Paris, comme vous ne l'avez jamais lu ...
A l'heure des Marches pour le climat, dans cette époque de la dématérialisation inflexible et dégommant tout sur son passage, on nous abreuve qu'il faut vivre avec son temps, justement parlons-en de ce temps qui sévit sur Paris dans ce thriller décapant,
En Apnée de
Sylvain Pavlowski, des pluies diluviennes s'abattent sur les toits de la capitale française, est-ce un signe qu'il serait peut-être venu le temps de la réflexion, de la pause face à la déferlante du résultat immédiat, du service fait à peine la demande envoyée, de la statistique, de ces ambitions politiques louchant sur l'intérêt collectif au bénéfice de la réussite individuelle, s'il existe bien des plans sur la comète, une chose est sûre, la réalité devrait peut-être se nourrir de la fiction pour avancer plus intelligemment, de prévoir mieux plutôt que de guérir un mal déjà bien avancé, est-il peut-être trop tard pour laisser à la prochaine génération un héritage des plus lourds et inextricables à supporter ?
Après
La Menace Blackstone et
Croyances de Sang, l'auteur ne déroge pas à la volonté de ses appréhensions, décrire sa vision d'un monde en proie à toutes les incertitudes, de ces machines humaines et virtuelles à broyer le reste d'une humanité en perdition, dans le chaos et les mutations incessantes du monde, il existe des dangers visibles mais ce qui préoccupe surtout son objectif, c'est la partie cachée de l'iceberg, ma grand-mère avait coutume de dire "Le progrès c'est la destruction", comme une belle métaphore d'une réalité qui nous échappe un peu plus chaque jour, l'inquiétude du lendemain, l'insécurité grandissante qui déstabilise et ronge les acquis, entre la dramatique crue de la Ville Lumière et le destin individuel,
En Apnée ne manque pas d'atouts pour percuter la conscience tout en prenant un plaisir certain à plonger dans un thriller édifiant.
Flux et reflux ...
Quand la belle couverture signée Brian Merrant fait succéder les premières lignes, le ton est rapidement donné, la plume a encore gagné d'un cran, terrible description d'un scénario catastrophe, tout y est pour ressentir l'angoisse se développer et le malaise s'installer, inexorablement à l'image de cette Seine qui n'en a que faire des turpitudes de certains décisionnaires, le thriller peut tout se permettre et s'il est un genre en pleine expansion, l'ambiance se suffit à elle-même pour en ressentir des sueurs froides, il n'est pas préjudiciable de commencer par ce troisième opus des enquêtes du Commandant Pauline Rougier, l'écriture est tranchante comme la lame d'un scalpel, retrouver des personnages c'est comme le chant de la nostalgie, le passé vous rattrape toujours, le prisme du quotidien se mue de toutes les couleurs possibles, bonheur éphémère ou vision pessimiste, c'est le jeu des vases communicants, des zones fragilisées peut ressortir de nouvelles ondes d'espoir, les chapitres sont cadencés au rythme de la montée des eaux, dangereuse tentation de défier Mère Nature, pour beaucoup ce qui s'apparente à un challenge excitant de pénétrer dans les coulisses d'un combat titanesque, une nouvelle forme de guerre peut en cacher une autre.
Lumière, où es-tu ?
Une fois de plus, bluffé par la connaissance de l'auteur à dévoiler des enjeux majeurs, lire en apprenant reste un moment privilégié pour le lecteur, comprendre l'état du monde dans le viseur d'une lunette stroboscopique, à petite ou grande échelle, que ce soit dans le secret d'un monde souterrain ou dans la quête obsessionnelle d'un homme face à sa déchéance morale, triste et banal regard qui en dit plus long que de long discours assommants, il ne suffit pas de digresser en exposant des connaissances à faire endormir même les plus alertes, se fondre et confondre dans la masse d'informations pour tisser une intrigue palpitante, courtes mais efficaces séquences d'action entremêlées d'instants plus intimes, précaire équilibre dans la construction habile et évitant d'égarer ses personnages dans plusieurs directions à la fois, je confirme aujourd'hui que la plume sait alterner prises directes sur le monde qui nous entoure et d'échafauder une fiction des plus plausibles, l'enquête d'un célèbre financier pourrait presque paraître anecdotique dans cette terre ravagée par les caprices météorologiques sauf que ...
Paris je pleure ...
Une progression tangible depuis son premier roman, j'apprécie cette propension d'un auteur à gagner ses lettres de noblesse supplémentaire à chaque nouvelle publication, à faire sortir le lecteur de son confort de lecture pour le placer devant une forme d'impuissance des éléments perturbateurs, une atmosphère à laquelle j'ai littéralement accrochée, j'imaginais facilement la peur suinter, sentir les relents nauséabonds des bouches d'égout, sentir la caresse des larmes venues du ciel, la cohérence de l'ensemble est un facteur déterminant d'un thriller immersif, sans faille quitte à sacrifier sur l'autel de la rédemption, un point commun vient cristalliser le déluge dans sa déferlante, c'est l'isolement social, on vient au monde seul et la mort n'est pas si différente, la seule question qui taraude tout un chacun est quand et où ?
Paris, je t'aime ...
Où le constat impitoyable suit les méandres d'êtres aux portes de l'enfer, le profit aveugle l'essentiel, les dérives sociétales sont magistralement explorées par le miroir complexe et sans filet de protection,
En Apnée fait souffrir ses personnages et le lecteur aussi, le souffle manque parfois et le titre éponyme ne ment pas, les étoiles peuvent briller haut dans le ciel, il n'en demeure pas moins que les risques de disparaître à jamais sonnent comme le glas d'une humanité en perte de références, pour autant quelques touches d'espoir et d'humour viennent alléger le fardeau et insuffler un petite note d'espoir.
Peut-être l'humanité a-t-elle encore quelques raisons de lutter contre l'infamie et la fatalité ?
Je remercie
Sylvain Pavlowski pour sa confiance de m'avoir proposé cet impressionnant voyage au bord de l'abîme, dans ces profondeurs insondables révélant l'indomptable nature qui tient peut-être sa revanche sur l'humanité mais surtout le cruel déclin des valeurs fondamentales, pour combien de temps encore avant qu'il ne soit définitivement trop tard ...
En attendant, c'est peut être Ici Paris pour reprendre le slogan des supporters du PSG mais la Seine a encore gagné quelques centimètre de plus le temps d'écrire ces lignes, au nouveau siège du 36 Quai des Orfèvres désormais sis Rue du Bastion, Pauline Rougier et toute l'équipe de la Brigade criminelle a encore du pain sur la planche avant qu'elles ne se trouvent ...
en apnée !