Tout bon vieux livre qui vient du large possède sa carte marine.
Celui-ci ne fait pas exception.
"La carte marine" est un recueil de neuf nouvelles, écrites par
Edouard Peisson et publiées, en 1939, aux éditions "Grasset".
Un homme se souvient ...
Au temps de leur jeunesse, deux enfants faisaient ensemble face à l'appel du large.
Il voulaient devenir marins-capitaines.
Ils le seraient.
Encore va-t-il leur falloir dérober une barque et posséder une carte pour réaliser ce rêve de gosse qui fera pleurer leurs mères ...
Ce premier texte, qui a donné son titre au recueil, est un peu guindé, un peu artificiel et l'on sent que, même s'il en a été retardé d'une quinzaine de pages, l'appareillage est pour bientôt ...
Encore faudrait-il que "La lettre" arrive jusqu'au Lunéville, ce vieux schooner de cinq mâts fendillés, aux cordages jaunis et à la coque rongée par le sel.
Le lieutenant Blaise a décidé de quitter le bord dès son arrivée à Rouen.
Il attend une lettre ...
Comme le marin qui traîne une dernière fois à terre,
Edouard Peisson s'éternise auprès de ses personnages.
C'est à eux que le recueil est dédié.
Et c'est en s'enfermant dans une chambre d'hôtel pour lire et écrire, qu'à l'approche de l'hiver,
Edouard Peisson va rencontrer Jenny.
Est-elle réelle ? Est-elle un personnage de roman ?
Pour épier cette inconnue de la chambre 401, l'écrivain va mettre de côté ses manuscrits ...
Cette histoire d'attirance et de séduction est déroutante.
Le portrait de cette femme est touchant, et son secret est poignant ...
Une autre femme, Elsa, a les yeux d'une bête traquée.
Du Havre à Marseille, en passant par Dunkerque, elle fuit.
Elle a peur.
Un jour, par lassitude de femme, elle a donné Paul de Bastia ...
Anne-Véronique est la tenancière de l'hôtel-débit-restaurant à l'enseigne du "Singe Vert" à Rouen.
Comme dans la chanson trois capitaines lui font la cour, trois de ces capitaines charbonniers qui naviguent entre la Hague et Lizard.
Un quatrième surgit, norvégien celui-là.
Pour en éviter un autre, son navire s'est écrasé sur le quai ...
Edouard Peisson réalise là une galerie de portraits féminins juste et sensible, un beau moment de littérature presque maritime qui ne s'est pourtant jamais éloignée des côtes de plus de quelques encablures.
L'appareillage est encore remis, le temps de quelques souvenirs.
Sur les quais de Marseille, deux vieux marins se rappellent de "l'Orannais" où l'un d'eux, durant dix ans, a fait ses débuts de navigateur, un tiers matelot, un tiers commis aux écritures et un tiers élève-officier ...
Et le recueil finit par prendre la mer, mais une mer démontée, mauvaise qui a décidé de s'acharner sur le "Saint-Servan", un cargo de la Transocéanique qui a perdu son hélice.
A deux cents milles, sur "l'Arcturus", le capitaine Avit a reçu le télégramme de détresse du capitaine Truchot qu'il a naguère croisé dans d'autres circonstances ...
Ce récit de naufrage a ceci de particulier qu'il est est relaté par radio TSF interposée, et c'est bien la personnalité des deux hommes et leur relation qui volent son premier rôle à l'océan.
Ce recueil de nouvelles d'
Edouard Peisson est un agréable et captivant moment de lecture.
Cependant, il me semble qu'il manque un peu d'ampleur aux textes pour que la lecture ait le temps de s'y arrimer vraiment.
Les peintures de personnages sont splendides.
L'océan ici n'est qu'un décor, parfois même lointain, une sorte de rehausseur de goût qui viendrait épicer les caractères et les situations.
Quelques épilogues, toutefois, sont un peu manqués et pêchent par manque de naturel.
Une fois n'est pas coutume, l'on sent ici derrière le mot d'Édouard Peisson les artifices de la plume de l'écrivain ...