En 1939,
Marcel Pagnol écrit ce scénario sans plus passer par la case théâtre : producteur, propriétaire de ses propres studios, il sait qu'il pourra le faire tourner directement. le synopsis s'ancre à la fois dans l'air de son temps, à l'événement près et témoigne autant qu'il s'efforce de le rendre performatif, de l'évolution des mentalités, de la nécessité de s'unir, de faire famille, de faire nation. En 1940, date de la sortie du film, les personnages écoutent pieusement le message du général Pétain, couvert quelques années plus tard, par la bande-son du général
De Gaulle et par son appel du 18 juin...
Au fond d'un puits des collines provençales, entre Lançon et Salon-de-Provence, on trouve un immigré italien, Pascal
Amoretti, et espagnol, Félipe, qui a fréquenté l'école communale aux côté de
Jacques Mazel, jeune bourgeois, descendant de paysans enrichis, comme beaucoup des bourgeois salonais. Ce dernier est toutefois devenu officier à l'Ecole de l'armée de l'air. Sans le savoir, ils sont destinés à être rivaux auprès de Patricia, fille de Pascal. Cette dernière est une "princesse" : élevée à Paris, pensionnaire chez les soeurs, elle a l'accent pointu, le sens de l'élégance et des manières chic. Elle garde toutefois un coeur simple, un mélange de fierté et d'humilité sociale, commun chez les déclassés, et les préjugés moraux et sexistes propres à ceux qui ont de la religion et leur honneur pour toute richesse. Félipe n'intéresse guère Patricia qui va se prendre d'une passion si dévorante pour Jacques que malgré toutes ses peurs, ses réticences et malgré même l'âpre sincérité de Jacques qui lui confesse ses premières intentions légères, par estime tardive, elle accepte d'aller au bout de son attirance et de ses conséquences... Or Jacques est mobilisé le soir même et ne pourra se rendre à leur rendez-vous du lendemain...
C'est un récit étonnant que je redécouvre avec admiration, même s'il a coûté sa réputation posthume à
Pagnol, ce qui me vaut d'interminables disputes avec ceux qui tiennent à ce qu'il ait été pétainiste et qui ne veulent pas entendre que
Pagnol a fermé ses studios de cinéma pendant l'Occupation pour ne pas avoir, justement, à faire de films de propagande, celui-ci ayant "glissé" avec les meilleures intentions du monde, et peut-être en a-t-il été conscient trop tard.
C'est en réalité, comme je l'ai écrit plus haut un récit qui illustre le concept de transition et on ne peut pas en vouloir à
Pagnol, en 40, de s'imaginer qu'il s'agirait d'une Occupation dénuée de toute la phraséologie démoniaque dont on la pare de nos jours. La représentation des familles françaises y subit une translation qui, j'en jurerais, a été perçue comme audacieuse à l'époque : comme dans les comédies de Ménandre, la mixité sociale par le mariage y est promue, les Mazel et les
Amoretti vont se fondre, Jacques et Félipe seront beaux-frères, même la profession de Jacques va se mâtiner d'un retour à la terre qui ne sera pas tout à fait régression sociale mais progrès de la technologie et de la science.
Pagnol plaide également pour le pardon, la réconciliation, l'amour inconditionnel. Cela donne lieu à des passages d'une tendresse comique ou pathétique où l'on voit Pascal en proie aux tourments de ce que lui dicte son coeur (continuer à manifester à sa fille bien-aimée et estimée tout l'amour et toute l'estime qu'il continue à ressentir pour elle malgré sa "faute") et les idées reçues sur la dureté, l'éviction de ceux qui ont terni l'honneur familial. Patricia, elle, donne l'exemple de rester fidèle à ses sentiments premiers pour Jacques, alors même que les apparences en font un parfait galapiat, pour pouvoir élever l'enfant dans une piété familiale intacte, sans esprit de revanche mais avec beaucoup de bons sens et d'exigences ensuite. L'union, l'extension des liens, l'ouverture sont des thèmes traités d'une façon audacieuse, et les relents d'arriération ne parcourent les répliques que pour mieux justifier l'appel d'air des contre-arguments et du dénouement qui leur donnent tort.
Lien :
http://aufildesimages.canalb..