Chère lectrice, Cher lecteur,
Heather O'Neill, écrivaine québécoise anglophone, a fait paraître chez Alto
Hôtel Lonely Hearts. Dans ce récit, elle met en scène deux orphelins, Rose et Pierrot, abandonnés à la naissance dans un orphelinat gouverné par des religieuses à Montréal en 1914. Ils ne reçoivent pas d'amour dans ce lieu mais des coups. Pour réussir à survivre dans un environnement violent, les orphelins inventent un monde. Pierrot joue du piano tandis que Rose danse, virevolte comme un flocon de neige dans le ciel. Ils vont être amenés à divertir les plus riches de Montréal en présentant des spectacles dans leur domicile. Ils tombent amoureux dès qu'ils ont posé le regard l'un sur l'autre et ils font le voeu, à treize ans, de se marier. Les religieuses vont tout faire pour les séparer car l'amour gâche des vies. Rose et Pierrot décident qu'ils auront un cirque peuplé de clowns qu'ils appelleront La Grande Fantasmagorie des flocons de neige. Ils sortent de l'orphelinat profondément écorchés, marqués à tout jamais. Ils grandissent et ils se perdent de vue sans jamais s'oublier.
La Grande Dépression frappe Montréal. L'argent est rare et Rose et Pierrot tenteront tant que bien de mal de survivre. Ils fréquent des bordels, des hôtels, des cabarets de Montréal. Ils finiront par se retrouver blessés plus que jamais. Malgré tout ce qu'ils ont vécu, ils possèdent encore le pouvoir de rêver malgré les gangsters autour d'eux, les truands, les drogués, les prostituées. Réussiront-ils à créer La Grande Fantasmagorie des flocons de neige en tant qu'adultes? Réaliseront-ils leur promesse de s'unir pour la vie?
Heather O'Neill possède une plume magnifique. le lecteur sent tout le travail qu'elle a réalisé pour créer des phrases poétiques, des descriptions féériques. Les images des orphelins ont quelque chose d'unique qui transcende le réel. Ils apparaissent comme des êtres d'un conte de fées imbibés de flocons de neige. La neige est partout autour d'eux. Elle les encercle, les recouvre, les revêt d'un voile de pureté.
Elle dénicha pour Rose un chapeau en fourrure blanche trop grand et extravagant pour une fillette de cet âge, mais qui allait certainement la garder au chaud. À Pierrot, elle donna un pardessus d'adulte et une paire de caoutchoucs trop grands de deux points.
Elle leur donna aussi un gâteau aux fruits à rapporter à l'orphelinat et une valise pleine de vieux oursons en peluche, et ils descendirent la rue comme un vieux couple qui aurait été transformé en enfants par le sortilège d'une sorcière. Les flocons se posaient sur leurs chapeaux et leurs épaules tandis qu'ils rentraient. (p. 63-64)
Dans une entrevue accordée à
Sonia Sarfati de la revue Les libraires de février mars 2018, Heather O'Neill mentionne à propos de son écriture :
Je vois mes romans comme de longs poèmes. J'utilise les mêmes techniques dans les deux cas. Pour moi, chaque phrase doit être belle en elle-même. Cet acte de foi avec le langage que font les poètes, je veux le faire avec mes romans. (p. 13)
C'est ce que j'ai surtout apprécié dans ce livre : l'écriture.
Mais encore, Montréal semble un personnage à part entière. Elle devient la grande gardienne de ce Pierrot la Lune et de cette petite fleur dont le parfum est enchanteur. Elle protège l'amour entre les deux protagonistes, le voir grandir, lui permet d'éclore.
Montréal était la ville la plus magnifique du monde. Elle voulait raconter ses histoires aux deux orphelins. Quelle ville ne prend pas plaisir à se vanter un peu? Les gargouilles représentant des faunes se penchaient à la façade des édifices en relatant leur vie sexuelle sur le ton du chuchotement. Dans les serres, les gros poissons-chats juraient détenir des informations privilégiées sur la Bourse. Les chevaux du carrousel renversaient la tête en arrière, prêts à se battre contre les statues des sirènes dans l'étang. Un train électrique faisait le tour d'une petite montagne dans la vitrine du magasin de jouets, et ses passagers lilliputiens rêvaient dans leurs couchettes miniatures. Au cours de cette période, les sentiments qu'éprouvaient Rose et Pierrot l'un pour l'autre gagnèrent en profondeur. (p. 68)
J'ai adoré cette histoire oscillant entre l'espoir et le désespoir. Elle m'a permis de côtoyer des clowns tristes mais si touchants. Elle m'a permis de comprendre que les roses possèdent des épines dont il faut se méfier. Elle m'a permis d'assister à un spectacle le temps de cette Fantasmagorie des flocons de neige. C'est fort. C'est puissant. C'est un conte moderne magique et triste d'une infinie beauté.
Il est à noter que
Dominique Fortier a accompli un remarquable travail de traduction.
Bravo aux Éditions Alto d'avoir publié ce sublime roman. La couverture arborant une photographie de Richard Trushman s'avère un excellent choix. Par ailleurs, je tiens à remercier la maison d'édition pour la copie que j'ai reçue en service de presse.
https://madamelit.ca/2018/03/07/madame-lit-
hotel-lonely-hearts/
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