On oublie souvent qu'avant d'être un film inoubliable «
Marius » a été une pièce de théâtre, créée en 1929 par les mêmes interprètes. La distribution de départ devait être différente : Raimu était bien pressenti, mais pour le rôle de Panisse. Les rôles de
Marius et Fanny auraient dû être joués par Victor Francen et Gaby Morlay, mais ils n'auraient pas tenu « l'assent » tout le long de la pièce. Pierre Blanchar, sollicité, n'étant pas libre,
Pagnol prit le risque de faire appel à Pierre Fresnay, immense acteur, mais plutôt éloigné du type marseillais de
Marius. Mais à force de travail, Fresnay fit un
Marius inoubliable. Quant à
Orane Demazis, compagne de l'auteur à l'époque, elle trouva naturellement sa place. Charpin accepta d'être engagé, mais à la seule condition d'avoir le rôle de Panisse.
Pagnol accepta et se gratta la tête en se demandant comment Raimu allait le prendre. Mais celui-ci prit les devants et dit que finalement il se verrait mieux en en
César qu'en Panisse.
L'histoire est connue de tout le monde, et dans tout le monde : le Bar de la Marine, tenu par
César et son fils
Marius, a ses clients privilégiés : Panisse, Escartefigue, Monsieur Brun et Innocent Mangiapan le chauffeur du ferriboite. Non loin de là, Honorine et sa fille
Fanny vendent les coquillages.
Marius aime
Fanny,
Fanny aime
Marius, mais
Marius a, chevillée au corps, l'envie de partir en mer. Au petit matin, le bateau « la Malaisie » a un marin de plus, et le Bar de la marine, un garçon de moins.
Fanny reste seule. le patron du Bar,
César, le père de
Marius, et ses amis Panisse, qui a demandé la main de
Fanny, Escartefigue, Monsieur Brun et le chauffeur, ainsi qu'Honorine, vont devoir faire face à la situation.
Pagnol a ceci de particulier c'est que chez lui, la forme et le fond, tout en étant complémentaires, sont toujours en équilibre instable : il n'en faudrait pas beaucoup pour tomber soit dans la plus truculente des galéjades, soit dans la plus noire des tragédies. Il faut un talent fou à l'auteur pour maintenir cet équilibre entre un texte coloré, sensuel, charnel, un langage non seulement parlé mais vécu, et une situation qui peut à tout moment basculer dans le mélodrame et peut-être même le drame passionnel. Car les esprits s'échauffent vite, et il y a de la violence latente chez ces personnages dont la sensibilité est à fleur de peau. Il faut également un talent fou aux acteurs pour suivre l'auteur sur ce terrain : chacun des personnages a une personnalité propre, extravertie ou intravertie, capable de s'épanouir dans la bonne humeur, comme de sombrer dans la tristesse ou d'éclater dans la colère. Chez
Pagnol, il faut une sensibilité extrêmement affinée pour saisir la vérité de ces personnages, et surtout « jouer juste », sans faire d'excès ni dans un sens ni dans l'autre, au risque d'enlever tout le sel de la pièce, ou même de la dénaturer. Voilà pourquoi, «
Marius » est un chef-d'oeuvre : c'est la rencontre entre un auteur, son oeuvre, ses acteurs et son public.
Et puis «
Marius » c'est la création d'un mythe : la Provence de
Pagnol. Moins intemporelle que celle de Daudet, plus souriante que celle de
Giono, cette Provence-là est plus moderne, c'est la Provence de la ville, et profondément humaine (on comprend tout ce que le merveilleux réalisateur
Robert Guédiguian doit à
Pagnol). Les personnages appellent l'empathie, parce qu'ils nous ressemblent et parce qu'ils brassent des sentiments que nous connaissons, des situations que nous avons vécues ou que nous pourrions vivre, et la générosité, l'humanité dans lesquelles baigne la pièce, portent en elles une puissance d'émotion considérable. Certains ont reproché à l'auteur d'avoir insisté sur le côté folklorique, le côté carte postale, pour donner à la pièce une couleur locale à nulle autre pareille. de ce côté-là, on peut dire que c'est réussi, mais je doute que ce soit dans ce but que la pièce a été écrite. N'est-ce pas plutôt pour
Pagnol un hommage appuyé à son pays natal, et de plus à ses comédiens qui le représentent si bien ?
Té, on va se le revisionner le
Marius, en sirotant un pastis, peuchère ! Oh, monsieur Brun, gardez-nous quelques olives, on arrive !
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