Un écrivain est peut-être quelqu'un qui, dans l'enfance, apprend à chercher et à déchiffrer des indices; quelqu'un qui écoute avec attention ce qui est dit afin d'entendre ce qui ne l'est pas; quelqu'un qui devient sensible aux nuances, aux sous-entendus et aux expressions fugitives des visages. (p. 81)
Le jour, les obsessions de l'insomniaque s'estompent comme les images sur un écran quand les lumières s'allument.
Mais la nuit, on entend, on sent battre tout près les ailes de la folie...
Rien d'aussi profond et d'aussi durable que l'amour de la petite enfance. Cette fascination que nous éprouvons toute notre vie pour nos jeunes parents séduisants et mystérieux- qui étaient à la fois physiquement proches de nous, et cependant distincts inaccessibles et inconnaissables. Est-ce là l'histoire d'amour originelle, qui colore et détermine toute notre vie à suivre ? (p. 21)
Car il ne faut jamais sous estimer le pouvoir-bénéfique, maléfique, profond et irrésistible-des lieux.
Il est des intimités, des secrets, des épiphanies, des révélations et des faits historiques dont je ne dirai jamais rien, surtout par écrit.
Assurément, selon nos critères d'aujourd'hui, certaines de ces agressions seraient qualifiées de sexuelles, mais en réalité c'était plutôt de la brutalité - une brutalité physique - assez semblable à celle dont ces mêmes garçons faisaient preuve à l'égard des animaux sans défense (....) qu'ils parvenaient parfois à attraper.(...) Je me rendis compte que j'étais stupéfaite d'avoir réellement vécu ces harcèlements, des mois et même des années durant, et d'avoir d'une certaine manière appris à les accepter avec le fatalisme d'un enfant qui, ne voyant aucun moyen de changer les choses, doit changer la perception qu'il en a. (p198-199)
Le ciel, dans ces lieux abandonnés avait la teinte de l'éclat de la tôle.
Quand la mémoire doit remonter des dizaines d'années en arrière, elle a de grandes chances d'être imprécise, à la manière d'un filet déchiré, jeté au hasard, pouvant ramener le négligeable aussi bien que manquer l'essentiel.
Longtemps inoccupée et condamnée l'école de district no 7 fut finalement rasée à la fin des années 1970...Bientôt le souvenir de ces écoles à classe unique ne survivra plus, au mieux, que sur des photographies : associées à un passé mythopoétique de la Frontière, qui, quand il était vécu, était, pour nous qui le vivions, tout simplement la vie.
Au commencement, nous sommes des enfants imaginant des fantômes qui nous effraient. Peu à peu, au cours de nos longues vies, nous devenons nous-mêmes ces fantômes, hantant les paysages perdus de notre enfance.
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