Que dire de ce livre, de cette somme foisonnante de vie ?
«
Cette chose étrange en moi » est un peu ce que tout un chacun peut porter en soi : le mystère d'un lieu, de son lieu, de celui d'où l'on vient, de celui où l'on vit, grandit, mûrit.
Orhan Pamuk s'est lancé dans ce qu'on pourrait appeler soit une fresque soit un roman chorale soit un genre un peu particulier qui tiendrait des deux à la fois dans la mesure où il passe par l'un, le roman chorale mêlant un grand nombre de personnages et un grand nombre de voix, pour mieux construire le second, l'histoire d'une ville, Istanbul, aux mille facettes, tour à tour virevoltante, angoissante, turbulente, dangereuse, épanouissante, truculente, triste, joyeuse, expansive ou introvertie.
Sous la plume d'
Orhan Pamuk, Istanbul devient le miroir de la vie, la scène sur laquelle celle-ci se développe, et ses habitants en sont alors tout naturellement les acteurs et le lecteur devient spectateur et témoin.
A partir d'un personnage central, Mevlut, vendeur ambulant de yaourts et de boza (boisson alcoolisée typiquement stambouliote),
Orhan Pamuk retrace la vie d'une famille et l'histoire de la construction d'une Istanbul contemporaine des années 1960 à nos jours. Les deux récits s'entremêlent et c'est tout naturellement que Mevlut est emmener dans le tourbillon stambouliote même si lui-même, et le récit d'
Orhan Pamuk en est un fidèle reflet, s'inscrit dans un temps plus long, plus lent. le tempo de Mevlut n'est pas le même que la bouillonnante citée turque et le récit d'
Orhan Pamuk prend son temps pour planter son décor et ses personnages, surtout ses personnages.
Le récit commence ainsi par l'enlèvement, par Mevlut, de sa future épouse pour mieux ensuite repartir de sa jeunesse et égrainer sa vie pour revenir, au bout de plus de 200 pages, à cet enlèvement. Cette partie, sorte d'introduction lancinante, peut paraitre déroutante tant elle s'attache aux personnages qui fondent l'histoire d'
Orhan Pamuk. Mais l'auteur turc en a besoin pour que son livre maison prennent possession du lecteur, tout comme Mevlut et son père, et tant d'autres avec eux, ont pris possession des terrains autour d'Istanbul, y installant leur maison en une nuit pour ne plus pouvoir être délogé. le livre d'
Orhan Pamuk demande un peu plus d'une nuit pour prendre possession de son lecteur.
Orhan Pamuk dresse un portrait de ville à travers celui d'un personnage sous forme de procès d'intention et dont la voix du narrateur serait l'avocat ou le porte-parole, entrecoupée de témoignages plus ou moins directs de la famille de Mevlut, de ses amis, de personnes qui auraient pu gravité dans sa sphère intime. La structure du livre se veut ainsi créer une dynamique entre un récit à la troisième personne, celui du narrateur parlant de Mevlut et donc d'Istanbul, et des coupures, toujours assez courtes, exprimées par les intéressés directement à la première personne.
Mais le style d'
Orhan Pamuk, pour autant qu'il justifie le prix Nobel reçu, n'est pas d'une lecture fluide. Est-ce propre à son style ? Est-ce lié au côté gargantuesque de son récit aux multiples événements et personnages ? Toujours est-il que cette petite difficulté fait toute la différence entre un livre passionnant qu'on dévore et un livre particulièrement intéressant et instructif mais qui nécessite une attention de tous les mots.
Ce livre est donc exigeant mais mérite, pour ceux qui s'intéressent à l'histoire récente d'Istanbul, la ballade à entreprendre dans ses rues en compagnie de Mevlut, de ses cousins, de ses amis, de sa famille car après tout, ce n'est pas le but qui importe mais le chemin emprunté pour y arriver et Dieu que les rues et ruelles d'Istanbul recèlent de tours et détours.