« Je suis un écrivain cubain qui vit et écrit à Cuba parce que je ne peux ni ne veux être autre chose, et que (malgré les difficultés les plus diverses, j'insiste) j'ai besoin de Cuba pour vivre et écrire….C'est aussi simple que ça. », répond Leonardo Padura , aux divers questions incessantes du public sur les motivations du pourquoi il vit et écrit à Cuba. Pourtant une des constantes de la littérature cubaine est l'exil et nombreux sont ses poètes et écrivains qui vécurent à l'étranger, mais toujours poursuivis par l'Ile dans leurs pérégrinations .
Padura le définit en ces termes amères ,”Plus que dramatique, l'appartenance est tragique : à l'intérieur, c'est la sensation d'enfermement ; dehors, le fléau de la nostalgie. Pour beaucoup, le moyen terme n'existe pas.”
Padura aime cette île qui vit dans un quotidien difficile avec ses éternels espoirs déçus et ses perpétuelles angoisses. Un amour qu'il nous transmet à travers sa musique de pacotille, son marché régit aux lois de la jungle, son sport national le plus prisé “le dolce farniente”, son addiction au base-ball , la pelota, « Je crois qu'aucune autre activité sociale et populaire – sauf, peut-être, la musique – n'a exercé une influence aussi considérable sur la vie culturelle et matérielle cubaine, sur la formation de l'identité et sur l'éducation sentimentale de tant de gens nés sur cette île de la Caraïbe » . Quand aux espoirs déçues et les perpétuelles angoissent, ils sont illustrés à travers de nombreuses références aux auteurs cubains et à ses propres livres dans le contexte de l'histoire politique chaotique du pays dont l'échec strident de son communisme utopique, qui n'aurait finalement apporté qu'une corruption très répandue, une improductivité enfin révélée dans toute son ampleur, contre une perte de valeur du travail et des principes éthiques les plus élémentaires qui rongent comme un fléau la société qui aurait dû être l'avenir du pays . Il semble que cet échec et les conditions de survis qui en découlèrent fut la source de la grave blessure portée à la spiritualité nationale, gommant ses repères essentiels et constitutifs.
Padura avec ce livre donne une image, plutôt ses propres images « d'insider » de son pays, une île dont l'importance et la renommé semblent en apparence, surfaites. Ayant fait le tour de l'île en 2016 en quelques semaines , je suis rentrée terriblement déçue. Je n'y ai décelé que misère, pire qu'en Amérique du Sud. Une mendicité répandue dans la rue pour des denrées de base comme le savon, la liberté d'expression inexistante d'après notre guide cubain, diplômé de sciences politiques, qui faute de travail exerce un métier « alternatif », culturellement des points d'attraction pour touristes limités aux reliques de la Révolution, de Fidel , de
Hemingway et une « musique de pacotille, répétitive, aux paroles agressives et grossières », les paroles même de Padura. Des couleurs délabrés, des grosses américaines décapotables à La Havane qu'il faut négocier à des prix exorbitants même en dollar pour quelques tours sur le Malecon, magasins d'alimentation et librairies aux produits et livres aux quantités d'une maigreur drastique, sans choix pour les premiers, et une prostitution effroyable sans aucune pudeur. le fait que les études gratuites soient excellentes et le système sanitaire « parfait » ( ??? Padura précise qu'en cas de besoin sanitaire, avoir recours à un pote dans le système est nécessaire ) , ne sert pas à grand chose vu qu'il n'y a pas de travail, et les gens ne mangent pas à leur faim ou mangent mal. Padura ne renie aucunes de ces constatations et contradictions , de plus il est peu élogieux pour ses compatriotes (« nous avons réussi à produire des fils de putes en quantités industrielles »), et acquiesce « que Cuba supporte le poids de sa démesure ». Un pays qui a dû affronter un destin qui en a fait un espace plus grand que son territoire, victime de l'Histoire qui l'a choisi pour être au centre de quelques-uns des débats universels les plus importants, aux pointures trop grandes pour le petit pays qu'il est. Mais l'amour et la fidélité de Padura à son pays et son talent d'écrivain convainquent que Cuba a dans son fond une forte identité que l'écrivain en fera justement le fond de l'ensemble de son oeuvre, et c'est la suite de cette compilations d'essais passionnants , les coulisses de ses livres où il raconte en détail le processus de création littéraire de quelques uns d'entre eux. Et là je suis à terre, moi qui n'ai lu qu'un seul livre de lui, j'ai hâte d'aborder «
L'homme qui aimait les chiens » , déjà dans ma PAL, et tous les autres. Un livre à ne pas manquer pour tous les aficionados de Padura et de Cuba et bien sûr pour toutes les curieuses ET les curieux !
“La maudite circonstance de l'eau de toutes parts.”
Virgilio Piñera
Un grand merci aux éditions Métailié et NetGalley pour l'envoie de ce livre.
#LEaudetoutesparts #NetGalleyFrance