Magnifique !
Je commençais pourtant ce petit livre avec une certaine appréhension car, autant j'aime bien aller au théâtre (et nous y allions régulièrement, avec mon mari, avant l'apparition des enfants… puis du covid), autant je n'aime pas du tout lire le texte d'une quelconque pièce dans un livre, comme si les mots destinés à la scène s'y trouvaient « enfermés ». Mais voilà : ce cher
Marius pouvait compléter l'une ou l'autre consigne des différents challenges auxquels je participe, alors je me suis lancée.
Le début de ma lecture, aisée d'emblée, m'a transportée dans un mélange assez improbable : bribes de souvenirs d'enfance, car je suis certaine de n'avoir jamais vu cette pièce en particulier au théâtre, mais sans doute ai-je bien vu une quelconque rediffusion du film (de 1931 quand même !) ou peut-être celui de 2013 ? à la télévision ; et atmosphère qui m'a rappelé d'autres films ou émissions télé, que ce soit l'un ou l'autre film de Fernandel à l'enfance (car ma maman aimait beaucoup cet acteur) ou « Plus belle la vie », série que j'ai suivie non pas depuis le début, mais avec assiduité pendant plusieurs années, avant de m'en désintéresser, tout récemment, du jour au lendemain, sans raison particulière pourtant.
Et puis peu à peu ce petit livre a continué de faire son oeuvre et de me faire quitter même ce mélange de références rassurantes, pour entrer de plein pied dans une histoire certes dramatique, mais tellement, merveilleusement contée qu'on ne peut plus lâcher un seul instant ! Et tout en le lisant, on entend réellement les personnages parler, avec cet accent marseillais chantant si typique (et connu internationalement je crois, re-merci à Fernandel et à Michel Cordes – le fameux Roland de PBLV) ; on entend le vent siffler dans les hunes et les cordages claquer contre les mâts, on entendrait même le clapotis de l'eau toute proche…
Oh ! certains aspects du texte sont désormais désuets – pour ne citer qu'un exemple : on comprend qu'il était normal dans les années 1920, voire attendrissant, qu'un jeune homme ait une maîtresse en ville ; mais si une jeune fille d'à peu près le même âge se permettait la moindre incartade à sa vertu, hop il fallait la marier au plus vite ou c'était le déshonneur assuré ! Cette vision de la (jeune) femme n'est plus acceptable de nos jours, du moins dans nos pays (et encore !), mais au moins ça permet de constater le chemin parcouru en presque 100 ans, ce n'est pas rien !
Mais surtout, cette pièce est un mélange incroyablement réussi de drame et de comédie. Drame, je préciserai toutefois que je n'y ai pas vu le « triangle amoureux » que certains soulèvent… ou alors la mer est une maîtresse féroce avant même qu'on l'ait prise ! Car le triangle est bien là :
Fanny aime
Marius, et
Marius aime
Fanny, mais il aime la mer plus encore, et vu le contexte de l'époque (on naviguait encore à voile, même vers de lointaines destinations !), ces deux amours-là sont incompatibles… Dans ce contexte, le personnage de Panisse n'est, à mon sens, qu'un élément assez secondaire, qui offre une potentielle porte de sortie à
Fanny (même si ça ne se conclut pas dans ce livre-ci, il faudra que je me lance dans la suite de la trilogie très vite !) mais n'entre pas réellement dans le triangle ; en revanche, il participe avec brio à tout l'aspect « comédie ».
C'est que, en lisant cette pièce, on rit beaucoup ! Il y a des moments d'anthologie, comme par exemple les différents « tiers » d'un mandarin-citron-curaçao – j'ai relu ce passage plusieurs fois tellement j'étais pliée de rire ! le jeu de cartes m'a moins touchée ; cependant, il dénote, comme tant d'autres passages dans ce livre, de l'extraordinaire maîtrise de la langue et du dialogue de
Marcel Pagnol. Maîtrise de la langue, car tout est poétique dans cette histoire ; tout est dit et touche à des sentiments universels et profonds, à travers le format pourtant très restrictif que représente une pièce de théâtre à l'écrit – le jeu des acteurs fera le reste, mais ici, on a ce « reste » même sans voir la pièce sur scène !
Et sens du dialogue, car pas un seul instant, pas une seule réplique ne paraît artificielle, mal placée, trop ampoulée ou au contraire trop simple ! Chaque personnage a son registre de langage, chacun tient son rôle à travers quelques mots d'une langue tout à fait accessible, et qui vont pourtant jusqu'au coeur du lecteur. Et ça va même plus loin :
Marcel Pagnol s'est permis quelques déformations de mots (pour imiter l'accent… ou la non-connaissance de l'anglais par exemple), ou quelques passages dans le patois local (je suppose) que l'éditeur n'a pas jugé utile de « traduire »… et pourtant, même pour moi qui vis aux antipodes de Marseille, ça passe, c'est compréhensible, d'ailleurs ça participe à l'effet « exotique » mais tout à la fois tellement proche de chacun de nous, de ce livre inclassable et intemporel malgré ses quelques aspects désuets.
Un enchantement !