus elle sent sa déception, aigue comme poignard, quand ses menstruent reviennent.
Bientôt Lucrèce a peur, Lucrèce dépérit: et si son mari, qui l'isole dans une forteresse aux confins de sa province, voulait sa mort? S'il projetait de l'assassiner?

Alternant deux époques: 1561 dans le sombre château où elle sent chaque jour l'étau se resserrer et sa peur d'être tuée par celui qu'elle a épousé et 1544 qui retrace son enfance solitaire mais heureuse au palais de ses parents, la narration converge vers une apothéose qui prépare son arrivée dès la première page, avec une tension aussi poétique qu'angoissante jusqu'à un dénouement à la beauté fragile et poignante. La mort prématurée de la petite duchesse de Ferrare a donné à Maggie O'Farrell la matière pour créer un roman éblouissant, tragique et baroque où le vernis des tableaux les plus somptueux se craquèle pour dévoiler toute la noirceur de l'âme humaine. En creux aussi, le portrait somptueux et riche, coloré et incroyablement vivant d'une héroïne attachante, libre; d'une héroïne qui lutte dans une monde si peu fait pour elle. Somptueux!






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Le livre s'ouvre une nuit de 1561, alors que Lucrèce de Médicis , jeune fille de 16 ans, dîne avec celui qu'elle a épousé il y a un an, le duc Alfonso d'Este. Soudain, elle a la certitude que son mari va la tuer. Et le lecteur le sait également, puisque l'auteure nous en  a informé dans sa note historique placée tout au début du livre.
Ce meurtre imminent fait peser sur le roman un sentiment d'horreur, alors que de courts chapitres retraçant les heures suivant ce fatal repas, alternent avec des chapitres beaucoup plus longs qui nous racontent son enfance et son mariage.

Margaret O'Farrell présente d'emblée le duc comme un personnage ambivalent . Décrit par un regard extérieur, il a toutes les qualités d'un époux attentionné et prévenant. Pourtant la calme certitude de Lucrèce face à ce qui l'attend, ne permet pas de douter des intentions d'Alfonso. Il semble a cette étape que Lucrèce soit au-delà de la peur, mais davantage curieuse de connaître le moyen qu'il emploiera.
C'est qu'elle a eu déjà l'occasion de cerner sa personnalité et ses accès de cruauté.
Grâce à ce procédé, quand elle croira qu'Alfonso l'aime sincèrement, le lecteur prévenu sera méfiant et cherchera des indices de son erreur . Quand elle aura peur de lui, le lecteur saura qu'elle a raison.  Ses rêves et ses fantasmes, ainsi que les cris terribles que Lucrèce entend une nuit, venant de la chambre de son mari dans le sinistre château de Ferrare, viendront peu à peu entériner cette intuition.

En retraçant l'enfance de Lucrèce, cinquième enfant de Côme de Médicis et d'Eleonore, l'auteure a toute latitude tant les archives historiques sont pauvres. Elle choisit de la présenter comme une princesse de conte de fées, une Cendrillon mal-aimée, écartée pour son tempérament exigeant et rebelle. Elle est perçue comme le mouton noir de la famille et reçoit peu d'affection. Une bonne fée lui a donné le don du dessin, talent qu'elle exercera tout au long de sa courte vie. Elle lui a donné également du courage et une attirance pour les animaux. On la verra ainsi enfant caresser un tigre dans la ménagerie aménagée du palais des Médicis. En créant cette mythologie autour de son personnage, l'auteure instille une fantaisie poétique dans le destin tragique d'une enfant mariée de force.

Dans un décor couleur Renaissance italienne, la jeune fille grandit plutôt solitaire dans un palais qu'elle ne quitte jamais. L'éducation des filles est à l'époque très claustrophobique  jusqu'à ce qu'elles soient envoyées chez un époux qu'elles n'auront pas choisi. Pour s'occuper, elle dessine alors des oiseaux morts ou emprisonnés qui symbolisent son propre enfermement.
L'auteure, dans ses romans, tient en effet à souligner le plus possible la condition de ces femmes soumises, incarcérées, ignorées, effacées par la domination des hommes. Son mariage arrangé, comme substitut de sa soeur morte, confirme l'invisibilité de sa parole.
" Elle n'avait depuis le départ cessé de clamer à quiconque qu'elle ne voulait pas épouser le fils du duc, qu'elle ne remplacerait pas sa soeur, tout en sachant pertinemment que la machine de ses fiançailles était inexorablement lancée. Ses parents ainsi que l'ensemble de leur maison semblaient obéir à un accord tacite consistant à ignorer ses protestations. "

La prose de Maggie O'Farrell, toujours aussi fluide, est plus ornée, plus picturale que dans les livres précédents. Elle retranscrit sous nos yeux les palais de la Renaissance Italienne, les bals, les repas pantagrueliques, les robes prodigieuses et surtout la beauté d'une nature luxuriante que Lucrece découvre avec avidité. Les descriptions des jardins sont parsemées de métaphores autour du lexique de la peinture, comme si Lucrèce elle-même en peignait la richesse.
Le bestiaire fabuleux que l'auteure a confié à son héroïne, sert également son propos féministe lorsqu'elle fait la description des relations sexuelles entre les deux époux.
" Il est une créature de mythe, tout de peau et de tendons et d'impressionnantes spirales de cheveux ; il est un dieu du fleuve, un monstre des eaux, sorti des méandres du Po, ayant pris forme humaine pour se rendre jusqu'à sa chambre, à son lit, pour se glisser sous ses draps, pour la saisir entre ses doigts palmés, pour frotter contre la sienne sa peau écailleuse , pour la soumettre par sa force gagnée dans les profondeurs aquatiques, au fil de nages à contre-courant, pendant que battent, encore et encore, les ouïes cachées sur son cou, qui sucent l'air étranger de la chambre. "

Cette histoire terriblement romanesque, écrite dans une langue à la fois limpide et précieuse, est totalement séduisante. Alors même que l'on s'attache à cette jeune fille étonnamment mature, que l'on devine la personnalité machiavélique du duc, que l'on assiste aux intrigues de la cour, on ne cesse de trembler pour un destin annoncé depuis la première page, tant la construction subtile de l'auteure parvient à ménager une tension qui ne faiblit jamais.









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