«
Ma vie de cafard »
Joyce Carol Oates (Points 460p)
Ames sensibles ou dépressives plutôt s'abstenir.
Sinon, on peut y aller, ouvrir ce plutôt bon roman, dur, violent, mais qui ne tombe pas dans le voyeurisme. Il nous guide sur une quinzaine d'années de vie de la narratrice, Violet, 12 ans au moment où commence son récit. Six frères et soeurs, une mère au foyer, un père ouvrier ou quelque chose dans le genre, une petite maison avec un jardin dans une bourgade proche des chutes du Niagara, de nos jours. On n'est pas dans le sud profond des petits blancs de
Erskine Caldwell dans les années 50, mais ça y ressemble par bien des côtés. le racisme le plus archaïque y gangrène ce petit monde, c'est le « ressac blanc », ce mouvement qui suit et contrebalance l'élection de
Barack Obama et les révoltes contre les crimes racistes de la police blanche, comme un retour du refoulé d'une société qui semble irréductiblement ancrée dans ses préjugés : « on est accusés, par ce qu'on est blancs ». Or les deux frères ainés de Violet sont bel et bien coupables d'un terrible crime raciste gratuit, Violet l'a compris, et un jour elle n'a pu faire autrement que de rompre le pacte de silence. Malgré ce qui la lie à sa famille, elle est devenue un cafard, une cafardeuse, responsable de la condamnation « injuste » qui frappe ses deux frères, et par contrecoup toute sa lignée. Bannie à 12 ans, y compris par son père adoré, elle débute un exil chez une tante lointaine.
Mais les hommes qu'elle rencontre et à qui a priori elle devrait pouvoir faire confiance se révèlent des pervers, les femmes presque toutes des lâches. Comment grandir et devenir adulte face à ces humiliations et ces trahisons ?
Dans le regard de cette jeune femme, c'est le tableau bien sombre et réaliste d'une Amérique d'aujourd'hui qui n'a toujours pas chassé ses démons.
C'est donc un roman particulièrement noir, on cherche longtemps un rai de lumière dans la vie de Violet, d'autant que
Joyce Carol Oates se concentre sur les aspects les plus sombres. Elle ne nous dit par exemple rien de la foi que la jeune fille met dans l'acharnement à reprendre des études, ce que cela lui apporte, les espoirs qu'elle y trouve, des rencontres humaines ou culturelles positives qu'elle peut y faire.
Du coup, on souffle à cette lecture, on se demande si ses malheurs vont bientôt se terminer, et il y a parfois des longueurs inutiles (est-ce parce que, comme le précise l'auteure, ce roman est la réécriture de plusieurs textes disparates, publiés ailleurs ?) Mais c'est plutôt bien écrit, les sentiments de Violet (la culpabilité, sa force, son besoin d'aimer et d'être aimée sans être trahie encore et encore), sont particulièrement bien fouillés.
Un très bon roman sans doute, mais après cela, on a besoin d'une bonne cure d'espoir, si peu esquissé ici.