A la mort de sa grand-mère Maroussia, en 1975, Nora découvre chez elle une malle en osier pleine de lettres et de journaux intimes. Mais elle vient d'accoucher de Yourik et c'est seulement des années plus tard qu'elle prend le temps de se plonger dans ces documents.
Ils lui révèlent, au-delà de ce qu'elle pouvait déjà en connaître, ce que fut vraiment la vie de ses grands-parents, Maroussia et Jacob. le lecteur va la découvrir à son tour, ainsi que celle d'autres membres de sa famille, en même temps qu'il suit le parcours de Nora elle-même : le tout brosse une fresque familiale se déployant dans la Russie des années 1900 à nos jours …
On suit une constellation de personnages gravitant autour de l'histoire personnelle de Nora, présente ou passée, au sein de différentes lignes temporelles et en sautant de l'une à l'autre, ce qui donne une belle dynamique au récit. Aucun risque de s'y perdre car les chapitres indiquent précisément les lieux et dates et un arbre généalogique au début du roman permet de situer chacun. Pas non plus de côté mécanique ou frustrant dans la construction du récit, comme cela peut arriver dans certains romans, où on a envie de négliger un fil pour en retrouver un autre, car l'ensemble est fluide et on est curieux de tous, d'autant qu'on se demande quel sera sur chacun l'impact des événements dont on sait qu'ils vont arriver (révolution d'octobre 1917, première et seconde guerres mondiales, pour ne citer qu'eux). Et si tension narrative il y a, j'entends par là envie de poursuivre le voyage en compagnie de ceux qui le vivent, c'est la tension de la vie, c'est tout et c'est bien.
Le ton chaleureux du récit m'a immédiatement séduite, autant que son écriture enlevée et aucun des personnages ne m'a laissée indifférente. J'ai été touchée par les petites et grandes choses de leur quotidien (où les appartements sont souvent réduits à une seule pièce), émue par leurs passions (l'histoire d'amour entre Maroussia et Jacob, en particulier) et leurs tourments (Nora voulant éviter la conscription à Yourik pour qu'il ne participe pas aux guerres russes, par exemple).
Nora est scénographe, son existence est centrée sur le théâtre et le processus créatif aboutissant à la mise en scène, toujours novatrice car elle est foncièrement anticonformiste, des pièces dont elle se charge est à chaque fois décrit d'une manière piquant l'intérêt . Mais il faut dire que le roman tout entier se déploie dans un paysage où la culture, représentée avant tout par les livres, tient un rôle de premier plan pour les divers protagonistes, Jacob en premier lieu, dont la soif de connaissances et le besoin de les transmettre semble inextinguible. Et si la culture russe est au coeur des pages, il y aura aussi une incursion dans le New York underground des années 70.
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L'échelle de Jacob » est un roman, partiellement épistolaire, basé sur l'histoire de la famille de l'autrice, Ludmilla Oulitskaïa (c'est d'ailleurs une photo de Maroussia en danseuse dans la mouvance d'
Isadora Duncan qui figure sur la couverture du livre) : comme Nora, elle a récupéré une importante quantité de documents la concernant, elle en utilise certains en les intégrant dans le livre et a comblé les blancs grâce à la fiction.
Au travers de tous les personnages et de ce qu'ils ont vécu et affronté, se heurtant parfois à l'histoire de leur propre pays, le roman pose la question de notre capacité à façonner le monde ou, à défaut, de nous adapter à ses contingences ou exigences, voire d'être forgé et/ou remanié par la société qui nous entoure. «
L'échelle de Jacob » conte ainsi des histoires russes, échos de l'histoire de la Russie, mais peut aussi interpeller chacun de nous, susceptible d'y retrouver ses propres questionnements.
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