C'est l'amour Appalaches (Ahou, Tcha, Tcha, Tcha)
Par une sorte de tropisme que je ne m'explique guère, j'ai tendance à être attiré par la collection Totem. Tout n'y est pas remarquable (Le retour du Gang de la Clef à molette, Shibumi, Pike…m'ont fortement déçu par rapport à l'attente), mais l'éditeur a le mérite de sortir des sentiers trop rebattus et de proposer souvent de nouvelles traductions. (ceux qui ne se sont pas encore procuré le bikini de diamants débarrassé de la version de Duhamel pourront vite mesurer la différence).
Ce nouveau roman fait partie des bonnes pioches.
Nous sommes dans les années 50, au milieu de nulle part, c'est-à-dire dans l'Ohio pas encore rendu tristement célèbre par
Neil Young, ni revigoré par Devo, les cinglés d'Akron.
Tucker est un jeune soldat à peine démobilisé après la guerre de Corée où il a appris à survivre. Il n'aspire plus aujourd'hui qu'à une chose : revenir chez lui dans le Kentucky (un autre nulle part rendu célèbre par...euh, personne en fait ! A part les machins frits qui ont un lointain rapport avec des poulets et Randy Newman, mais il est trop confidentiel pour que ça compte) et y couler une vie paisible.
Son chemin va d'abord le ramener en Corée encore et encore, malgré lui, puisqu'il doit à nouveau forcer sa nature en ramenant à la raison un conducteur trop désireux d'en faire un copain de beuverie.
Mais sa route prend un tour définitif quand, comme les Beach Boys, il va croiser Rhonda. Elle est de retour du cimetière où elle a enterré son père. Elle n'a que 15 ans, mais ça ne semble pas émouvoir (enfin, si, mais dans un autre sens), son oncle qui l'accompagne et a sa définition personnelle de la levée du corps. Tucker s'interpose violemment et s'enfuit avec Rhonda qui choisit de le suivre.
Dix années ont passé. Tucker a épousé Rhonda et ils ont déjà une grande famille, hélas amochée, les enfants souffrant presque tous de malformations, « chaque espoir de neuf mois s'achevant en désarroi ». Les agents de l'État qui visitent ce pauvre foyer décident de placer les enfants, bien qu'ils ne souffrent ni de violence, ni de négligence. Tucker ne va pas le supporter et se trouver à nouveau, plongé dans la violence.
Avec
Nuits Appalaches,
Chris Offutt nous offre un roman d'une sensibilité étonnante et d'une beauté fragile émouvante.
En dépit de tous les coups du sort, Tucker et Rhonda ne souhaitent que vivre leur amour paisiblement, entouré de leurs enfants et de la nature.
Mais ils sont sans cesse rattrapés par la violence d'un monde qui refuse leur réalité.
Le style d'
Offutt est à l'image de ce couple : pudique, tendre et simple. Chaque scène d'apparence anodine est pourtant une évidence, chaque brin d'herbe, chaque abeille, chaque mouvement de feuillage dessine un univers qui serait celui d'une innocence perdue.
Un très beau roman.