On ne va pas parler ici de bijou littéraire mais plutôt de tentative remarquable de produire un scénario au moment où l'auteur abordait un nouveau genre pour elle dans les années 1980. Cette histoire traduite en français en 2021 aux
Editions Gallimard sous le titre "
Ce n'était que la peste", y trouve son intérêt comme on peut s'en douter en faisant écho à la covid. Cette histoire est vraie, elle s'est passée en 1939 en Union soviétique.
Compte tenu de la diversité des situations et des scènes qui défilent à toute vitesse, on a recours bien souvent aux personnages de début de livre pour se repérer et avoir la clef pour savoir d'où il vient celui-là ! Mais, on s'y fait..
Cela dit, la bête étatique ou totalitaire se réveille lentement dans la forme, place d'abord au pouvoir de la médecine et cet exposé est clair et juste, évidemment agréable à lire. Il est vrai que
Ludmila Oulitskaïa est biologiste de formation !
Mais alors, quand le pouvoir totalitaire décide de passer à la vitesse supérieure, le pouvoir médical devient aux ordres et les chefs locaux des petits chefs qui deviennent même ridicules. L'intérêt du livre ne faiblit pas, grâce à l'artiste, grâce à la connaissance d'un monde que Ludmila rapporte fidèlement. La méthode de mise en quarantaine des gens contaminés procède de l'arrestation, de la réquisition : il est vrai que ce "Personnage haut placé, du NKVD" semble avoir la main exercée dans ce domaine, puisqu'il n'est autre que l'ombre de Staline, son bras droit et géorgien comme lui, l'insigne Béria ! Et là on ne s'amuse plus ! On est à des années lumière de nos états d'âme contemporains français. Mais Ludmila porte un regard implacable sur une situation où l'on sent bien que ne serait-ce qu''une demi-mesure lancée dans l'offensive des hommes en noir serait lourde de conséquence face à cette peste pulmonaire hyper-dangereuse sortie malencontreusement d'une expérience de laboratoire à huit-cents kilomètres de Moscou !..
Pour le lecteur qui ne connaîtrait pas le dénouement de cette affaire, les dernières paragraphes sont haletants et la situation peut se renverser pour un rien. La fuite de la députée turkmène est bien sûr notable (*), un moment de panique est palpable chez les soviets, mais ..
Chez un couple de protagonistes, nous précise l'auteur, on s'agite encore sur l'idée que dans la pièce d'â côté dort un jeune couple dont leur propre fille et que la cloison qui les sépare paraît bien mince pour une pudeur minimum .. mais en plus chez les russes, on ne ferme pas les portes intérieures..
"Une ambulance remonte la rue Pétrovska (à Moscou), longe le monastère Pétrovski .." A bord, le chercheur par lequel cet épisode de 1939 est arrivé est conduit aux urgences de l'hôpital Catherine, infecté .. Il fait froid, les gens sont frigorifiés en cet hiver 1939, la neige tombe ..
Il est fort probable que dans ma lecture du même jour de cet extrait, ces noms de rue et de site ne m'auraient pas parlé si je ne venais de les visiter à l'instant même, je puis assurer que la rue Pétrovska monte !..
Ludmila a tout d'une grande, d'ailleurs ses pairs la jugent comme la grande prosatrice russe contemporaine.
(*) On sent poindre comme une complicité patriote au moment où la députée turkmène arrive à regagner son propre pays. Mais Staline et Béria n'en ont cure de cela, avec les délateurs qui pullulent de partout, et quand bien même ça ne suffirait pas, on déplace carrément des peuples chez les soviets !.. Béria à la différence de Staline verra cela avec lucidité et que le totalitarisme avait ses propres limites .. C'est la force de ce court récit de 130 pages où tout est fortement induit finalement avec des invitations de lectures intéressantes, notamment sur Béria un peu déformé, caricaturé par les historiens de tout poil : on finirait par croire qu'un peu de dictature sanitaire dans notre pays France d'aujourd'hui ne ferait pas de mal, il faut savoir ce que l'on veut !..