Livre lu dans le cadre de mon défi personnel de lectures 2024, item "compléter mes collections de mes auteurs préférés" et
Daniel PENNAC en fait partie.
C'est avec un grand plaisir que j'ai retrouvé la verve introspective, lucide, souvent ironique et humoristique de cet auteur qui a fait de son handicap d'enfant (sa "cancritude") un tremplin vers la célébrité. Ce qui, il faut en convenir, n'est pas donné à tout le monde. Quoique...
Première chose à noter :
Chagrin d'école n'est pas un roman mais bien à la fois un récit autobiographique, un retour d'expérience sur ce qu'a été son métier de professeur de collège et de lycée et un essai à l'intention des postulants au métier et à ceux déjà en poste pour les aider à mener au mieux leur mission éducative en direction notamment de ceux qui sont laissés au bord du chemin.
Dans
Chagrin d'école,
Daniel Pennac revient, en première partie d'ouvrage, sur ce qu'il a vécu en tant que cancre, tout en tentant d'analyser le pourquoi du comment. En effet, rien ne le prédisposait manifestement à vivre un parcours semé d'embûches pour acquérir les bases des apprentissages scolaires. Une famille aimante, un milieu aisé, des parents disponibles, une ouverture au monde, des frères qui, eux, n'ont eu aucune difficulté... Alors quoi ? Pourquoi le jeune Daniel Pennacchioni, né au Maroc en 1944, était-il si bouché ? Il avance une hypothèse : c'est peut-être la faute à "La poubelle de Djibouti" dans laquelle il s'est retrouvé, un jour, empêtré sans pouvoir en sortir et qui, in fine, lui a valu plusieurs mois de traitement à la pénicilline pour enrayer la septicémie qui avait empoisonné son sang.
Néanmoins, bien que guéri, la lumière n'est pas revenue chez lui et pendant des années il a dû subir une vraie solitude, de nombreuses humiliations renforçant une image de soi déjà défaillante, l'enfermant dans un cycle infernal de type je ne comprends rien, donc je ne sais rien, donc je ne vaux rien, donc, personne ne m'aime, donc je dois me démarquer autrement...
Ce qui est intéressant ici, c'est que
Daniel Pennac donne à voir et à ressentir ce que vit un enfant dans la peau d'un cancre reconnu comme tel : "j'étais un cas d'espèce", "j'étais un objet de stupeur", "j'en tirai l'enseignement que même le chien de la maison pigeait plus vite que moi".
C'est ô combien lucide, traité avec humour et ironie, mais comment ne pas ressentir à travers ses mots, à la fois son incompréhension et sa douleur face à cette réalité.
Dans la seconde partie intitulée "Devenir",
Daniel Pennac met l'accent sur l'attitude des parents d'enfants un peu plus lents que la moyenne ou carrément cancres, parents souvent englués dans un quotidien qu'ils ont eux-mêmes du mal à maîtriser, souvent dans le déni total vis-à-vis des capacités de leur progéniture, souvent conscients de leurs limites mais qui tous inquiets de l'avenir, tentent à un moment donné de faire pression sur l'école, sur le ou les professeurs pour soit ne pas le saquer sur son bulletin, soit le faire passer dans la classe supérieure, soit l'aider à trouver un soutien extérieur, le faire inscrire dans une école alors que toutes les portes se ferment.
Car, tous, ils n'ont qu'une crainte - bien souvent renforcée par l'attitude du corps professoral : que leur enfant ne puisse devenir quelqu'un. Et
Daniel Pennac de mettre l'accent sur la notion du temps pour les enfants et pour les adultes :
"Lui parler de l'avenir c'est lui demander de mesurer l'infini avec un décimètre. Si le verbe "devenir" le paralyse, c'est surtout parce qu'il exprime l'inquiétude ou la réprobation des adultes. L'avenir, c'est moi en pire, voilà en gros ce que je traduisais quand mes professeurs m'affirmaient que je ne deviendrais rien. En les écoutant je ne me faisais pas la moindre représentation du temps, je les croyais tout bonnement : crétin à jamais, pour toujours, "jamais" et "toujours" étant les seules unités de mesure que l'orgueil blessé propose au cancre pour sonder le temps."
Dans la troisième partie, on perd un peu le fil de la narration entre démonstrations grammaticales : sens du "y" dans la phrase... rapports prof/élèves... retour d'expériences ... faire ou ne pas faire des dictées ?... faire ou ne pas faire de la psychologie ?... réflexions sur la pédagogie et, notamment, sur la notion de "présent d'incarnation" : à savoir pour atteindre ses élèves et leur inculquer des apprentissages profitables, le professeur se doit d'être ouvert, à l'écoute et totalement présent vis-à-vis de ses élèves :
"Oui, à écouter le bourdonnement de notre ruche pédagogique, dès que nous nous décourageons, notre passion nous porte d'abord à chercher des coupables. L'Education nationale paraît d'ailleurs structurée pour que chacun y puisse commodément désigner le sien...[...] A quoi s'ajoutent les procès internes à toute institution qui se respecte. L'éternelle querelle des anciens et des modernes... [...] Jusqu'au cancre lui-même qui, après avoir usé d'une férocité méthodique pour envoyer son professeur soigner à l'hôpital une longue dépression nerveuse, est le premier à vous expliquer benoîtement : - Monsieur Untel manquait d'autorité."
Puis, dans une quatrième partie,
Daniel Pennac tente de démontrer que non, le cancre ne fait pas exprès d'être celui qu'il est. Et que les adultes - les figures d'autorité et d'apprentissage qui, théoriquement, ont le devoir et la charge de l'aider à grandir et à devenir - sont également partie prenante de cet échec.
Et puis, via une petite anecdote vécue, l'écrivain
Daniel Pennac montre aussi que si le cancre ne le fait pas exprès, il a toujours la possibilité de changer, de porter un regard différent sur son vécu et d'agir de façon à ne pas glisser toujours plus sur la pente douce d'une existence en marge. Se responsabiliser, respecter l'autre, agir avec respect et courtoisie sont des préalables nécessaires pour parvenir à établir un dialogue, pour parvenir à ce que l'autre vous tende la main et vous aide. Peut-être plus facile à écrire qu'à mettre en oeuvre pour ces jeunes en déshérence.
Enfin, pour terminer
Daniel Pennac met en lumière ces professeurs qui l'ont sorti de l'ornière, mais aussi celles et ceux de ses amis qui oeuvrent, dans l'anonymat pour tenter de repêcher ces exclus de l'école et du savoir. Et comment y parviennent-ils ? en s'incarnant au quotidien dans leur passion pour l'enseignement et en communiquant à leurs élèves tout leur amour.
Sujet à aborder sur la pointe des pieds, mais
Pennac utilisera à ce propos une métaphore des plus parlantes.
Bref, un livre que tout postulant au métier d'enseignant devrait lire avant de s'engager, mais aussi tout enseignant en poste afin de mieux connaître et reconnaître la douleur des cancres qu'il a devant lui et si besoin, pour parvenir à se remettre en question dans son approche pédagogique.
Ce livre fait chaud au coeur. Il transpire l'expérience vécue et la volonté de transmettre pour mieux partager. Il est aussi résolument optimiste puisqu'il témoigne - à travers du cas personnel de
Pennac mais aussi d'autres élèves évoqués dans ce livre - qu'il n'y a pas de fatalité et qu'il est toujours possible de s'en sortir.