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Citations sur Oeuvres Poétiques (166)

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Extrait 11

Stupéfaite à la cime de l’instant,
la chair se fait verbe – et le verbe se précipite.
Se savoir banni sur terre, étant soi-même terre,
c’est se savoir mortel. Secret archiconnu
et aussi secret vide, sans rien à l’intérieur.
Les morts n’existent pas, seulement la mort, notre mère.
L’Aztèque le savait, le Grec le pressentait :
l’eau est feu et pendant le parcours
nous autres ne sommes que feu de paille.
La mort est la mère des formes...
Le son, bâton d’aveugle du sens :
j’écris la mort et je vis en elle
un instant. J’habite ce son :
cube pneumatique transparent,
il vibre sur cette page,
disparaît dans ses échos.
Paysages de mots :
mes yeux les dépeuplent rien qu’à les lire.
Peu importe : mes oreilles les propagent.
Ils resurgissent là-bas, dans les zones indécises
du langage, villages lacustres.
Ce sont des créatures amphibies, ce sont des mots.
Ils passent d’un élément à un autre,
Ils se baignent dans le feu, reposent dans l’air.
Ils sont de l’autre côté. Je ne les entends pas : que disent-ils ?
Ils ne disent rien : ils parlent, parlent.


/Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
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Extrait 10 ter

[…]

Pendant que la maison tombait en ruines
Je grandissais. Je fus (je suis) herbe, broussailles,
parmi d’anonymes décombres.
                                               Jours
comme un front dégagé, comme un livre ouvert.
Je ne fus pas multiplié par les miroirs
envieux qui transforment
en choses les hommes, en nombre les choses :
ni commandement ni profit. Non plus la sainteté :
le ciel fut bientôt pour moi un ciel
désert, une splendeur creuse
et adorable. Présence suffisante,
changeante : le temps et ses épiphanies.
Dieu ne me parla pas à travers les nuées ;
entre les feuilles du figuier
le corps me parla, les corps de mon corps.
Incarnations d’un instant :
soir lavé par la pluie
lumière qui vient de sortir de l’eau,
l’haleine femelle des plantes,
peau à ma peau collée : succube !
– comme si à la fin le temps coïncidait
avec lui-même et moi avec lui,
comme si le temps et ses deux temps
étaient un seul temps
qui déjà ne serait plus durée, un temps
où c’est toujours maintenant et à chaque heure toujours,
comme si moi et mon double étaient un
et que moi, déjà, je n’étais plus.
Grenade de l’heure : j’ai bu le soleil, j’ai mangé le temps.
Des doigts de lumière ouvraient les feuillages.
Vrombissement d’abeilles dans mon sang :
l’avènement blanc.
La décharge me projeta
sur la rive la plus solitaire. Je fus un étranger
entre les vastes ruines du soir.
Vierge abstrait : j’ai parlé avec moi,
je fus dédoublé, le temps se brisa.


/Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
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Extrait 10

                                          Mes mots,
à parler de la maison, se lézardent.
Chambres et chambres habitées
seulement par leurs fantômes,
seulement par le ressentiment des vieilles gens
habitées. Familles,
élevages de scorpions :
comme aux chiens on donne avec la pâtée
du verre pilé, elles nous alimentent de leurs rancunes
et de la douteuse ambition de devenir quelqu’un.
Elles me donnèrent aussi du pain et aussi du temps,
clairières dans les recoins des jours,
havres pour être seul avec moi.
Enfant parmi les adultes taciturnes
et leurs terribles enfantillages,
enfant parmi les corridors à hautes portes
chambres à portraits,
confréries crépusculaires des absents,
enfant survivant
des miroirs sans mémoire
et de leur peuple de vent :
le temps et ses incarnations
s’achevant en simulacres de reflets.
Chez nous, les morts étaient plus nombreux que les vivants.


/Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
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Extrait 9

                         Vaste demeure,
échouée dans un temps
immobilisé. La place, les arbres immenses
où nichait le soleil, l’église naine
- le clocher leur venait aux genoux,
mais sa double langue de métal
savait réveiller les morts.
Sous les arcades, en faisceaux militaires
les cannes, lances vertes,
fusils de sucre ;
sous le portail, l’échoppe magenta
fraîcheur d’eau dans la pénombre,
les nattes ancestrales, lumière tressée,
et sur le zinc de comptoir,
de minuscules planètes détachées
de l’arbre méridien
les prunes jaunes, les mandarines,
amas dorés de douceur.
Les années tournent sur la place,
roue de sainte Catherine,
et elles ne bougent pas.


/Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
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Extrait 7

                                              Le cortège de l’année
changements qui sont répétitions.
Le pas des heures et leur poids.
L’aube plus que lumière, haleine
de clarté muée en gouttes enceintes
sur les vitres et sur les feuilles :
le monde s’amincit
en d’oscillantes géométries
jusqu’à devenir le bord d’un reflet.
Le jour jaillit, il fuse entre les feuilles,
il tourne sur soi-même
et de la vacance où il se jette,
il émerge, de nouveau incarné.
Le temps est lumière filtrée.
Le fruit noir crève
en efflorescence pourpre ;
la branche brisée laisse sourdre une sève âcre et laiteuse.
Métamorphoses du figuier :
si l’automne le brûle, sa lumière le transfigure.
Dans les espaces limpides
il s’élève vierge noire décharnée.
Le ciel est lapis-lazuli giratoire :
dont les continents tournent au ralenti,
géographies immatérielles.
Flammes parmi la neige des nuages.
Le soir de plus en plus de miel brûlé.
Écroulements silencieux d’horizons :
la lumière se précipite des cimes,
l’obscurité se répand sur la plaine.


/Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
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Extrait 3

L’heure est boule de cristal.
J’entre dans un patio abandonné :
apparition d’un frêne.
Vertes exclamations
du vent dans les branches.
De l’autre côté : le vide.
Cour inachevée, que menacent
l’écriture et ses incertitudes.
J’erre parmi les images d’un œil
sans mémoire. Je suis l’une de ses images.
Le frêne, sinueuse flamme liquide,
est une rumeur qui s’élève
jusqu’à devenir tour parlante.
Jardin déjà maquis : une fièvre y invente des bêtes
que bientôt répètent les mythologies.
Pisé, chaux et durée :
les murs bruns entre être et non-être.
Minuscules prodiges de leurs lézardes :
le champignon fantôme, Mithridate végétal,
le lézard et ses exhalaisons.
Je suis à l’intérieur de l’œil : le puits
où, depuis le commencement, tombe un enfant,
le puits où je compte et raconte
le temps que je mets à tomber depuis le commencement,
le puits du compte de mon conte
par où l’eau monte et par où descend
mon ombre.


/Traduit de l’espagnol par Roger Caillois
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